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Un vent de Revoluscience

Publié le 07 septembre 2010 par Scienceblog
D

epuis que j’essaie de travailler dans le champ de la médiation scientifique, je retrouve toujours et encore les mêmes bonnes volontés, les mêmes bonnes intentions, les mêmes mots, en gros, cette religiosité républicaine qui veut que proposer au public du contenu scientifique, c’est proposer du bonheur et éduquer aux processus démocratiques de notre société. Quand j’ai entendu parler il y a maintenant quelques années du groupe TRACES et de sa volonté de produire un véritable manifeste de la communication scientifique, je suis bien sur resté dubitatif, étant un peu plus âgé, mais positivement intéressé quand même. J’ai attendu la fin de l’été que la « version finale » d’un manifeste de la communication scientifique soit écrit et produit et …

D’abord, vous pouvez lire ce manifeste à d’adresse suivante : http://www.cognition.ens.fr/traces/images/downloads/manifeste/le_manifeste_revoluscience.pdf. Remarquons qu’il est hébergé par l’ENS, et donc, appartient à la « bande » Paris-Montagne et Atomes crochus. Lesquels produisent une vulgarisation « classique » dans le sens que l’objet premier est à mi-distance entre le plaisir et l’apprentissage. J’ajouterai que, sans faire de procès d’intention, il est bien dommage de ne pas voir les noms des rédacteurs et signataires apparaître dans le site (http://revoluscience.eu), ce qui diminuerait l’impact supposé des groupes de vulgarisation qui le compose, Paris Montagne et Atomes crochus. Tel quel, on a l’impression qu’il s’agit d’un truc parisiano-parisien, qui a le besoin de faire un buzz, et d’ailleurs propose les liens pour tweeter le manifeste. Proposer une communication ouverte, c’est ne pas communiquer seul, ou tout du moins ne pas en donner l’impression.

Parlons un peu du contenu, il mérite un détour, même si, je l’ai déjà dit, je trouve cette révoluscience naviguer dans un verre à dents. On y parle du public, de son respect (depuis quand les communiquants affirment ne pas respecter les publics de leurs messages ? Ce serait entièrement contre-productif), des relations entre démocratie et science (il y en a un, mais je ne pense pas que médier les sciences apporte quoi que ce soit à l’apprentissage de la démocratie), j’en passe des discours consensuels. « Pour une médiation scientifique qui propose, sans l’imposer, une vision scientifique du réel laissant la place à d’autres rapports au monde. » C’est gentillet, et c’est vrai qu’on en a besoin. Une question reste : comment se fait-il qu’on y avait pas pensé avant ? Déjà qu’il y a plusieurs versions scientifiques du réel …

Ce qui m’a principalement gêné : l’absence du scientifique dans ce texte, ou plutôt sa présence négative. Page 5, on peut lire (et je site in extenso) :

«  Proposition 2. Pour une médiation scientifique non autoritaire qui dialogue avec d’autres manières de penser le monde, qui sache valoriser les « savoirs profanes » et qui respecte les croyances populaires.

Quoi de plus sympathique qu’un scientifique cherchant à partager ses connaissances, si élégantes et si opératoires pour penser une question théorique ou pratique, pour comprendre le monde ? Mais quoi de plus insupportable que cette volonté de partage lorsqu’elle se mue en prosélytisme, en affirmations péremptoires, en moqueries face aux tours de mains du cuisinier, aux remèdes de grand‐mère, aux opinions anti‐OGM ou pro‐phytothérapie, voire à ce qui touche à de véritables mode de vie (homéopathie, bio, acupuncture…) ?

Chaque individu se construit sa vision de monde avec ce qu’il lui est donné d’entendre et de voir, en conformité avec ses valeurs (ce à quoi il tient) et ses croyances (humanistes, religieuses ou superstitieuses). La connaissance scientifique, au milieu de cet enchevêtrement de représentations, peut lui être utile pour corriger ses idées reçues, compléter ou affiner son jugement, réviser une valeur ou déconstruire une croyance. Mais ce processus est lent, difficile, douloureux parfois. Car ces représentations sont les principaux outils dont il dispose pour comprendre le monde dans lequel il vit.

