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Oreiller d'herbes de Natsume Sōseki

Publié le 05 mai 2009 par Kiwibleu By Patricia Ramahandry

En 1906, au Japon, Sōseki Natsume, dans son subtil et poétique Oreiller d'herbes, met en scène un artiste, peintre et poète, qui se retire à la montagne pour peindre, méditer sur son art et l'acte de création. Celui-ci s'installe dans un établissement thermal abandonné depuis longtemps par les visiteurs....
Ce roman-haïku, critique de la modernité et de Tokyo et qui se concentre sur ce qui fait la sensibilité japonaise ancestrale se trouve être considéré comme le point de départ de la modernité au Japon...

Je gravissais un sentier de montagne en me disant : à user de son intelligence, on ne risque guère d'arrondir les angles. A naviguer sur les eaux de la sensibilité on s'expose à se laisser emporter. A imposer sa volonté, on finit par se sentir à l'étroit. Bref il n'est pas commode de vivre sur la terre des hommes.
Lorsque le mal de vivre s'accroit, l'envie vous prend de vous installer dans un endroit paisible.
Oreiller d'herbes (草枕 Kusamakura) - Natsume Sōseki (夏目 漱石) - 1906

Mais qui étiez-vous Natsume Sōseki... ?

En 1867, Kinosuke Natsume naît à Edo et meurt à Tōkyō en 1916, même ville dont seul le nom a changé huit mois après sa naissance.
Le Japon entrait dans l’ère Meiji (mei 明 = lumière, clarté - ji 治 = gouvernement), bondissant d’un système moyenâgeux à l’état de nation moderne. Véritable révolution politique, sociale, industrielle, et militaire, cette période historique (1868-1912), mit fin à la politique d'isolement volontaire du Japon et vit le début de sa magistrale modernisation. Son entrée organisée et volontaire dans l’ère industrielle lui permit de traiter d'égal à égal avec les Occidentaux et lui évita de tomber sous leurs dominations. De fait, l'archipel fut l'une des rares contrées d'Asie à n’avoir jamais été « colonisée » par aucun autre pays.

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Mais revenons à Kinosuke Natsume... qui grandit et s'éveille à la littérature précisément à cette période-là. Il a vingt ans quand en1887, il rencontre Shiki (1867-1902) durant leurs études communes.
En 1888, comme Edo devenue Tokyo, il prend pour nom de plume Sōseki (dont les kanji japonais signifient obstiné), très influencé par l’aura de Shiki qui oeuvre à l’envol du haïku contemporain et lui enseigne cet art si subtil.
En haïku, comme en poésie ou en littérature, l'habitude est de se choisir un nom de plume aidant à prendre son envol qui reflète un miroir intérieur en son jardin secret et donnent la clé pour le partager au jardin public qu’est l’écriture.
Deux façons différentes existent pour nommer les haïkistes japonais, la première en ne donnant que le nom de plume, ici Sōseki, la seconde en mettant le nom de famille avant le nom de plume, soit, Natsume Sōseki (夏目 漱石).
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Shiki reconnaît en Sōseki un poète moderne et dit de lui : "Sōseki a écrit ses premiers haïkus en 1895. Dès le début, j’ai décelé une originalité dans l’invention. Parmi ceux qui font preuve d’innovation, nombreux sont les poèmes qui n’appartiennent qu’à lui."
De 1900 à 1903, il ira vivre en Angleterre puis reviendra au Japon enseigner l'anglais. De cette période, confronté à l'Occident, il laissera des textes très variés qui relatent son expérience londonienne ; certains sont empreints de rêveries...
En 1905, parait Je suis un chat ((Wagahai wa neko de aru - 吾輩は猫である). D'abord publié en feuilleton dans une revue. Il fit connaître Sôseki au grand public et lui donna le loisir de ne plus enseigner et de ne vivre enfin que de sa passion, la littérature et la poésie.

"l'oreiller de certaines herbes (liées)"

Tout entier, Oreiller d’herbes pourrait se comparer à un haïku... Le titre même de ce roman vient d’un expression couramment utilisée dans la poésie japonaise classique.
Oreiller d’herbes en japonais s’écrit Kusamakura (草枕), il est lié aux mots voyage, rosée, lier, c’est un terme rattaché à d’autres, ce qui est très courant dans la poésie japonaise car " l'oreiller de certaines herbes (liées) possédait, selon la croyance, le pouvoir d'exorciser le mauvais esprit dans une auberge."
Et l’histoire commence en effet dans une auberge. L’esprit de l’auteur vagabonde dans des sortes d’espaces brumeux, de clair obscur d’où jaillissent rêves ou ombres fantômatiques. Puis, revenant à lui, l’esprit se dégage des ombres, du mouvement fleuve de l’imaginaire et poétise sa pensée.

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Oreiller d’herbes est très personnel dans son approche poétique des sensations mais aussi son sens de l’humour, de l’auto-dérision mettant en retrait son auteur tout en l’encerclant, un peu comme un immense haïku. En effet, dans le haïku l’auteur reste en dehors de son poème, et pourtant se cache dans l’intériorité de son poème, dévoilant l’originalité de son regard en créant un instantané poétique reflété, rebondissant dans tous les autres regards…
Sôseki livre ses émotions, sa pensée autant dans les haïkus qu’il écrit, que dans des œuvres comme Oreiller d’herbes où il tourne autour de ses haïkus, dans un grand fleuve poétique.
Oreiller d'herbes est aussi à la fois un récit oscillant entre Japon et Occident et quelque chose qui relèverait d'un essai esthétique, d'une critique de la modernité et d'une ôde au Japon traditionnel quand Sōseki parsème son oreiller de haïkus. Il dénommait d'ailleurs lui-même ce roman, un roman-haïku.
Paradoxalement, ce roman-haïku, critique de la modernité et de Tokyo et qui se concentre sur ce qui fait la sensibilité japonaise ancestrale se trouve être considéré comme le point de départ de la modernité au Japon. Le Japon était à l'ère Meiji...
Et Natsume Sōseki est devenu l'écrivain le plus célèbre et le plus représentatif de cette ère.
Oreiller d’herbes
Rivages poche dans la collection bibliothèque étrangère
Traduit par René de Ceccaty et Ryu Nakamura
Bon dimanche...


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