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Souvenir.

Par Ananda

A Mauricia Marrier d’Unienville, ma mère.

 

 

Tu aimais regarder la pluie. Rêveuse et triste.

A quoi songeais-tu ?

A ton exil ? Au fils que tu avais perdu ?

Aux sentiments que tu avais consciencieusement cachés en toi toute ta vie ?

A Maurice, à Madagascar, au cimetière de Tananarive où, si loin désormais, tu avais abandonné la tombe de tes parents ?

A ta mère dont on t’avait interdit de cultiver le souvenir ?

A ton père, l’écrasant, l’impérieux, le sévère, le tant aimé Monsieur d’Unienville ?

Je me souviens : tu pouvais rester là des heures, dans la pénombre gélatineuse, à regarder la pluie tomber, car, disais-tu, tu « aimais bien ça ».

Avec délice, tu te fondais dans la pluie, dans le crépuscule, et dans le temps qui ne passait plus. Tu les épousais comme s’ils avaient été de seconds vêtements. Ils te gommaient.

Cela se faisait tout seul, d’une manière toute naturelle, au fil des minutes : magie de ta mélancolie fluide !

On eût dit que tu te laissais couler, que tu disparaissais peu à peu, à force de souhaiter t’abolir.

Et moi, ta fille, mystérieusement, je n’avais besoin d’aucun son, d’aucune explication, d’aucune résonnance de verbe pour savoir que ton mutisme confiait, en la cachant, toute une histoire.

Une histoire de plantations, de violence, d’amours non admises, d’émotions reléguées à jamais aux tréfonds du silence, de la honte. Une histoire qui faisait automatiquement, forcément mal. Qui , depuis toujours, te rongeait, te recroquevillait en toi-même. Qui, en toi, n’avait laissé que non-dits, traces de résignation blessée. Une histoire d’une pesanteur et d’une absence à vous couper le souffle.

Ressassais-tu tes souvenirs ?

Remâchais-tu tes nostalgies ?

Ton silence, maman. Aussi obstrué, lourd qu’une pierre de caveau.

Aussi obsédant, aussi parlant, aussi insoutenable, à force, que cri, que cascade, que crue de larmes qui romprait ses digues. Aussi inexpugnable que l’est tout émoi puissant lorsqu’il se caille.

Je me souviens :

je ne me lassais pas de détailler ton masque lisse, jaune.

Sans doute étais-je la seule à connaître la plénitude du secret que cachaient tes traits impavides, qui semblaient inaptes à vieillir.

Pommettes hautes, minuscule nez un peu aquilin, yeux bridés.

J’aurais fait n’importe quoi pour te soutirer des détails, pour te venir en aide.

Patricia Laranco.


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