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Flaubert inlassablement contre la Bêtise

Par Argoul

Pour l’écrivain, l’art est l’anti-bêtise. L’art observe les choses et les êtres tels qu’ils sont alors que la bêtise les voit comme la société le voudrait. Voilà pourquoi les vrais écrivains sont toujours révolutionnaires, ils mettent l’œil où « il ne faut pas » et le doigt où ça fait mal. Balzac « passait pour immoral, infâme, etc. Comme si un observateur POUVAIT être méchant ! La première qualité pour voir est de posséder de bons yeux – or, s’ils sont troublés par les passions, c’est-à-dire par un intérêt personnel, les choses vous échappent » (à sa nièce Caroline, 9 décembre 1876, p.139).gustave-flaubert-portrait.1280583425.jpg

La bêtise n’est pas que celle de la foule ou celle de l’opinion commune. Gardez-vous des « experts » et autres « spécialistes » ! Les médecins (Flaubert est d’une famille de médecins) « étant généralement d’une ignorance crasse ». Les botanistes aussi, comme la plupart des « savants ». A propos d’une question technique sur les fleurs, Flaubert interroge trois spécialistes qui ne comprennent pas la question, pourtant exposée logiquement et en bon français. Tous répondent à côté. « Quelles drôles de cervelles que celles de savants, pour ce pas distinguer une idée accessoire d’une idée principale ! » (à sa nièce Caroline, 27 mars 1880). « Voilà la vraie immoralité : l’ignorance et la Bêtise ! Le Diable n’est pas autre chose. Il se nomme Légion » (à sa nièce Caroline, 12 janvier 1877, p.169).

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Surtout lorsque l’ignorance et la bêtise sont armées de pouvoir. Quiconque se sent investi d’une autorité quelconque se voit plus grand, plus avisé que tout autre et ses préjugés font loi. « Le public n’est pas si bête que ça. Il n’y a de bête, en fait d’Art, que 1° le gouvernement, 2° les directeurs de théâtre [aujourd’hui les histrions de télé], 3° les éditeurs, 4° les rédacteurs en chef des journaux et 5° les critiques autorisés – enfin tout ce qui détient le Pouvoir – parce que le Pouvoir est essentiellement stupide. Depuis que la terre tourne, le Bien et le Beau ont été en dehors de lui » (à sa nièce Caroline, 18 avril 1880, p.885). Autour du pouvoir gravitent les partisans. Ceux de l’Ordre sont les pires, plus conventionnels que les gens au pouvoir, car aspirant à y parvenir. « Ce qui me soutient, c’est l’indignation que me procure la bêtise du Bourgeois ! Résumée actuellement par le grand parti de l’Ordre, elle arrive à un degré vertigineux ! » (à Maurice Sand, 29 août 1877, p.282).

Les Croyants naïfs sont aussi bêtes (la foi, c’est autre chose) : « Quel tas de bêtises ! Ouf ! – Et quel aplomb ! Quel toupet ! Ce qui m’indigne ce sont ceux qui ont le bon Dieu dans leur poche et qui vous expliquent l’incompréhensible par l’Absurde ! Quel orgueil que celui d’un dogme quelconque ! » (à Edma Roger des Genettes, 4 mars 1879, p.564). D’autant que le dogme s’arme du pouvoir pour imposer ses clercs. « Du moment que vous vous élevez, ON (l’éternel et exécrable ON) vous rabaisse. C’est pour cela que l’Autorité est haïssable essentiellement » (à sa nièce Caroline, 15 décembre 1879, p.766). D’autant que le dogme, l’Ordre ou l’Autorité, sont le souvent le paravent commode des turpitudes : ce curé qui devrait élever l’âme, défonce le fondement de ses jeunes paroissiens ; cette bonne dame charitable qui recueille les garçons orphelins s’en sert de godemichés dès qu’ils peuvent, etc. Flaubert aime citer ces faits divers car ils mettent en lumière la face cachée de la « bonne » société qui se pique de vertu. Ainsi de ‘Boule de suif’ de Maupassant, son disciple : « c’est au contraire très moral, puisque l’Hypocrisie et la Lâcheté y sont flagellées durement. On goûte en lisant cela comme le plaisir d’une vengeance » (à Léonie Brainne, 3 février 1880, p.817).

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Car « Tout l’esprit d’un auteur, dit La Bruyère, consiste à bien définir et à bien peindre » (à Guy de Maupassant, 19 février 1880). Tout est dit : la liberté passe par les auteurs et toute censure est tartufferie et bêtise.

Gustave Flaubert, Correspondance tome 5, janvier 1876-mai 1880, édition Jean Bruneau et Yvan Leclerc, Pléiade Gallimard, 2007, 1556 pages


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