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"Mildred Pierce" : trouble mélo noir

Par Vierasouto

Démarrant et se terminant comme un film noir, tiré d’un roman de James Cain ("Assurance sur la mort"), c’est d’un vrai mélodrame qu’il s’agit pour le corps, le coeur, de l’histoire. Mildred Pierce, vivant depuis toujours, comme elle le dit elle-même, dans sa cuisine, s’est mariée très jeune avec Bret. Epouse modèle, mère de famille surprotectrice, elle s’échine à faire de ses filles des jeunes filles chics, leçons de piano pour l’aînée, Veda, de danse pour la cadette, Kay. Bret au chômage, infidèle de surcroît, Mildred, obnubilée par la réussite sociale de ses filles, pousse son mari vers la sortie ou, du moins, ne le retient pas. Le choc des deux fillettes devant le départ soudain de leur père n’est pas à négliger. De ce jour-là, Veda, la plus perméable au luxe, va devenir un monstre préoccupé uniquement par l’argent. C’est ce que nous montre le film. La robe coûteuse achetée par Mildred à sa fille, en confectionnant des gâteaux pour le voisinage, et que Veda trouve trop cheap donne le ton. A la toute fin du film, Veda suppliant sa mère de l’aider une dernière fois, utilisera l’argument « c’est ta faute si je suis comme ça ». On assiste en effet à la fabrication d’un monstre par une mère sacrificielle et ambitieuse par procuration. Les relations de Mildred avec sa fille Veda, sont troubles, quasi-incestueuses, obsédée par sa fille aînée, Mildred va construire et détruire un empire, de la fortune à la faillite.
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Car au milieu du film, Veda dit à sa mère ses quatre vérités : elle la trouve vulgaire, tout l'argent gagné avec ses restaurants ne lui apportera jamais la classe, ses origines sociales lui font horreur et elle se venge du départ de son père : elle dit comprendre son père d'avoir quitté sa mère, elle, des les avoir quittées, elles… Pour la première fois, Mildred va mettre Veda à la porte et celle-ci s'en ira gagner sa vie en chantant dans un bar torve sans paraître en souffrir plus que ça. Auparavant, elle feint une grossesse pour soutirer un chèque à un étudiant fortuné, épousé en douce, sa mère choquée du mensonge, déchire le chèque, mais c’est ambigu car Veda vient de dire à sa mère que cet argent va lui servir à quitter la maison, à se passer d’elle…
Il y a deux lectures, deux couches dans ce film, le premier degré avec Mildred Pierce, sainte sacrifiée à ses enfants, mère courage et bourreau de travail, victime des infidélités des trois hommes qu’elle rencontre. Le second degré, le dessous des cartes, avec Mildred Pierce mère abusive, renonçant avec une facilité déconcertante à son mari pour se polariser sur l’argent nécessaire à satisfaire tous les caprices de sa fille aînée, à lui offrir tout ce qu'elle n'a pas eu dans son enfance... Ainsi, Mildred va accepter comme un sacrifice obligé la mort de sa fille cadette (ce jour-là, elle revient de coucher avec Monte Beragon qui lui cède le bail du premier restaurant et le lendemain, elle démarrera les travaux)...  Mildred n'a qu'un seul objectif : se faire aimer de Veda, la snob qu'elle a créée, la fillette qu’elle a élevée comme une enfant star et qui lui a échappé, Veda rêvant à présent d’une autre famille plus distinguée, d’une autre maison plus luxueuse, comme celle de Monte Beragon, l’héritier qu’elle voit en photo sur les magazines. Alors, Mildred Pierce, comprenant qu’elle a perdu sa fille, malgré sa fortune toute neuve, va se lancer dans un dernier cadeau suicidaire : elle propose à Monte Beragon, ruiné mais si distingué, de lui racheter sa somptueuse demeure familiale tout en lui cédant le tiers de ses parts de société, en échange d’un mariage arrangé, pour faire revenir Veda dans un bercail proche de ses rêves avec l’aristocratique Monte pour beau-père… Qui est la plus perverse des deux… La mère se persuadant qu’elle se sacrifie en épousant le beau Monte Beragon ou la fille qui va lui piquer son mari ? Des hommes qui la trompent, Mildred n’en a cure, elle renvoie Bret qui l’aime toujours dans les bras de sa maîtresse, elle congédie Monte, puis l’achète, elle éconduit l’associé de son mari, pire, elle tente de le faire accuser à sa place quand on trouvera Monte B assassiné…

intéressant le titre espagnol qui prend tout de suite parti pour une seule interprétation du film...
Car c’est ainsi que débute le film en parfait film noir (très beau début du film), dans la nuit, une maison isolée, un visage révulsé, celui de Monte Beragon, un coup de feu hors champ, un cri «Mildred!» et un lampadaire s’effondrant sur le sol éclairant brusquement le cadavre de Monte…  Une femme élégante en veste de fourrure sort de la maison, pense à se jeter dans l’eau, en finir, mais un policier la retient, elle retourne dans la maison, un homme sonne à la porte, c'est l’associé de son mari, Val, qu’elle n’attendait pas. Mildred Pierce biaise, feint d'aller se changer, mais, le laissant enfermé dans la maison (scène très claustrophobique), elle s’échappe, quand la police arrive sur les lieux, on l’accuse, lui.

Ann Blyth (Veda)
Etrange film, mélodrame sans pathos, film noir pour la lumière, certaines situations et mises en scène, (essentiellement le prologue et l’épilogue), sans héros masculin que des pantins jetables mais opposant deux femmes, deux rivales, la mère et la fille. La femme fatale post-Lolita existe, c’est la jeune Veda, à la différence notable qu’elle ne fait pas le malheur d’un homme mais d’une femme, sa mère, tendances lesbiennes et incestueuses, on tape fort pour un film de 1945… Il y a d’ailleurs également du saphisme dans l’air avec le personnage d’Ida Corwin, l’ancienne patronne de Mildred, devenue son employée de confiance et sa confidente. Ann Blyth, une actrice inconnue (de moi) interprète Veda et tient remarquablement tête à Joan Crawford qui effectuait laborieusement son come back (le réalisateur Michael Curtiz la considérait comme une has been…) avec ce film pour lequel elle obtiendra pourtant son seul Oscar. Film hybride, lui-même union périlleuse de plusieurs genres cinéma, le mélo, le film noir (il fut classé comme tel) et la critique sociale du rêve américain de la middle class développée ici comme rarement, avec zéro personnage sympathique, on comprend mal son succès populaire de l’époque…

  


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