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Avec Loppsi, "la liberté d'expression sur Internet est en danger"

Publié le 30 septembre 2010 par Letombe

Alors que la loi sur la sécurité intérieure revient à l'Assemblée nationale, Reporters Sans Frontières continue de dénoncer "une loi complètement liberticide pour Internet" qui vise à  "contrôler le web".

Avec Loppsi, Lucie Morillon, responsable du bureau Internet et libertés chez RSF (DR)

La loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi) revient à l'Assemblée nationale, en deuxième lecture. Le texte a déjà été adopté au Sénat malgré les nombreuses critiques d'associations dont Reporters Sans Frontières (RSF). Le projet de loi revient en Commission des lois ce mercredi 29 septembre, avant d'être débattu en séance publique à partir du 5 octobre.

La loi Loppsi est surtout critiquée sur Internet. Qu'elle est la position de RSF ?

- Nous sommes très inquiets du projet de loi tel qu'il a été adopté par le Sénat. J'espère que l'Assemblée nationale va apporter de nombreuses modifications face à une loi complètement liberticide pour Internet. Le Sénat a statué à l'article 4 qu'une simple autorité administrative peut demander aux fournisseurs d'accès à Internet (FAI) et aux hébergeurs de filtrer des sites web identifiés comme pédopornographiques. C'est la mise en place d'une liste noire de sites, sans qu'aucun juge n'ai de droit de regard dessus.

A titre de comparaison, l'Allemagne a tenté de mettre un dispositif similaire. Sur une liste noire de 8.000 sites, seulement une centaine de sites étaient effectivement pédopornographiques. Le risque du filtrage, c'est le sur-filtrage. Vu qu'il se base sur des mots-clefs, des sites peuvent se retrouver comme lié à la pédopornographie alors qu'ils traitent simplement des victimes ou délivre des informations de santé.

Est-ce à dire que RSF ne souhaite pas lutter contre la pédopornographie ?

- Bien sûr que non. Nous sommes favorables à la lutte contre la pédopornographie. Mais le filtrage n'est pas une méthode qui fonctionne. Les vrais pédophiles maitrisent l'outil Internet et seront toujours capables de s'échanger images, vidéos et informations pédopornographiques. Chez RSF, nous plaidons plus pour un retrait des contenus auprès des hébergeurs. L'autre problème est qu'autoriser le filtrage, c'est ouvrir la porte à tous les abus, en particulier si aucune autorité judiciaire n'est consultée.

C'est-à-dire ?

- Aujourd'hui le gouvernement veut filtrer les sites pédopornographiques, mais demain ? Pourraient être filtrés les sites accusés de diffamation, de contrefaçon, voire d'insulte au président de la République. Une fois que les outils seront mis en place, il sera très facile d'élargir le filtrage à différents délits potentiels. La liberté d'expression sur Internet est en danger et à court terme. Quand on protège trop, le risque est de tomber dans la censure.

Seul le filtrage vous inquiète ?

- Deux autres points inquiètent RSF. Tout d'abord, la loi Loppsi prévoit l'installation de logiciels espions sur les ordinateurs de suspects potentiels afin de se livrer à des "cyber-perquisitions". Ces spywares pourraient être installés sans intervention directe sur la machine, mais en envoyant des e-mails piégés par exemple. Nous ne trouvons pas la méthode très digne... De plus, cela pose des questions vis-à-vis de la protection du secret des sources des journalistes, en particulier dans le contexte actuel. Enfin, que se passera-t-il si la police découvre que l'utilisateur a commis d'autres délits que ceux pour lesquels il est surveillé ?

Ensuite, l'article 2 sur le délit d'usurpation d'identité, qui prévoit une peine d'un an de prison et de 15.000 euros d'amende, pose problème. Comment se définit "l'usurpation d'identité" ? Est-ce que ce volet va-t-il signer le glas des pseudonymes sur Internet ? De même, de nombreux internautes créent des pages ou des profils humoristiques avec un objectif de satire de personnalités.

Avec des lois comme Hadopi ou Loppsi, est-on face à une tendance générale de tentative de contrôle du réseau ?

- Oui, c'est une tendance générale : les Etats démocratiques veulent, par des lois, de plus en plus contrôler Internet. En France, nous avons eu DADVSI, l'Hadopi, bientôt Loppsi et l'ACTA. Aujourd'hui, les Etats-Unis envisagent même de créer un filtrage à l'échelle mondiale décidé par une seule juridiction américaine. Si une telle loi avait existé en France au moment du procès de la Licra contre Yahoo, la France aurait pu demander légalement aux opérateurs de filtrer le site Yahoo.com dans le monde entier uniquement parce qu'il viole les lois locales.

Ce mercredi, Tim Berners-Lee, le père du web, parle de "fléau" à propos des lois anti-piratage.

- Je suis tout à fait d'accord avec cette idée de "fléau". Les démocraties choisissent des voies dangereuses pour tenter de contrôler le web. Avec toutes ces lois, on risque de remettre en cause le principe d'un Internet comme espace libre de discussion pour voir la mise en place d'extranets locaux où, en fonction du pays, on accède à des contenus différents. Une sorte de ségrégation digitale. On a beau critiquer la Chine et son Internet verrouillé, quelque chose de similaire est envisagé ici.

 

Interview de Lucie Morillon, responsable du bureau Internet et libertés chez RSF, par Boris Manenti

http://tempsreel.nouvelobs.com/index.html


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