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"Une forme de vie" Amélie Nothomb

Par Manus

Jadis, ce qui m’a séduit chez Amélie Nothomb, c’est son côté « malin » dans l’écriture.  Cette particularité de mettre en place des raisonnements inattendus, l'imagination surprenante qui en émane, ou encore, une façon de développer son sujet avec originalité.

Cela se traduit par des images burlesques, une écriture rapide et épurée, et bien entendu, le sujet amené, contourné, décortiqué laissant le lecteur souriant de découvrir la personnalité de l’auteur sous cette angle qu’est l’écriture.

Elle a toujours maintenu cette griffe qui la caractérise tant : forcément, on ne change pas quelqu’un. 

Pourtant, elle a perdu quelque chose en cours de route.  Je ne sais pas encore très bien de quoi il s’agit, peut-être de percevoir, de sentir une sorte d’empressement dans sa manière de rédiger, de construire ses histoires.  Son écriture compulsive n’est désormais plus ignoré par quiconque, serait-ce là que réside la clé des mes interrogations ?  Ce besoin effréné d’écrire, son obsession de coucher sur papier tout ce qui la traverse, ont qui sait, pour conséquence de la conduire à bâcler ses sujets, ou du moins, à moins les approfondir.

Dans « Une forme de vie », éd. Albin Michel 2010, roman déjà plus épais que les précédents, elle m’amuse toujours autant lorsque je découvre son style si personnel. 

L’histoire est rondement mené : un jour, elle reçoit, parmi tant d’autres, un courrier d’un soldat de 2ème classe de l’armée américaine, posté à Bagdad.  Elle lui répond, un tantinet piqué par la curiosité, puis continue à vaquer à ses diverses occupations littéraires, après lui avoir envoyé sa bibliographie intégrale, dédicacé, qui plus est.

Seulement, lui, il avait tout lu d’elle, et ce qu’il souhaitait avant tout, c’était d’être compris par cette auteure au travers duquel il croyait deviner l’humanité.  Un long échange, étalé sur plusieurs mois, voit le jour.  De fil en aiguille, elle apprend qu’en réalité l’homme est obèse et souffre de boulimie.  Condition volontairement recherchée par le soldat qui y voit une possibilité de résistance à l’armée américaine face aux conditions déplorables auxquelles il est confronté.

Leur échange se construit, Nothomb réussit à surprendre encore le lecteur par des rebondissements inattendus.

Outre l’histoire cocasse, ce qui intrigue et peut émouvoir ceux qui affectionne l’œuvre d’Amélie Nothomb,  c’est que dans « Une forme de vie » elle s’offre comme étant comestible.  En effet, le lecteur aura l’occasion de la déguster, de la manger toute crue tant elle se livre et nous ouvre à sa vie.

Jamais auparavant elle n’aura été si loin dans le dévoilement de son fonctionnement, dans la révélation de son intime.

« Je vais écrire une chose grave et vraie : je suis cet être poreux à qui les gens font jouer un rôle écrasant dans leur vie.  Nous avons tous une dimension narcissique et il serait plaisant de m’expliquer ces phénomènes récurrents par ce qu’il y a en moi d’extraordinaire, mais rien en moi n’est plus extraordinaire que cette malheureuse porosité dont je soupçonne les ravages.  Les gens sentent que je suis le terreau idéal pour leurs plantations secrètes (…) » p88.

D’autres passages, de nombreux passages en réalité, où le lecteur réalise qu’elle répond à tout son courrier, qu’elle prend du plaisir à cela et que dans certains passages, elle semble vouloir s’expliquer, régler ses comptes avec la critique littéraire probablement, où elle dit ceci :

« Le fait que je réponde à mon courrier génère une profonde confusion, des interprétations erronées et contradictoires.  La première est qu’il s’agit d’une forme de marketing que j’aurais mise au point.  Les chiffres sont pourtant clairs : mes lecteurs se comptent par centaines de milliers, et même en écrivant des épîtres comme la forcenée que je suis, je n’ai jamais pu dépasser les 2000 correspondants, ce qui est déjà démentiel. (…) » p. 118

Le roman se lit rapidement, c’est l’évidence, il est bien tourné même si une fois de plus, le sentiment qu’elle n’ait pas tout donné sur le plan littéraire prime, alors que paradoxalement, elle a fait le don d’elle-même.

Un roman nothombien, touchant par l’authenticité qui s’en dégage, mais qui n’est qu’un aperçu de sa capacité à créer l’œuvre magistrale, comme à ses débuts.

J’oubliais : autre fait touchant : çà et là, elle aime rappeler au lecteur qu’elle est belge.

Savina de Jamblinne.


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