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Utopie, du rêve évanescent à l'eutopie !

Publié le 05 septembre 2010 par Tanjaawi

Le sens - instance triple qui évoque autant la direction d’une orientation de voyage que la signification des êtres, des choses et des mots, ce qui le rapproche de sa dimension physiologique de perception organique du monde - détermine pour l’homme et la société, l’action et les choix de vie. Le sens est à ce compte, l’empan humain du projet et du passage à l’acte, l’espace pluridimensionnel de création et d’expérimentation d’utopie et de rêve en projet et projection de soi.

Utopie, du rêve évanescent à l’eutopie !

L’utopie légitime est exigence d’un surcroît d’humanité dans le monde. Le rêve digne est propension humaine méliorative de soi et de l’Homme… Et la pire déchéance survient quand le rêve et l’utopie s’effondrent par réalisme dans les miasmes du pragmatisme idéologique ou social.

Toute utopie, tout rêve projette un paradoxe, poursuit et vit une ambition autoeffaçante : sa conversion en son contraire, cette réalité concrétisante qui doit advenir de son vœu !

L’utopie « u-topos » (privation d’espace), c’est-à-dire vision ou aspiration sans contenu spatial, sans existence réelle au présent, sans contour dans la factualité, est pourtant une omniprésence dans la réalité humaine. Elle n’est pas cet « espace du non lieu » (pour reprendre le propos de Louis Vincent Thomas), mais l’espace du lieu intérieur et potentiel. Elle est le « topos » humain par excellence, étant cette sphère du lieu indéfini que nous portons en nous. L’homme est le terreau exclusif de l’utopie. La réalité humaine est un englobant fait de la dimension du réel et de celle de l’imaginaire hypostasiés en la conscience. L’imaginaire se décline par les représentations humaines et sociales du sens. Chez l’homme, l’individu, il se décante en rêve et en utopie. Le rêve reste dans le champ de la chose existante à conquérir alors que l’utopie est la volonté fondatrice de l’homme créatif excédant les limites des possibles sur la ruine du vide. Catégorie de la projection de l’autre possible au-delà de ce qui est connu dans l’histoire et le réel. Marque de la démiurgie humaine sur la trace de Dieu Créateur. Enracinement et transcendance en constituent les deux schèmes. L’utopie, à l’échelle de l’homme individuel, dans son rapport à soi, est plus facilement réalisable ; alors que l’utopie de l’homme socialisé confine souvent à la chimère utopiste que nous appelons dysutopie. L’homme en soi rêve pour se projeter et réaliser ses ambitions ontologiques. Les grandes spiritualités nous indiquent la voie royale de l’accomplissement en tant qu’être. Mais l’homme du social, fut-ce l’homme en couple, est soumis aux aléas et compromis du rapport à l’autre. Le choc des consciences étant un abîme de souffrances et de désillusions, de grands échecs ponctuent l’utopie et lui impriment l’évocation négative voire la dénonciation qu’elle subit de la part des « pragmatiques et réalistes ». Le rêve a soit la fonction de régulateur du réel cru et ardu qu’il édulcore, soit la propension d’une réhabilitation de l’esprit voulant se défaire du traumatisme des flagellations, et des détresses subies. Là, le rêve entre en force dans la catégorie de l’espérance. Pour l’individu, toutefois, s’il est une utopie qui asticote l’existence, c’est l’Absolu. L’Absolu comme totalité et perfection demeure un idéal pour le vivant dans un monde où le morcellement et le partiel frustrent la connaissance et contingentent la prégnance qui permettrait à l’homme le plein pouvoir sur soi et le monde. Néanmoins, cette utopie demeure une projection métaphysique au-delà des eschatons spiritualistes ; utopie qui envisage une eschatologie où l’homme réalisé assumera sa déité dont il entrera en possession après les contingences d’ici-bas. La théologie de l’histoire est au-dessus des historicismes parce que tenant de la révélation et de l’herméneutique sacrée où Dieu dévoile à l’homme ses prophéties sur la fin du temps et du monde. Mais l’histoire, dès qu’elle est soumise aux fourches caudines des historicismes - là où la philosophie s’emparant de ce parcours spatio-temporel de l’espèce humaine avec sa marque sur la nature et l’univers devenu monde par les projections sociales voire phylétiques avec la weltanschauung mythique et politique qui s’en suit - c’est à la spéculation, au logos structural institutionnel et épistémique qu’elle est réduite. De l’hégélianisme au marxisme, l’obsession de la fin nécessaire, déduite de l’aventure soit rationnelle de l’esprit absolu dépassant subjectivité et objectivité soit du triomphe imparable des classes ouvrières et exploitées à l’échelle planétaire, hante l’histoire. Tout historicisme est une structuralisation de l’histoire posée comme ayant une fin autonome qui entraîne les hommes vers tel destin temporel. Pourtant, ce finalisme, ces fins dépendant du social sont restées figées dans leur dysutopie (fatalité de l’inaccomplissement d’utopies fantasques) car l’histoire et les sociétés s’épuisent à l’estuaire renouvelé des temps et de l’inaccomplissement !

