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Coquecigrue

Par Arielle

Après avoir subi un traumatisme crânien, Pierre se repose à Cucq, en semaine et hors saison. Les journées lui semblent bien longues dans ce petit bourg. Il quitte les dunes où il se plaît à rêvasser pour s’enquérir de quelques livres à Toqué ville. Il longe un temps la côte d’opale, cherche une station service et aperçoit en plein midi, sous le soleil, une jeune auto-stoppeuse. Le vent fait flotter sa belle chevelure dorée, l’air est un peu humide, elle est vêtue d’un jean et d’un imperméable.

La jeune fille est à peu près de son âge, grande et élancée. Pierre lui prie de prendre place dans sa Fiat 500 des années soixante dix, vous vous souvenez ? Le pot à yaourt !

« Je me rends à la clinique des acacias à Cruche ville ».

« Très bien, vous me guiderez »

Assez vite, une sympathique discussion s’engage. L’ambiance est détendue, tous deux babillent à cœur joie.

« Je me nomme Elisabeth et mon père est maire de Toqué ville. Je suis étudiante à Dadais sur mer et je vis dans une communauté »

Pierre n’est pas si jocrisse que cela ! Les communautés, c’est dans le Larzac à élever des moutons ! Elle le berne assurément. Croit-elle que son coup sur la tête lui a fait perdre la notion des choses ? Pierre acquiesce d’un discret sourire en biais et se dit qu’elle doit vivre en colocation. En fait, quelle est donc la vraie raison de ce séjour en clinique ? Elle lui a dit consulter pour un avortement mais Pierre sait bien que cet acte est illégal en France dans ces années là. Son père a beau être maire, cela ne lui donne pas tous les privilèges ! Aurait-elle perdu la raison ? Que sont-ce donc que toutes ces carabistouilles ?

«  Je peux venir te voir dans ta communauté ? »

«  Si tu veux savoir où je suis, vas voir mon père de ma part. C’est facile, il est le directeur du Grand Hôtel »

Pourquoi diable, ne donne t elle pas son adresse ? Voilà bien des mystères. Sait-elle seulement où elle loge ?

Sur ces derniers mots, Elisabeth voit un bâtiment et s’écrie « c’est la prochaine à gauche ! ». Pierre connait bien l’endroit et n’a jamais remarqué de milieu hospitalier en ces environs. Il stoppe sa voiture en plein milieu de l’entrée du parking.

La place est déserte.

« Je peux venir te chercher après ton rendez vous ? »

« Je ne sais pas du tout quand je vais ressortir »

Notre oiseau aux yeux bleus disparait vers le fond du parking, sa fine silhouette suit la courbe d’un virage sur la droite et notre benêt se sent berné.

Sept ans plus tard, Pierre qui s’était toqué de la belle et déjantée demoiselle, retourne sur les lieux, comme en pèlerinage. Il est très déçu de ne pas la retrouver là et retrace la route à l’envers. C’est alors qu’il comprend que l’entrée du parking n’est autre que l’accès au Grand Hôtel. Elle l’avait embrouillé dans un dédale à perdre les pédales. « Idiot, je suis idiot ! Stupide, niais, ballot ».

Les jours et les minutes défilent, harcelant ses neurones, triturant ses méninges. Il ne pense plus qu’à elle et tourne en bourrique. Lors d’une lecture visant à lui faire oublier cette folie, il est subitement pris d’une pulsion « Je dois la retrouver ! ».

Aux abords du Grand Hôtel, un employé s’avance et lui demande pourquoi il hésite à entrer « Je viens voir le directeur, de la part de sa fille Elisabeth ». Aussitôt dit, aussitôt fait, un homme en costume et de grande prestance s’approche, un peu interloqué par la mise de Pierre.

« Vous connaissez ma fille ? »

« Oui Monsieur »

Et notre pauvre dindon de la farce narre son histoire.

Le maire devient livide et grave.

« C’est impossible ! »

« Comment ? »

« C’est impossible ! Si c’est une plaisanterie, elle est de mauvais goût !! »

« Monsieur, nous ne nous connaissons pas. Il y a trois mois, je ne savais même pas que vous existiez et vous pensez que j’aurais fait deux cent cinquante kilomètres pour une chicane ! »

« Etes vous chargé d’un message ? »

« Non. Je suis juste venu vous voir sur ses recommandations »

« Vaquez Monsieur, disparaissez. Nous n’avons plus rien à nous dire »

Pierre s’esbigna, l’amertume aux tripes, se tapant le front d’un geste de mépris « Bête, je suis sot, crétin, ridicule et borné. Elle aura usé de cautèle et j’ai été pris dans les mailles de la ruse féminine. Elle m’a bien eu. C’est grotesque et saugrenu mais je veux la revoir ».


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