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10# SILHOUETTES. Yiannis Lhermet

Publié le 03 octobre 2010 par Yiannis

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Ce dimanche, devant la glace elle reste longtemps.

Elle ajuste la croix de sa première communion sur sa poitrine… enfile des bas blancs, vaporise de la laque sur ses cheveux…

Enfin…

Elle se fait belle.

En la voyant, ses petits-enfants se moquent d’elle :

- Ah, Mamie ! Tu y retournes encore ce matin.

   Elle ne répond rien, à quoi bon…

Elle pense juste :

- Ils sont naïfs ces jeunes… Après toutes ces années, si je n’avais compté que sur Lui...

Sur le chemin, elle croise la postière :

- Ma chère, vous êtes pimpante, vous êtes en avance…

- Et oui, ma pauvre, comme tous les dimanches.

- Vous savez, moi, le dimanche, c’est mon seul jour de congé, alors…

Devant l’église, elle ne sait plus où donner de la tête.

Partout elle voit des têtes familières.

Elle embrasse des visages ridés, serre des mains…

C’est la cohue, comme à une rentrée des classes… les discours fusent dans tous les sens :

- Alors mon vieux, et votre sciatique ?

- Mais les jeunes, le samedi, ils font la bringue ! Comment voulez-vous qu’ils se lèvent pour dix heures…

- Vous allez à l’enterrement du Père ?

- Il est charmant, non ? Le nouveau curé…

La petite troupe entre au son de la cloche.

Elle ne se lasse jamais du spectacle que lui offrent les grandes parois vêtues de visages d’anges, de chérubins... les longues colonnes ornées de crénelures, les peintures représentant des scènes bibliques : la Crucifixion, le Pardon, la Nativité.

Pourtant, ce qu’elle préfère, ce sont les vitraux multicolores qui, quand ils sont pénétrés par un rayon de soleil, déposent sur le sol des couleurs changeantes et variées comme celles d’un arc-en-ciel.

Chut…

Le curé qui monte en chaire.

Elle le trouve élégant dans sa toge immaculée qui contraste avec sa peau brune.

Parfois, elle se dit que c’est dommage… un si bel homme…

Il aurait pu faire le bonheur d’une gentille fille.

Soudain sa voix s’élève, aérienne !

Elle résonne selon les mots, tantôt grave, tantôt légère.

Il ne se livre pas vraiment à un sermon…

Il n’y a pas de foudre ni d’éclairs, les mots sont doux : ils prêchent une hygiène de vie, une façon de bien se comporter avec son prochain.

Qu’y a-t-il de mal à ça ?

Puis, viennent les chants religieux…

Elle regarde autour d’elle.

Elle se sent transportée par les sons cristallins de l’orgue…

Le visage des vieux s’éclaire peu à peu… et, malgré leurs rides au coin des yeux, à ce moment précis, ils semblent rajeunis.

La musique coule harmonieusement, un apaisement profond s’immisce en elle.

Elle repense à son père, à lui…

Un instant…

Une larme…

Déjà tout ce petit monde se met en file indienne pour l’hostie.

Elle discute dans la file d’attente :

- Tiens, ma chère, comment allez-vous, vous venez boire la goutte

après ?

- Et non, mon ami, ce dimanche j’ai la famille, six morfales à nourrir !

La cérémonie se clôture par la quête.

Deux petites filles brunes, vêtues comme des communiantes : chemisier blanc, jupe bien repassée, souliers bien cirés ; circulent dans les rangs en souriant fièrement, sous les yeux attentifs de la foule.

Elle les suit des yeux, songe à ses petits-enfants qui n’auront sûrement pas décollé leur nez de la console et qui, quand elle rentrera, s’apitoieront sur les deux euros donnés au curé.

Alors, enfin, l’air souriant, elle glisse à sa voisine :

- Deux euros… Madame, de nos jours, existe-t-il un spectacle moins cher ?


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