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Pas de pitié pour la croissance

Publié le 29 septembre 2010 par Ecosapiens

Pas de pitié pour la croissance

Au commencement était le Verbe

Il y eut une époque relativement sereine, c’était il y a à peine quatre ans, où quand on parlait de décroissance, les gens étaient stupéfaits et ne prenaient pas la peine de débattre tellement l’idée semblait farfelue.

C’était une notion d’extra-terrestre. Aussi, quand la question était évoquée, à gauche comme à droite, comme on manquait de culture sur cette question, l’habile politicien se contentait de répondre deux choses:

« Moi je ne suis pas pour la décroissance car je suis pour la croissance des énergies renouvelables et de l’amour par exemple»  (argument sémantique – Benhammias)

« Il est indécent, quand on voit la pauvreté en France comme dans le monde, de prôner la décroissance»  (argument moraliste – Juppé)

Au fil du temps, certains ont réalisé qu’ils n’avaient rien compris. Comme toujours, ils confondaient richesse et croissance, ils confondaient bien-être et production de marchandises. Mais peut-on leur jeter la pierre quand on voit le flou sémantique entretenu par économistes et médias sur ce qu’est la croissance.

Alors, ils ont sorti cette réponse:

« Moi je veux bien qu’on fasse la décroissance, mais je suis pas sûr que les Chinois aient envie»  (argument fataliste – Juppé bis !).

Il y a un argument qui a disparu aussi vite qu’il est apparu c’est celui sur lequel reposait au fond le développement durable :  l’idée que la technologie allait résoudre les dégâts de notre empreinte écologique. Des voitures moins polluantes, des avions moins polluants, des télé-conférences (mais pourquoi si les avions ne polluent plus ?).

Et ça repart comme en 40.

L’apostasie durable

Pas de pitié pour la croissanceOr, depuis un an, il y a manifestement un regain d’intérêt pour discuter de la décroissance. Le ton se fait plus virulent. Sur les questions environnementales, pas un politique (Vert compris) qui ne précise en préambule  : « Bon d’abord, moi je ne suis pas pour la décroissance« . Ils se sont passés le mot, comprenant qu’ils pouvaient perdre beaucoup de crédit à dire que ce concept n’était pas idiot (ou mal compris).

De l’autre côté, les tenants du développement durable commencent aussi à déchanter. A commencer par Dominique Bourg, pape du DD en France qui affirme aujourd’hui « Arrêtons la farce du développement durable« *. Son mentor américain, Tim Jackson, dans une interview sur Rue89  appelle quant à lui à une rupture avec le moteur de la croissance.

Que s’est-il passé ?

L’explication perfide qui me vient à l’esprit est que ces pionniers ont senti qu’ils s’étaient fait dépasser. Ils ont senti qu’aujourd’hui, il y avait plein d’autres ténors du développement durable et que donc, pour retrouver un statut de pionnier, il fallait se démarquer. Et du coup durcir un peu le ton.

Il ne faut pas oublier que dans l’histoire des Idées, ce sont souvent des conflits d’égo qui déroulent le fil invisible…

D’un côté, on se réjouit de voir tant de gens crédibles pour les décideurs devenir plus radicaux. De l’autre, on est tout de même stupéfait de voir que manifestement, ces apostats, n’ayant pas lu quelques ouvrages sur la décroissance, sont en train de réinventer la roue. On a perdu 40 ans.

Et peut-être plus, car le déni de réalité est tenace !

Le fil d’Ariane

Pas de pitié pour la croissance

Dans le cycle de Fondation,  Isaac Asimov imagine la psychohistoire. Il s’agit d’une science sociale prédictive où les psychohistoriens sont capables de prévoir l’avenir dans ses grandes lignes, pouvant ainsi anticiper certains évènements chaotiques. Ils dégagent des tendances et ainsi peuvent sauver la Fondation à travers les âges…

D’une certaine manière, la psychohistoire existe bel et bien mais elle est relève plus du pari que de la science. Ainsi, des cabinets d’experts établissent des scenarios prenant en compte le pic du pétrole, le changement climatique, le coût des matières premières, la consommation des ménages etc.

Exercice périlleux on s’en doute puisqu’il y a 15 ans, Internet n’existait pas, qu’il y a 10 ans, personne n’avait de téléphone portable etc. Difficile d’estimer offre et demande ne serait-ce que dans les 6 mois à venir.

Et pourtant… il nous faut bien un scenario, un fil d’Ariane. Un peu comme dans une start-up où l’on expose le plus sérieusement du monde à ses investisseurs, un budget prévisionnel sur 5 ans, un peu avant que Google existe, ou Facebook ou Twitter… Tout le monde fait semblant d’y croire. Parce que sinon, comment l’économie tournerait-elle ?

Le 10 Septembre 2010, à l’initiative du député vert Yves Cochet, quatre cabinets ont exposé leur scénario. Deux versions françaises, une version anglaise et une version danoise. Même si elles s’inscrivaient dans la même vaine (aucune n’avait émis l’hypothèse de la fusion nucléaire, du mouvement perpétuel ou de l’extraction des sbales bitumineux) elles différaient sensiblement.

Pas de pitié pour la croissance

L’un de ces scénarios est relativement célèbre. C’est le scénario négaWatt, notion issue de l’écologiste américain Amory Lovins.

Ici le tiercé gagnant et dans l’ordre est : sobriété, efficacité, renouvelable. Remarquez que le renouvelable arrive en fin de course ! Cette approche résume au mieux ce qu’est la décroissance par rapport au développement durable. Il y a des gisements de négaWatts partout ! Et quand on aura fait le tour des ces « gaspillages»  on aura déjà réduit la facture énergétique par quatre.

Ainsi, sur le graphique final du scénario négaWatt, nous arrivons en 2050 avec un peu de gaz, un reste de pétrole, du renouvelable et plein plein de négaWatts.

Le scénario devrait être réactualisé en 2011 mais une chose est sûre, par cette approche énergétique (et non économique) on a déjà une bonne piste pour savoir si oui ou non la Fondation sera encore là en 2050…

*citation de Dominique Bourg

« Nous parlons de développement durable depuis plus d’une vingtaine d’années. C’était une tentative pour dissocier la croissance du PIB de la consommation d’énergie des ressources naturelles.

Nous savons maintenant que c’est impossible. Deuxième diagnostic sévère sur le développement durable : ce devrait être une démarche de prévention, d’anticipation à l’échelle des problèmes globaux, tant en matière d’environnement que de répartition de la richesse. Or, force est de constater que le développement durable est à cet égard un échec, même s’il est inspiré maintes actions intéressantes à une échelle locale, également pour les entreprises (…)

Repensons à ce que disaient les grands textes fondateurs de la réflexion écologique des années 1970, ceux d’Illitch, des époux Meadows, les auteurs du rapport au club de Rome, de Georgescu-Roegen, Goldsmith ou Gorz. Tous n’envisageaient d’autres possibilités qu’une décroissante des économies.
Or, nous sommes désormais contraints de considérer à nouveau cette perspective. Telle est part exemple la position défendue en mars 2009 par la commission britannique du développement durable. Le rêve d’un découplage entre la croissance des économies et la consommation de ressources a fait long feu.
Il convient donc de refermer la parenthèse du développement durable.

Cessons de croire que nous pouvons harmoniser une économie purement financière, dont les instruments visent à rendre impossible toute considération de long terme, et la préservation de la biosphère. Finissons-en avec la rhétorique des trois piliers et d’un équilibre aussi trompeur que mensonger entre les dimensions économiques, social et écologique. »

Revue Etudes, Juillet 2010, cité par La Décroissance Août 2010


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