La Postmodernité, aspects d’une utopie paradoxale.

Commençons par le dire de manière claire et sans équivoque, le morphème « post » composant le syntagme conceptuel « postmodernité » indique une crise herméneutique et identitaire de notre époque et de l’esprit d’un temps où les dérives idéologiques et la déroute des utopies associées à ces idéologies font surgir une conscience « d’après coup » qui demeure indéfinie et prête à toutes initiatives possibles. Prise en main par les riches, il est normal et indéniable que ce moment du temps, la Postmodernité, soit celle d’un grand paradoxe : celui des ambiguïtés suscitées par l’avènement d’un individualisme avec ses vœux de réalisation personnelle de l’homme proclamé libre des morales religieuses et sociales de la modernité en même temps que le contrôle rapproché du village mondial par les cerbères officiels mis au collimateur des satellites et du multimédia. On y voit spectaculairement la libération des mœurs des minorités telles les homosexuels et en même temps la menace d’un bellicisme primaire de grandes puissances impérialistes, interventionnistes menaçant les états non soumis à leur hégémonie, violant toute liberté véritable en dehors de celle admise par leur idéologie. Sans oublier le retour du travailleur esclave, de la traite de femmes, de la prostitution cybernétique par le marché du cybersexe...

Si les grandes conflagrations mondiales du XXe siècle et les querelles de la guerre froide qui s’en sont suivies semblent loin par la multipolarité idéologique du monde d’aujourd’hui, les establishments du nord n’ayant nul intérêt dans des conflits armés entre eux, la guerre pour une multipolarité économique et les sphères d’influence diplomatique est désormais la nouvelle carte de visite, l’effigie grimaçante de la réalité internationale. Cela sans omettre les guerres de toutes sortes livrées aux suds (guerres de basse intensité, famines programmées, génocides planifiés, interventions armées, bombardements d’objectifs militaires...) Le premier aspect qui est tout économico-politique de la postmodernité est, sous prétexte de l’exclusion des idéologies extrêmes, le centralisme financier bourgeois des pays du nord qu’il convient de nommer ( financiarisme ploutocratique) et qui impose dans un triomphalisme cynique, l’universalité des conquêtes capitalistes constituant l’ordre mondial. Après la mondialisation du colonialo-esclavagisme des siècles passés et celle récente et de la prépondérance des deux blocs idéologiques au vingtième, le monde, une fois de plus, est pris en otage par quelques puissants de l’économie au service desquels les putains de la politique et des médias opèrent et bernent. Ainsi, sur fond d’économie virtuelle, les financiers des différents pôles : européen, nord-américain, chinois, indien, brésilien..., font des propositions aux investisseurs et aux gouvernements pour l’organisation des conglomérats transnationaux en vue de la mouvance des différents pôles. Toutefois, le vieux rêve socialiste d’enrayer la misère, achoppe et s’affaisse douloureusement sur la cruauté pétrifiée des réalités financières qui altèrent l’économie factuelle des pauvres par des spéculations et des anticipations oubliant l’homme. Ce financiarisme comme ultime visage de l’économisme capitaliste tue l’utopie de la décence sociale dans les démocraties représentatives où galopent la paupérisation et le désespoir. Contre le rêve extraverti que vendent aux masses, les médias et les organes de propagandes, il faut qu’un rêve réel à l’échelle des hommes et des nations, non plus des compagnies multinationales soutenues par l’« État Moloch » quasi planétaire d’aujourd’hui, soit substitué aux bobards idéologiques et poursuivi par les peuples.

