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Rosemonde Gérard, La fée d'Edmond Rostand – Laurence Catinot-Crost

Par Theoma

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Je vous préviens, la longueur de ce billet est inhabituelle. Après courte réflexion, je me refuse à le raccourcir. Bordel de merde ! Laissons, pour une fois, à Rosemonde Gérard la place qu'elle mérite !  Que vous connaissiez ce nom ou que vous ne soyez pas amateurs de classiques, écoutez l'histoire que Laurence Catinot-Crost a conté à Aifelle et moi-même.

Je sais, si Rosemonde me lisait, elle gronderait mon langage à coup de semonces bien ordonnées, elle qui savait manier la langue avec tant de grâce Pourtant, je ne peux que ressentir un peu de colère et beaucoup de gâchis devant la vie de cette femme d'exception. Résumons !

A 23 ans, Rosemonde Gérard publie un recueil de poésie, Les pipeaux, qui sera salué par la critique et l'Académie française. Une poétesse est née. Un an plus tard, elle épouse Edmond Rostand. Elle l'appelle Gri-Gri. Il la surnomme ma fée. Bien plus qu'une muse, Rosemonde est le guide, le tant et le tout. Elle endosse son rôle comme un sacerdoce, Edmond l'avoue, sans elle, tout dérive. Il le lui écrit :

« Je me suis un peu habitué à ne rien faire par moi-même. Votre amicale tyrannie, votre despotisme cher me manquent. Personne ne me gronde plus ! »

« J'ai soif d'art, d'une œuvre véritable, délicate, peut-être puissante, de quelque chose qui en le faisant, me donne un petit battement de cœur d'émotion ou d'orgueil. (...) Encouragez-moi. Fortifiez mes résolutions. Et, puisque vous avez consentit à vous occuper de moi, veillez bien sur mes rêves... »

Elle répond présente et prête à partir en guerre :

« L'argent, pour des gens comme nous, est-ce que ça existe seulement ! Mais la gloire ! La gloire, vois-tu, je la rêve ardemment pour toi. La gloire, je ferai tout pour que tu l'aies. Et si elle m'est si chère, c'est un peu parce qu'elle est comme un complément de notre amour. En effet, tu la désires parce que tu m'aimes et moi je la désire aussi parce que je t'aime. Et ce qu'il y a de merveilleux dans cela, c'est que cette gloire, nous y arriverons grâce à notre sublime amour. »

De leur union, naît deux fils, Maurice et Jean, qui, plus tard, se démarqueront tous deux brillamment. Rosemonde est une mère heureuse. Elle se consacre entièrement à sa famille. Maurice Rostand le dira plus tard :

« Ma mère avait pour ainsi dire oublié volontairement qu'elle était poète ! Elle croyait si fermement à l'œuvre d'Edmond Rostand qu'elle ne voulait pour rien au monde en troubler l'accomplissement. Il lui semblait que le temps et l'attention qu'elle vouerait à son œuvre personnelle risqueraient de nuire à celle d'Edmond Rostand. Et ainsi, entièrement absorbée par le grand travail qui se faisait auprès d'elle, elle préféra celui-ci au sien jusqu'au jour où la gloire de mon père fut entièrement affirmée »

Edmond monte ses pièces à Paris. Le soir, il tient salon chez Sarah Bernhardt et passe ses nuits avec des comédiennes. Il envoie régulièrement à sa femme ses manuscrits en lui demandant de les travailler :

« A ce propos, la scène d'amour, tâche de la revoir, celle du dernier acte. Je la sais par cœur. Écris-la à partir de « Je t'ai toujours aimé va mon pauvre petit », jusqu'à la fin. Tu verras, comme moi, qu'il y manque je ne sais quoi. Et en la récitant peut-être y trouveras-tu une ou deux choses bien tendres et bien simples. »

Dans tous ses courriers, Rosemonde est inspirée :


« J'ai plusieurs idées pour La Sainte. (...) Si tu as comme ça d'autres petites choses à chercher, au lieu de t'agacer dessus donne-les moi. Mais, tu comprends, des petites choses possibles à trouver pour ma pauvre petite cervelle de femme et qui plus est de femme dont le Gri-Gri est à Paris... »

Tout cela dans le plus grand secret. Edmond ne veut pas qu'il soit dit que son épouse participe à l'écriture de ses pièces. Rosemonde rassure son orgueil :

