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Monestier, terre de contraste

Par Eric Bernardin

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Le petit village de Monestier situé au sud-ouest de Bergerac (proche de la frontière bordelaise) a la chance de posséder plusieurs vignerons de talents. J'en ai visité deux avant-hier qui sont aussi éloignés philosophiquement  qu'ils sont proches physiquement (moins d'un kilomètre).

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D'un côté le châtelain : Monestier la Tour, dont j'ai déjà parlé ICI. Une trentaine d'hectares de vignes, un cadre qui en impose, des installations "nickel" (enfin inox, plutôt). L'approche à la vigne se veut traditionnelle et respectueuse de l'environnement. Au chai, nous sommes plutôt dans l'alliance de l'ancien – élevage barriques pour une grande majorité de la production –  et du moderne : ramassage mécanique du raisin à 4 heures du matin, pressurage pneumatique, enzymage des moûts...

Plus par nécessité que par choix, le domaine vend une bonne partie de sa production à la grande distribution. Il faut donc produire des volumes relativement importants avec une régularité sans faille. J'ai déjà dit mon enthousiasme pour la qualité de la Cuvée Navarre (faite spécialement pour Leclerc). Alors qu'elle coûtait 6 €, elle était de la qualité d'un Bordeaux qui coûte le double. On la trouve maintenant à 4.95 € et c'est sans aucun doute l'un des meilleurs rapports qualité/prix de France.

Dans la gamme "traditionnelle", le Château de Monestier la Tour(environ 10 €) et la cuvée Emily (17 €) sont aussi d'un très bon niveau. Mais cette dernière n'est plus disponible pour l'instant : les chinois frustrés de n'avoir pas eu suffisamment de Lafite se sont rués dessous et ont tout acheté. 

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Pour des questions de volume, il n'existe maintenant plus qu'une seule cuvée de blanc, la Tour de Monestier (6-7 €). Le millésime 2009 est déjà en vente, et je ne peux que vous inciter à le découvrir : une belle robe dorée. Un nez sur le zeste d'orange, la pêche blanche le miel. Un volume en bouche impressionnant, avec une matière gourmande, charnue, et une fine acidité vibrante qui souligne et tonifie le tout. En finale, on a l'impression de mordre une écorce de pomelo, sensation (noble) d'amertume et d'astringence incluse.  Ce qui stimule les papilles et donne envie de se resservir de suite... 

Peu de vins offrent à mon sens cette qualité à ce prix.

J'ai également dégusté en exclusivité le Saussignac 2007 : C'est une véritable tuerie tant au nez qu'en bouche : mangue, pêche, abricot, vanille... Bouche à la fois opulente, grasse, et d'une grande fraîcheur, rare dans la région. Belle finale sur l'abricot et l'orange amère. L'équilibre de ce liquoreux est vraiment remarquable (environ 120 g de sucre résiduel).

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Guillaume Launay, qui gère le domaine de main de maître

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De l'autre côté, une autre ambiance, plus "bienvenue à la ferme", avec des poules qui gambadent et un chien qui ne se donne pas la peine d'aboyer. Vous êtes au château Richard. Comme Richard Doughty, le propriétaire. Ce n'est pas qu'il a la grosse tête, mais le lieu-dit s'appelle la Croix-Blanche, et il y a déjà trois domaines qui l'utilisent à Saussignac. Alors il fallait mieux trouver quelque chose de plus original. 

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Comme son nom ne l'indique pas, Richard Doughty est à moitié français (par sa mère). Il n'empêche qu'il a gardé de son enfance à Windsor un accent britannique qui colle parfaitement avec son humour pince-sans-rire.

Après une formation à la Tour Blanche, il a acheté le domaine en 1987. N'ayant jamais appris à labourer, il commence à désherber comme tout le monde, mais il remet vite ces pratiques en question. En 1991, il entame sa conversion en agriculture biologique, en n'hésitant pas à faire du prosélytisme : il a réussi à convertir tous les membres de sa CUMA (= 5 vignerons), mais aussi 6 autres de l'appellation Saussignac. En tout, ce sont pas moins de 12 vignerons bio sur une appellation qui n'en compte que 20 (en % c'est la 2ème  de France après les Baux de Provence).