L’utopie putréfiée des pillards autorisés au pouvoir nous berce de l’illusion d’une richesse devenant si visible, si crue par les statistiques et prospectives de la finance, que les majorités délaissées devraient se culpabiliser de ne s’être pas intégrées par inaptitude et arriération dans l’ordre bénéfique, panacée contre toutes les misères matérielles de l’humanité. Alors que c’est d’exclusion qu’il s’agit. Les petits, la majorité des nations et des hommes qui les composent, ont eu très peu le choix de leur sort. (D’ailleurs, même dans les places fortes de la richesse, les retombées fâcheusement paupérisantes font le cauchemar d’un pourcentage de plus en plus important de la population). Le sociocentrisme et la sociodicée des establishments d’un quarteron de pays, médusent le monde par leur grande avance technologique et voudraient en faire tirer conséquence par les « suds » comme d’un modèle de réussite exclusive et universelle. Manipulation des masses abandonnées, asservies, réifiées par une perception farfelue que cette manière de voir d’une poignée oligarchique internationale, et qu’on impose aux majorités comme si c’était la leur ! Dans les sillons et sillages de ces rêves extravertis et étrangers, le mythe de l’amélioration du sort par la croissance économique, par le retour cyclique des élections selon la démocratie bourgeoise devenue morale politique planétaire vient hanter les esprits faibles et nourrir les mots des scolarisés sans distanciation.

Les trois autres aspects de la Postmodernité sont tous scientifico-technologiques :

1) l’explosion du multimédia ;

2) la biotechnologie dont le sommet est la manipulation du génome ;

3) la conscience écologique avec ses émergences politico-juridiques dans les chartes internationales.

Tous ces trois se forment de plus en plus dans l’ovation d’un individualisme de l’homme citadin contemporain néanmoins ouvert aux grandes questions humaines constituant les paramètres de la réalité plurale planétaire. Les altermondialistes, les tenants des congrès des peuples, aguerris dans leurs manifestations sur tous les lieux de sommets économico-politiques des dirigeants officiels des anciens et nouveaux états nantis, sont la preuve de cette conscience ou, dois-je dire, cette mauvaise conscience de la Postmodernité. Et, parmi les félonies officielles passivement adulées, sont sabrés les idéals même du progrès dégénéré rendu négatif et ultramercantile par le marchandage diabolique de ses conquêtes, la marchandisation de tous ses produits et objectifs dont les chefs d’État d’aujourd’hui sont les larbins promoteurs. L’homme, seule fin sensée de la science et de la technologie, en effet, par la réification extrême propre à notre temps, n’est plus le but ultime du progrès dont il se targue. Une crapulerie financière vilement inhumaine constitue la seule face d’un monde de brigandage étatico-économique sans vrai visage et dont les masques macabres sont ceux des larbins de la ploutocratie bancaire et commerçante que sont les politiciens délétères, les faux prêcheurs mystiques et idolâtres, les journalistes soudoyés, les chroniqueurs stipendiés, les spécialistes vendus, véritables rudiments sordides qui orchestrent chez les masses désespérées, désorientées par les mass media, une autruche idéologique comme effigie anti-analytique et anti-intellectuel conspuant toute distanciation, conspirant même contre le questionnement de l’ordre en cours devenu, dans certaines mentalités programmées, ordre naturel des choses. Loin de l’homo technologicus manipulable par la biotechnologie avec ses promesses de « domestication de la vie » et de refonte de l’homme par un eugénisme libérateur selon les savoir-faire génétiques loin des eugénismes fascistes, c’est l’homo nihilo qui chancelle dans ses néants, sa vacuité, laquelle est premièrement celle des programmeurs ignobles, les barons mortifères des establishments, totems vivants de l’infamie, de la mort et de l’horreur.

