Une partie de poker menteur oppose Airbus et Boeing.
C’est le feuilleton de l’année : faut-il donner sans plus attendre des successeurs aux Airbus A320 et Boeing 737 ? Ces avions, succčs planétaires, pourraient-ils ętre remotorisés, sans plus, pour ensuite connaître une seconde jeunesse ? Ou, tout au contraire, faudrait-il les remplacer par des appareils entičrement nouveaux ? Une question en amčne une autre : les deux rivaux ont-ils les moyens de leurs ambitions, sachant que les 787 et 747-8 pour l’un, A380, A350 et A400M pour l’autre, assčchent leurs comptes en banques ?
Chaque semaine qui passe suscite de nouveaux commentaires, des informations qui n’en sont peut-ętre pas, des rumeurs. Rien de tel ne s’est produit dans le passé : la question qui est posée étant celle du remplacement d’appareils qui sont actuellement produits de part et d’autre de l’Atlantique au rythme de prčs de 80 exemplaires par mois. En d’autres termes, ce ne sont pas des programmes en fin de vie.
En se limitant ŕ ce constat, on pourrait ętre tenté d’affirmer que les uns et les autres s’efforcent de répondre ŕ une question qui ne leur a pas été posée. Ce n’est pourtant pas le cas, sachant que nombre de compagnies aériennes contestent le manque de réactivité d’Airbus et Boeing, leur disant qu’il serait possible de réduire les coűts d’exploitation de la double famille des 150 places, soit en les dotant de moteurs de nouvelle génération, soit en concevant des appareils entičrement nouveaux faisant largement appel aux matériaux composites. Resterait ŕ justifier un investissement considérable, ŕ consentir ŕ un moment mal choisi.
S’en suit une bataille de chiffres, tous invérifiables. En effet, seule compte l’offre qui pourrait ętre soumise aux compagnies aériennes, en termes de réduction des coűts d’exploitation. Boeing laisse entendre que l’amélioration resterait marginale, Airbus dit, tout au contraire, qu’elle serait significative. L’A320 pourrait ętre doté sans modifications majeures de Pratt & Whitney PW1000G ou de Snecma/General Electric Leap-X. Le 737, en revanche, devrait ętre profondément revu, sa configuration actuelle, avec une garde au sol minimale, ne lui permettant pas de recevoir des moteurs de diamčtre accru.
Nombre de dirigeants de compagnies aériennes ont déjŕ exprimé leur impatience et tapé du poing sur la table. Les premiers d’entre eux ont été ceux de Southwest Airlines, qui exploite non moins de 500 Boeing 737 et estime que l’heure est venue de tourner la page, et cela bien que le best-seller américain ait bénéficié au fil des temps de plusieurs cures de Jouvence. Ryanair, autre géant Ťtout 737ť, aspire elle aussi ŕ des progrčs d’importance. L’A320, lancé en 1984, ne fait pas son âge dans la mesure oů il a bénéficié de nombreuses améliorations au fil des années. Ce qui n’empęche pas l’impatience de certains de ses utilisateurs, low cost mises ŕ part, ŕ commencer par Air France qui commence ŕ déclasser des A320 en fin de vie et a du mal ŕ se faire ŕ l’idée de les remplacer …par d’autres A320.
L’exégčse de déclarations récentes faites ŕ Toulouse et Seattle donne une tendance, une probabilité. Les Européens pourraient proposer dčs 2011 un A320 NEO (New Engine Offer) qui complčterait la gamme sans abandon des versions en production. La valeur résiduelle comptable de ces derničres sera ainsi protégée. Boeing, ŕ l’opposé, pourrait décider qu’il est urgent d’attendre. Les deux points de vue se défendent.
Il apparaît par ailleurs que les programmes lancés récemment par la Chine (Comac C919) et la Russie (Irkut MS21) ne vont sans doute pas profondément changer les rčgles du jeu, si ce n’est, peut-ętre, ŕ long terme. Ils vont en effet tenter de répondre prioritairement ŕ une demande intérieure, d’autant que ces nouveaux venus auront fort ŕ faire pour se construire une réelle crédibilité sur le marché international. On se souvient, par exemple, du Tupolev Tu-204 doté de moteurs Rolls-Royce, proposition théoriquement séduisante, qui fut un cuisant échec commercial. Bombardier et Embraer, pour leur part, ne jouent pas dans la męme catégorie. Le C.Series canadien, qui peine ŕ démarrer, peut tout au plus se positionner en concurrent de l’A319 tandis que l’industriel brésilien a renoncé, peut-ętre provisoirement, ŕ construire le E-195X, qui s’inscrivait dans la męme catégorie. La conclusion provisoire, on l’a compris, prend la forme d’un interminable poker menteur.
Pierre Sparaco - AeroMorning