Richard Doughty a aussi beaucoup contribué à la refonte draconienne du cahier des charges de l'appellation : la chaptalisation est interdite, et le taux minimal d'alcool acquis est de 11° (ce qui facilite la vie aux vignerons qui ont des vendanges très botrytisées. A Monbazillac, le minima est de 12° et c'est parfois problématique).

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Venons-en aux vins. Ils n'ont évidemment rien à voir avec leur voisins. Mais ni meilleurs ni pires. "Différents" dirait Paul Pontallier (private joke que seuls les lecteurs de mon livre peuvent comprendre).

Bergerac sec 2009 : robe jaune pâle. Nez sur la pomme fraîche, la fleur d'acacia, avec une pointe d'amande amère (= colle cléopatre). La bouche est ronde, fraîche, avec l'impression de croquer dans la pulpe du raisin. Il y a côté naturel et désaltérant très agréable. Finale légèrement astringente, sur des notes d'amande légèrement grillée.

Bergerac sec "Allier" 2005 (élevé en barrique ... de l'Allier) : nez sur le raisin frais, la groseille à maquereau. Bouche plus ample, mais surtout plus acérée, avec une acidité tranchante qui allonge le vin. Finale expressive, tonique, avec toujours cette astringence.

Richard m'a donné une bouteille d'Allier 2001 que j'ai goûtée à la maison. C'est encore très vaillant, beaucoup plus complexe, avec plus de gras et toujours cette grande fraîcheur.

Bergerac "Osée" 2008 (sans sulfite ajouté) : nez sur la noix verte, la poire fraîche, quelques épices. Bouche ronde, d'une fraîcheur éclatante, avec une très belle acidité, gagnant en puissance aromatique avec l'aération. Finale expressive marquée par l'oxydation.

Durant l'élevage, le vin n'était pas du tout oxydé. C'est après la mise que le problème est apparu. Mais Richard l'aime bien comme il est, considérant que le raisin a de multiples façons de s'exprimer, dont celle-ci. C'est un vin libre. Du moment que les gens sont prévenus...

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Château Richard 2008 : nez sur la mûre, la prunelle, et autres baies sauvages. Bouche ronde, goûtue, au fruit expressif, avec des tannins souples bien fondus. Finale sur le noyau de cerise.

Cuvée "osée" 2009 (sans soufre ajouté) : nez sur la cerise burlat et la framboise. Bouche plus puissante, plus tendue, avec des tannins veloutés. Finale serrée un peu asséchante (mais la mise est très récente).

Cuvée "osée" 2006 : nez sur la framboise, la mûre et le poivre blanc. Bouche ronde, fruitée, souple, gourmande, encore très jeune dans l'expression, sans la moindre trace d'évolution et d'oxydation (alors que le vin n'est pas conservé dans des conditions optimales : dans la "boutique", à la lumière. 

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Saussignac "tradition" 2007 ( 50% sémillon, 35 % muscadelle, 15 % sauvignon) : nez sur l'écorce d'orange, le raisin de Corinthe, le miel. Attaque fraîche, tonique, avant même de ressentir l'onctuosité de la matière, sans lourdeur aucune. Finale nette, fraîche, sans aucune sensation sucrailleuse. Chouette rapport qualité/prix : 8 € les 50 cl.

J'ai moins aimé la cuvée noble 2006, d'un intérêt limité à mes yeux.

Saussignac "Coup de coeur" 2005 : nez sur la mirabelle confite. Bouche ample, à la matière grasse, soyeuse, voluptueuse même, équilibrée par une acidité fine mais intense. Finale intense sur les agrumes confits et l'abricot rôti.

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Richard ouvre au débotté une bouteille de 2000, millésime faible, à température ambiante. Une petite merveille, sur l'abricot sec, le safran, le praliné. La bouche est fine, longue, onctueuse, sans la moindre lourdeur. La finale -fruits secs et épices - est très longue.

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Bon, c'est pas tout, il est 13h15.

Je vais laisser notre vigneron manger tranquillement...

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