Insistance du rêve et espoir d’entéléchie.

Pour l’humanisme contemporain, il est un point sur lequel tous devraient s’entendre, et qui s’édicterait, à mon sens comme suit :

Selon les déterministes : Que le l’humanité effective couronne l’histoire de cette espèce créée à vocation humaine !

Selon les évolutionnistes : Que l’hominisation aboutisse, en se spiritualisant, à l’humanisation pour l’avènement de l’Homme.

L’homme doit avoir tout pour s’assumer humain au-delà de son animalité organique. Ce vœu de réalisation ontologique authentique, se heurte depuis la protohistoire aux pièges posés par l’homme contre l’homme. Pourtant, le rêve d’une humanité digne d’elle-même, de sa nature et ses vocations transcendantes. En politique, l’action du combattant, de tous les combattants concertés, resurgit et les alterhumanités, ces humanités délaissées dans les décisions de l’oligarchie mondiale poursuivent ce qui fait encore figure d’utopie : l’horizontalisation des rapports entre catégories humaines et le renversement des blocages sciemment montés contre les majorités. L’île d’utopie de Thomas More, ici, devient la montagne, le pari d’une ascension de tous les résistants à l’abomination idéologique grossièrement matérialiste qui clame et prône le pouvoir vorace, prédateur des cossus pour les cossus faisant du monde, leur propriété privée ! Là, c’est le rêve réel celui qui, à défaut de changer radicalement le monde, force et forcera sans doute les monstres tueurs à entendre les cris d’hommes et non simplement les défilements digitaux, électroniques des satellites et écrans des places boursières où l’obsession des chiffres efface l’écoute généreuse de l’enfant qui a faim ou de l’homme malade qui succombe. Certes, on peut me rétorquer que les organisations humanitaires nourries par les riches s’en chargent ! Mais c’est de la charité d’apparat qu’on fait lorsqu’on réduit quotidiennement des multitudes au stade de miséreux pour, à grands coups de reportages médiatiques, se faire passer comme des messies qui les sauvent quand survient une catastrophe dont les conditions sont provoquées par la misère programmée et maintenue par les exploiteurs opulents. Cela, c’est de l’insanité pseudo-messianiste des déprédateurs officiels pour tromper la conscience simpliste et hyperémotive des ignares scolarisés ou illettrés, analphabètes divers dans l’ordre social !

Bien entendu, il ne s’agit pas de réenchanter le monde stigmaté par le plat pragmatisme économique mais de le délier des forces liberticides qui l’empoignent. Le libérer autant de l’économie que de toute forme institutionnelle où des hommes usent de leurs semblables en brandissant la nation, la religion, l’identité, l’appartenance.

Que vienne la violence vitale pour l’Eutopie, c’est-à-dire l’utopie réalisée des exclus, contre la paix violemment létale et dysutopique de l’ordre voracement et grossièrement matérialiste du bourgeoisisme !

Je dis que l’esprit comme hypostase divine demeure un poésiphore (c’est-à-dire porteur en soi de cette sorte de poésie de l’accomplissement) qui, lorsqu’il est autorisé à vivre en ce monde exécrable du charnel psychologique, anticipe par projection, l’entéléchie spirituelle tant intramondaine que supramondaine, et savoure comme en avant-goût, la voluptueuse félicité de la plénitude à travers la téléologie, cette chose fondamentale pour l’homme qu’est la projection dans l’accomplissement. Reste néanmoins l’ennemi majeur de l’homme, ce qui fait sans doute figure de la pire chimère, la plus déconcertante dysutopie qui soit : l’involution de l’animal humain dans l’animalité, loin de l’humanisation dont augurait son apparition.

CAMILLE LOTY MALEBRANCHE

4 septembre 2010 - Oulala


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