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Un mariage forcé

Publié le 19 septembre 2010 par Jlhuss

art_961761284708671.1284837637.jpgOn connaît le mot de Sacha Guitry : “Quoi de neuf ? Molière.”  Après trois siècles et demi, l’auteur français le plus connu au monde avec Hugo nous interpelle encore sur nos vanités, nos despotismes, nos naïvetés, nos rapacités, nos hypocrisies. Sous le masque du rire, l’auteur de Tartuffe et de L’Ecole des femmes n’a cessé de combattre pour la liberté. Notre premier militant des Lumières, bien avant Arouet, si c’était Poquelin ? Même dans les combats qu’on croyait chez nous enfin gagnés, comme celui de l’émancipation des femmes,  la voix de Molière, au vu de nos mutations sociologiques récentes, retrouve un ton vif d’actualité dans bien des pièces, et particulièrement dans la sombre  comédie de George Dandin. Ce riche paysan avait cru s’élever au-dessus de sa condition en épousant une fille de nobliau, Angélique de Sotenville. Or voici qu’il l’accuse de prêter l’oreille aux galanteries d’un jeune seigneur des environs. Mais que valent les sermons d’autorité contre l’élan de la jeunesse et l’exigence d’aimer selon son coeur ?

Arion

George Dandin.  Le voilà qui vient rôder autour de vous.
Angélique.   Hé bien, est-ce ma faute ? Que voulez-vous que j’y fasse ?
George Dandin.   Je veux que vous y fassiez ce que fait une femme qui ne veut plaire qu’à son mari. Quoi qu’on puisse en dire, les galants n’obsèdent jamais que quand on le veut bien. Il y a un certain air doucereux qui les attire, ainsi que le miel fait les mouches ; et les honnêtes femmes ont des manières qui les savent chasser d’abord.
Angélique.  Moi, les chasser ? et par quelle raison ? Je ne me scandalise pas qu’on me trouve bien faite, et cela me fait du plaisir.
George Dandin.
  Oui. Mais quel personnage voulez-vous que joue un mari pendant cette galanterie ?
Angélique.  Le personnage d’un honnête homme qui est bien aise de voir sa femme considérée.
George Dandin.  Je suis votre valet. Ce n’est pas là mon compte, et les Dandin ne sont point accoutumés à cette mode-là.
Angélique.  Oh ! les Dandin s’y accoutumeront s’ils veulent. Car pour moi, je vous déclare que mon dessein n’est pas de renoncer au monde, et de m’enterrer vive dans un mari. Comment ? parce qu’un homme s’avise de nous épouser, il faut d’abord que toutes choses soient finies pour nous, et que nous rompions tout commerce avec les vivants ? C’est une chose merveilleuse que cette tyrannie de Messieurs les maris, et je les trouve bon de vouloir qu’on soit morte à tous les divertissements, et qu’on ne vive que pour  eux. Je me moque de cela, et ne veux point mourir si jeune.
George Dandin.  C’est ainsi que vous satisfaites aux engagements de la foi que vous m’avez donnée publiquement ?
Angélique.   Moi ? Je ne vous l’ai point donnée de bon coeur, et vous me l’avez arrachée. M’avez-vous, avant le mariage, demandé mon consentement, et si je voulais bien de vous ? Vous n’avez consulté, pour cela, que mon père et ma mère ; ce sont eux proprement qui vous ont épousé, et c’est pourquoi vous ferez bien de vous plaindre toujours à eux des torts que l’on pourra vous faire. Pour moi, qui ne vous ai point dit de vous marier avec moi, et que vous avez prise sans consulter mes sentiments, je prétends n’être point obligée à me soumettre en esclave à vos volontés ; et je veux jouir, s’il vous plaît, de quelque nombre de beaux jours que m’offre la jeunesse, prendre les douces libertés que l’âge me permet, voir un peu le beau monde, et goûter le plaisir de m’ouïr dire des douceurs. Préparez-vous-y, pour votre punition, et rendez grâce au Ciel de ce que je ne suis pas capable de quelque chose de pis.
George Dandin.  Oui ! c’est ainsi que vous le prenez. Je suis votre mari, et je vous dis que je n’entends pas cela.
Angélique.  Moi je suis votre femme, et je vous dis que je l’entends.
George Dandin, à part.  Il me prend des tentations d’accommoder tout son visage à la compote, et de le mettre en état de ne plaire de sa vie aux diseurs de fleurette. Ah ! allons, George Dandin ; je ne pourrais me retenir, et il vaut mieux quitter la place.

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Molière, George Dandin, 1668


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