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Un déséquilibre à corriger

Publié le 17 septembre 2010 par Alain Dubois

Tour de PiseSouvent, on a l’impression de vivre à l’ombre de la Tour de Pise. Pendant que Loto-Québec a accès à des revenus milliardaires pour faire ou acheter des études qu’elle garde secrètes, la Santé n’a quasiment plus de ressources financières à consacrer au jeu après qu’elle ait payé le coût du programme de thérapie.

Loto-Québec a le devoir de générer des revenus pour que l’État puisse assumer les services publics. Le ministère de la Santé a la responsabilité de contrecarrer le jeu pathologique. Depuis la création des casinos et l’implantation du parc d’ALV, tout le monde, au Québec, a bien compris à quel point ces deux missions sont carrément antagonistes, et qu’il appartient au gouvernement d’imposer les règles d’un juste équilibre.

Il serait faux de prétendre que le gouvernement ne fait aucun effort. Mais, souvent, on a l’impression de vivre à l’ombre de la Tour de Pise. Pendant que Loto-Québec a accès à des revenus milliardaires pour faire ou acheter des études qu’elle garde secrètes, la Santé n’a quasiment plus de ressources financières à consacrer au jeu après qu’elle ait payé le coût du programme de thérapie. Pourtant, ne serait-il pas logique que deux composantes gouvernementales puissent avoir accès aux mêmes bases de données, qui sont, à toutes fins pratiques, payées par l’argent du gouvernement?

C’est bien connu. Le secret commercial de Loto-Québec a le statut des secrets militaires de la Défense nationale. Y a-t-il un besoin d’empêcher une juridiction concurrente de connaître un point faible du marché québécois? Pas vraiment. À quand remonte la dernière tentative d’un gouvernement étranger pour vendre ses produits de jeu au Québec? Au sweepstake irlandais … vendu sous le manteau par Abraham Martin … heu, non, il était écossais. En tout cas, ce n’est pas récent.

Une juridiction étrangère ne vend pas ses produits au Québec, et le Québec ne vend pas ses produits à l’étranger. J’ai toujours compris que cela fait partie des ententes, tout aussi secrètes, qui se négocient à la World Lottery Association (WLA). Bien franchement, l’obsession du secret commercial ne vise pas à garder les concurrents dans l’ignorance. Les partenaires commerciaux de Loto-Québec, c’est-à-dire la WLA au grand complet, sont certainement mieux informés de la situation du jeu au Québec que ne le sont les responsables de la Santé.

Parmi les données que la Santé devrait connaître pour bien se préparer à l’avènement du jeu en ligne, il y a les études financières produites par des firmes comptables spécialisées dans le jeu. Lorsque le projet de jeu en ligne a été rendu public, le président de Loto-Québec a cité une étude du Boston Consulting Group pour appuyer ses prévisions financières. Boston qui? Mais surtout Boston où, car aucun scientifique du jeu pathologique n’a vu ne serait-ce que la couverture de ce document. Difficile de faire la part entre l’enthousiasme d’un promoteur et une réalité concrète qui justifierait le développement de services cliniques ou communautaires.

Plutôt que de parler vaguement d’une fuite économique majeure vers l’étranger, il existe des études détaillées produites par des firmes dont les clients sont les corporations de jeu. Il y a notamment les firmes « Global Betting and Gaming Consultants » et « H2 Gambling Capital » qui produisent, depuis plusieurs années, un suivi financier de l’expansion du jeu en ligne. Étant des études très dispendieuses à acquérir, il est illusoire de croire que la Santé puisse se les payer. On y trouve pourtant des informations déterminantes pour la planification des ressources et programmes de santé en ce qui concerne le jeu pathologique.

En fait, ces études ne sont pas complètement secrètes. Parfois, les fabricants de jeu en ligne citent quelques statistiques favorables à la vente de leurs produits. On comprend immédiatement de ces extraits à quel point ces informations seraient aussi utiles à une planification rationnelle des services de santé.

Parmi les fabricants les plus transparents, on trouve la compagnie Net Entertainment dont les rapports annuels sont véritablement instructifs. Ce qu’on y lit est étonnant. Par exemple, à la page 16 du rapport annuel 2009, on apprend que la firme H2 Gambling Capital n’entrevoit, pour 2010, qu’un très faible accroissement du jeu en ligne en Amérique du Nord (3,5%) à comparer à l’Europe (20,5%) où se situent près de la moitié des joueurs en ligne. Selon cette étude, c’est en Amérique du Nord que la croissance anticipée est la plus faible. On déduit immédiatement l’intérêt de l’industrie pour relancer le jeu en ligne par d’autres moyens que les moyens utilisés jusque-là.

Tout le rapport annuel 2009 est fort intéressant à lire. Il faut avoir l’œil attentif. Parmi une abondance de détails techniques, il y a une toute petite donnée qui change radicalement l’interprétation que l’on fait habituellement du nombre de joueurs actifs rapportés par les exploitants. À la page 8, on lit que seulement 20% des joueurs actifs sont vraiment des joueurs réguliers. Ils ne sont pas si actifs que ça les joueurs actifs!

Bien que plus anciennes, les pages 14 et 15 du rapport annuel de 2007 ne sont pas à dédaigner. On y trouve, cette fois, des données longitudinales de la firme Global Betting and Gaming Consultants. Ces données indiquent que la croissance du jeu en ligne n’est pas anticipée dans les activités de poker. Après l’effet Moneymaker, qui a débuté en 2004, le poker en ligne a saturé. Les rapports annuels 2009 de plusieurs exploitants ont fait plus que confirmer cette prévision de 2007. Le poker en ligne régresse actuellement. Par ailleurs, à la page 15, on constate que c’est en Europe que l’expansion du jeu en ligne, si alarmante, s’est produite.

À quel point a-t-on un problème de jeu en ligne au Québec? C’est dans les détails, les plus précis, de documents semblables que la Santé peut trouver les données qui lui permettront d’être préparée adéquatement à l’avènement d’un site de jeu en ligne étatique.

Photo (résolution réduite) de la Tour de Pise: Jean-Christophe Benoist


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