Il revient donc au médiateur scientifique d’en prendre soin et de les respecter, pour donner à son interlocuteur la possibilité de les modifier de lui‐même, mais également de s’y appuyer pour l’accompagner plus loin. Voire de considérer de quelle manière et dans quelles conditions elles permettent, elles‐aussi, de se mouvoir dans le monde incertain qui est le nôtre. »

Je déduis de l’analyse de ce discours que le scientifique est prosélyte, imbu de son savoir, qu’il s’inscrit forcément contre la vision peut être fausse mais plutôt sympa de son public. Par contre, le médiateur scientifique, c’est le gars bien qui, en troisième homme, fait passer la pilule difficile, respecte le client, l’accompagne. Mais pas le chercheur, non …

Vous l’aurez sûrement compris, je m’inscris dans les lignes de ce blog en faux complet de ce fameux Révoluscience, et ce pour au moins deux raisons qui me semblent fondamentales :

  • Le chercheur est l’auteur du discours scientifique, et tant qu’on ne parlera pas de là, on ne pourra pas fait grand chose. D’un point de vue très classique des théories de la communication façon Info (de InfoCom), c’est l’émetteur. Il importe donc d’autant plus que ce chercheur puisse communiquer son savoir, celui qu’il a construit. Le médiateur, s’il respecte le savoir qu’il transmet, et le public qu’il rencontre, n’en reste pas moins un médiateur. C’est à dire qu’il ne traduit pas, qu’il ne reproduit pas, qu’il n’est pas, en bref, le « troisième homme », expression qu’on entend encore trop souvent. Il accompagne le chercheur, il ne s’y substitue pas.

Une petite digression : sur les listes de diffusion professionnelles, on voit bien trop souvent qu’une structure X ou Y recherche un ou plusieurs animateurs scientifique(s) pour quelques heures par semaine. Payés en général au lance-pierre. Eh les gars, avant de respecter le public, respectez vos médiateurs : à quelle charte obéiront-ils tant qu’ils seront ainsi payés ? Par contre, les gens formés avec un bac + 5 à la communication scientifique ne sont pas du tout dans les mêmes champs d’intervention, ils sont chargés de comm, journalistes, vidéastes, directeurs de structures. Bref, ils accompagnent les chercheurs dans leurs efforts de médiation. L’expérience montre que ça fonctionne, bien mieux qu’un travail de vulgarisation, même révolusciencé.

  • Le discours « grand public » des scientifiques n’a que quelques différences minimes avec la grande majorité de la communication que doit produire, jour après jour, le chercheur. Après tout, on peut considérer que, entre les papiers que le scientifique doit écrire, les posters qu’il doit créer, les présentations orales qu’il présente devant ses pairs, en cercle restreint d’abord puis plus largement à des colloques ou des conférences ensuite, sans compter les dossiers décrivant ses travaux et son parcours, qu’il remplit consciencieusement pour sa structure de tutelle (université, cnrs, inra, etc.), il communique déjà beaucoup. La médiation scientifique, c’est tout cet ensemble, peut-être disparate, mais dont les émetteurs sont les producteurs du savoir eux-mêmes. Et ce qui est appelé médiation scientifique par le collectif revoluscience ne représente qu’une toute petite partie de ce dont on parle en sciences.

La seule et vraie révoluscience sera celle qui traitera de la communication scientifique vers un public élargi comme d’une part de la communication scientifique dans son ensemble. Elle seule verra comment le chercheur peut prendre en main sa communication. Les personnes spécialisées en communication participeront alors à la communication scientifique à leur place, en accompagnants, voire en formateurs à la communication. Ils participeront à la construction du message, sans pour autant en soustraire cet emmerdeur, cet empêcheur de tourner en rond, que représente pour l’instant le scientifique face au médiateur acteur.

J’espère que cette parole, en opposition avec ces idées que je ne trouve pas révolutionnaire, pourra être diffusée dans cette communauté, pourquoi pas lors du colloque prévu en 2011.


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