« A quoi penses-tu de croire que j'eusse été assez bébête pour dire à ton père que le plus petit commencement d'idée (car tu y as énormément ajouté comme portée générale) était éclos dans ma faible cervelle. (...) »

Plusieurs années plus tard, elle continuera à se défendre cette idée. Ainsi, à un journaliste qui lui parle de son talent d'écrivaine, elle répond :

« Je suis plus fière de mes deux fils que de mon livre. Parfois je fais encore des vers... quand j'ai le temps. On les publiera peut-être un jour, mais les occupations familiales m'absorbent tout entière. Je suis si peu de chose auprès de mon époux ! Je me contente de l'admirer sans l'aider jamais en rien, car on n'aide pas les inspirés. »

Les lettres écrites à l'intention de son mari témoignent de sa fantaisie et de son audace. Rosemonde est coquine...

« C'est l'absence qui me rend un peu pornographique... (...) Ah ! Chéri ! Combien je te désire, et combien bien ! (...) Prends-moi. Je suis tellement tienne que c'est bête de le dire ! Tu le sais. Et puis tu le verras. (...) je t'aime tant que je ne trouve que des idioties à te dire. L'amour n'est, hélas ! rien moins que Sévigné. A mesure que je t'aime plus – chaque jour – j'écris un français qui n'est même plus une langue car je pense trop à la tienne que je voudrais tant tenir à la façon des sucres d'orge, tellement moins bon et moins sucés qu'elle, l'adroite petite chérie ! Je crois que je vais la mordre !

De retour chez lui, Rostand est difficile à vivre. Il peut rester enfermer dans « sa tour » durant des jours, subir des crises d'angoisses, être un jour apathique, puis le lendemain à l'article de la mort. Rosemonde, d'une patience infinie, écoute, soigne, fait la lecture, le nourrit, le lave et l'habille.

Pendant l'écriture, il lui arrive de jeter des pages entières. L'épouse, comme une mère qui console son enfant, récupère, répare, écrit. Elle est peut-être celle à qui nous devons la sauvegarde de ses œuvres majeures.

Avec le temps, Rosemonde résiste au tempérament de son époux, à ses infidélités et à son égoïsme. Puis, c'est le déclic. Maurice doit subir une importante opération à Paris. Edmond refuse de les accompagner et accuse sa femme de l'abandonner. En quittant la maison avec Maurice, elle sait qu'elle vient de décider de mettre un terme à son couple.

Après la mort d'Edmond Rostand, Rosemonde ne changera rien à sa personnalité généreuse, elle affirmera à un journaliste : « Ah! Je puis dire sans mentir, j'ai été une femme comblée ». Dès 1912, elle co-écrit avec Maurice plusieurs pièces. La relation entre la mère et le fils est belle, presque fusionnelle. Les vipères crieront à l'inceste. Maurice en ri, il ne couche pas avec les femmes, encore moins avec sa mère !

En 1926, 37 ans après la publication des Pipeaux, L'Arc-en-Ciel est édité. A l'instar du précédent, il est couronné par l'Académie française. D'autres viendront encore.

En refermant ce livre, on ne peut plus parler de « l'influence » de Rosemonde Gérard sur l'œuvre de son époux mais se questionner sur l'ampleur de sa participation. Laurence Catinot-Crost y répond :

« En l'absence de documents originaux portant les corrections manuscrites de Rosemonde, il est bien difficile de définir sa participation et d'en amener la preuve. Nombre d'archives privées n'ayant pas été exploitées, il appartiendra aux générations futures de révéler le rôle véritable de l'épouse de Rostand. »

Une biographie différente de par l'originalité de son ton. Une lecture accessible et fascinante ! Aucun détail ennuyeux mais la vie d'une femme dont l'auteure nous parle avec un plaisir contagieux. Une poétesse à (re)découvrir de toute urgence !

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Éditions Seguier, 210 pages, 2006

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 Une lecture commune avec Aifelle que je remercie d'avoir publié des poèmes de  Rosemonde et de m'avoir ainsi donné l'envie de la découvrir. 

Réhabilitons Rosemonde Gérard !

Savez-vous que le fameux « Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain » provient d'un de ses poèmes ? Il m'a chamboulée, à découvrir avec émotion ici.

Par Theoma - Publié dans : C'est classique ! - Communauté : Les lectures de Florinette
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