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Robert Bober, On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux, P.O.L

Publié le 11 septembre 2010 par Irigoyen
Robert Bober, On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux, P.O.L

Robert Bober, On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux, P.O.L

Difficile de ne pas s'arrêter sur le titre de ce livre quand on est soi-même en proie à des troubles du sommeil. Sauf qu'une fois ce roman refermé, on comprend que l'angoisse de Robert Bober est d'une toute autre nature.

Né en 1931 à Berlin, l'auteur a réalisé de très nombreux films documentaires consacrés à la littérature mais aussi et surtout à la Shoah, thème qu'il continue de développer livre après livre. Vous avez sans doute entendu parler de Quoi de neuf sur la guerre ?, son premier roman qui a obtenu le Prix du livre Inter en 1994. Il met en scène différents personnages d'un atelier de confection ayant tous survécu à la guerre – l'auteur fut lui-même tailleur dans sa jeunesse -.

On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux est donc une nouvelle variation de ce thème. Je l'ai lu comme un Bildungsroman, un roman d'apprentissage à la vie de Bernard Appelbaum, le narrateur, hanté par la mort de son frère, de son beau-père mais aussi et surtout par celle de son papa, raflé par le régime de Vichy.

Ainsi, je ne me souvenais pas de mon père, mais je me souvenais du père de mon frère, qui, lui, ne s'en souvenait pas.

Comment se construire quand ceux qui sont censés vous guider dans la vie disparaissent ? Bernard Appelbaum croise des personnages qui vont indirectement prendre le relais d'une vie et semer des balises sur le chemin de son existence. Et ce sont précisément ces rencontres qui vont rendre possible une réflexion sur l'identité juive du narrateur :

Parmi ces personnages il y a Robert, l'ancien moniteur de colonie, qui engage Bernard à jouer en tant que figurant dans Jules et Jim de François Truffaut. La qualification de « roman » est une nouvelle fois interrogée ici puisque Bober a vraiment été associé au film, en tant qu'assistant. Sur le tournage, Bernard retrouve une jeune fille, Laura, dont il était tombé amoureux quand il était en colonie.

Bernard établit des parallèles entre Jules et Jim et sa propre existence. Il y voit en effet l'histoire de sa propre mère, et de ses deux amants, Yankel et Leizer, deux hommes qui ne partageaient pas seulement l'amour pour la même femme mais aussi la même conscience politique. Tous deux étaient ce qu'on appelait alors des sionistes de gauche.

Cette conscience politique, Bernard l'acquiert à son tour lors d'une manifestation contre l'OAS – Organisation de l'Armée Secrète – qui posait des bombes pour obliger le gouvernement français à ne pas accorder l'indépendance de l'Algérie.

comme si cette journée me montrait le chemin

Il y a dans ce roman une tendre mélancolie qui tranche singulièrement avec l'horreur vécue par la famille, une douce nostalgie y compris d'une période que n'a pas vécu le narrateur. Mais est-ce vraiment surprenant quand on lit en prologue cette magnifique citation de Patrick Modiano extraite de Livret de famille ?

Je n'avais que vingt ans, mais ma mémoire précédait ma naissance.

Cette mémoire qui suscite un autre souvenir au narrateur. Celui d'une phrase extraite de Jules et Jim.

J'adore le Passé. C'est tellement plus reposant que le Présent ! Et tellement plus sûr que l'Avenir !

Dans cette galerie de portraits il y a le capitaine Dreyfus. Il y a Boubé, la grand-mère du narrateur qui ne parle qu'en yiddish. Mais ces figures « tutélaires » renvoient toujours à celle du père, ce père disparu qui rentrait chez lui en passant par le toit du Cirque d'Hiver, par peur d'être arrêté. Ce que veut faire également Bernard comme pour rendre hommage à son père.

Sur ce chemin qui de l'escalier en colimaçon conduisait à la troisième lucarne, il me plaisait de croire que celui qui avait été mon père me prenait la main, m'aidant à faire mes premiers pas. Comme s'il m'avait attendu et me disait : regarde, c'est par là, très exactement par là, que je suis passé.

L'essentiel du roman se déroule dans ce XIè arrondissement de Paris qui m'est si cher et dans une partie de l'histoire duquel j'ai été véritablement plongé grâce à Robert Bober. Celui-ci donne corps à la fameuse citation que l'on prête au Maréchal Foch :

Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir

La fin du roman illustre très bien cela. Elle raconte la découverte d'Esther, autre personnage-clef du roman avec laquelle Bernard va correspondre. Puis il y aura Ruth, une Allemande qui, très indirectement, permettra des retrouvailles poignantes entre un père et son fils – mais j'en ai déjà trop dit -.

mon père avait retrouvé sa dimension d'homme. Nous étions là, ensemble, dans la même immobilité. Nous avions le même âge. Il me souriait.

Jamais de sensiblerie mièvre, de pathos. Jamais de spectaculaire. Jamais d'exploitation de la tragédie. Les mots de Robert Bober sont simples, justes.

Ils n'en sont que plus bouleversants.


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