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Désolé pour la moquette

Par Gjouin @GilbertJouin
Désolé pour la moquette
Théâtre Antoine
14, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 42 08 77 71
Métro : Strasbourg Saint-Denis
Une pièce écrite et mise en scène par Bertrand Blier
Avec Myriam Boyer, Anny Duperey, Patrick Préjean, Abbès Zahmani, Jean Barney
Ma note : 8/10
L’histoire : En raison d’un obscur décret, une bourgeoise te une clocharde sont amenées à partager le même morceau de moquette. Une main tendue, et tout bascule. Les rôles sont soudain inversés. La bourgeoise voit sa vie (et son époux) sous un nouvel angle. Tandis que la SDF, passée du bon côté, commence à regretter son clochard divinement membré…
Mon avis : Quel privilège que de passer en trois soirs du Dîner de cons à Kramer contre Kramer puis à Désolé pour la moquette… Trois univers totalement différents, trois publics eux aussi différents… et trois plaisirs également différents. C’est comme en amour ; quand plaisir il y a, si les sensations pour parvenir à l’orgasme - avec des partenaires différents, bien sûr – ne sont (heureusement) pas les mêmes, il n'y a que le résultat qui compte. Pour être un peu plus explicite, avec Le Dîner de cons, on fait l’amour allègrement avec un bon copain ou une bonne copine, avec Kramer contre Kramer, on s’offre une relation pleine de romantisme et de tendresse, et avec Désolé pour la moquette, on se vautre avec délices dans une bonne partie de cul bien gaillarde et sans tabous. Ces trois formes d’ébats sont tout aussi jouissives que complémentaires.
Ce préambule, un peu alambiqué je l’admets, nous amène donc au théâtre Antoine où Bertrand Blier nous propose une deuxième pièce qui s’inscrit, du moins pour la forme, dans la lignée des Côtelettes. D’ailleurs, un des personnages n’affirme-t-il pas à un moment que nous ne sommes « que de la viande »… Bertrand Blier est un auteur à part, au cinéma comme au théâtre. Il ne s’interdit rien. Il est surtout un grand amoureux du verbe et ses dialogues contiennent des phrases d’anthologie (je pense entre autre à ce vibrant exposé sur les différentes formes de dégueulis…). Et quand ils sont servis par des comédiennes de la trempe de Myriam Boyer et Anny Duperey, on touche au sacré… J’ai l’air d’exagérer, mais l’univers de Bertrand Blier me plaît et me réjouit particulièrement. Il y a chez lui un mélange de non sens britannique et de farce bien gauloise, rabelaisienne à souhait.
Disons-le tout net, ce genre de pièce ne peut pas plaire à tout le monde, comme disait l’autre. Si on n’adhère pas, on s’offusque, on s’outre, on est choqué, et on pousse de gros soupirs chagrins. Puritains et trompes d’Eustache délicates s’abstenir… Mais quand on adhère, alors quelle jubilation de tous les instants. Il est gonflé le Bertrand. Si Myriam Boyer, connue pour son franc parler et sa truculence est comme un poisson dans les eaux fangeuses qui s’écoulent de la plume de l’auteur, quelle surprise que de découvrir Anny Duperey dans un tel registre. Réussir à lui faire tenir à elle, si élégante et d’apparence tellement « bourgeoise », des propos aussi crus, aussi graveleux et lui faire jouer des scènes aussi croustillantes, ça donne encore plus de piment à la provocation. Elle se livre avec Patrick Préjean, le « clochard céleste », à une scène d’une incroyable sensualité.
Parfois, au milieu de cette misère humaine, s’échappent de jolies bulles de poésie pure. Mais ; attention, si les dialogues hauts en couleurs nous arrachent fréquemment des éclats de rire, on ne peut s’empêcher de recevoir en pleine figure la critique sociale qui est en permanence sous-jascente au propos. Car ce sont en fait cinq solitudes qui se débattent dans un monde impitoyable et broyeur. Leur quête d’amour est pathétique ; comme leur besoin de communiquer ainsi que le proclame le personnage de Myriam Boyer : « Parler, ça fait circuler de la chaleur humaine »…
La fin, complètement inattendue, nous entraîne dans un second degré qui confine à l’absurde. La pièce part soudain en vrille, on revient soudainement à la réalité du théâtre, exactement comme si on était brutalement arraché à un rêve.
Les cinq comédiens jouent à ravir cette partition insolente et souvent dérangeante. Chacun à son tour, par besoin de s’épancher et d’être écouté tout en se parlant à soi-même, se livre à des confessions intimes et impudiques. Il y a énormément de détresse et en même temps un féroce appétit de vivre. On s’accroche à ce qu’on peut, et surtout aux autres. Il y a entre ces cinq comédiens une évidente complicité. Les regards et les sourires qu’ils échangent sont éloquents. C’est comme des galopins qui seraient tout heureux d’avoir réussi une bonne farce. Et, franchement, ils peuvent être fiers d’eux… et de leur auteur et metteur en scène, Bertrand Blier.

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