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Vargas Llosa, Nobel de littérature 2010

Publié le 08 octobre 2010 par Fric Frac Club

Don Mario - Vargas Llosa, Nobel de littérature 2010 par François Monti

Call me old-fashioned, dites que je suis un ingénu qui pense toujours vivre à une époque où on croyait vraiment ce que disaient les journaux ou le poste et où on pensait pour de vrai que les prix allaient aux écrivains les plus méritants, pensez tout ça si ça vous chante, mais j'admets avoir toujours gardé un œil sur ces événements paralittéraires. Je suis, ceci dit et certainement pas pour chercher des excuses à mon enthousiasme d'un autre temps, déçu la plupart du temps. Évidemment. Pas aujourd'hui. Parce que hier, c'est vraiment un grand de la littérature du 20e siècle qui a été récompensé.

Don Mario - Vargas Llosa, Nobel de littérature 2010 par François Monti

Il y a deux jours, un journaliste espagnol me demandait ce que je pensais, de ma perspective étrangère, d'un éventuel Nobel espagnol (pas grand-chose, seul Goytisolo le mérite et il ne l'aura sans doute pas). Très vite, la conversation a dévié sur les auteurs d'Amérique latine et, inévitablement, sur Vargas Llosa, grande frustration annuelle pour les hispanophones. Comme toujours, j'entendis dire que son principal problème étaient ses opinions politique (centre-droit, libéral convaincu, d'une ligne plus lockienne que misesienne). Je n'étais pas vraiment de cet avis : Bellow tout comme Naipaul sont des auteurs bien plus à droite que Vargas Llosa et pourtant… Ce qui est déterminant n'est pas tant la position sur le spectre politique qu'un certain type d'engagement social et / ou humaniste et une tendance marquée à explorer (prendre une voix solennelle) les tréfonds de l'âme humaine. L'œuvre et la carrière de Vargas Llosa correspondent sans aucun doute à ses critères. Digressons juste un moment pour souligner à quel point, d'ailleurs, cette vision de la littérature comme un outil d'amélioration du monde, de connaissance de l'homme et de dénonciation de l'exploitation est essentiellement conservatrice (littérairement parlant) : on se croirait de retour au 19e siècle. Étrange, finalement, qu'une certaine presse de droite ne se soit pas rendu compte, au cœur de ses sempiternelles et très annuelles vociférations ( « trop jeune », « trop peu connue », « trop autrichienne » ou « trop communiste » ), d'une (certaine) cohérence de choix ces dernières années. Le Figaro, par exemple, commençait sa journée pré-proclamation par un article sur un prix trop politique avant de célébrer la victoire d'un grand écrivain engagé… Lecteurs et littérateurs de gauche du monde hispanophone (avec les exceptions de rigueurs bien évidemment) célébraient le triomphe trop attendu de leur dernier vrai monstre sacré (bien plus que Fuentes, cela ne fait aucun doute). On regrettera donc d'avoir pu lire sur certains « nouveaux » médias aux vieilles rancœurs des commentaires de citoyens d'un pays d'irréductibles partisans du faisons-nous-un-costard-de-citoyen-éclairé-sur-le-dos-des-autres indiquant clairement leur dégoût de voir un ami de Thatcher gagner – il est visiblement plus difficile de passer outre cette amitié-là que des sympathies castristes, maoïstes voire même staliniennes ; peut-être que le vrai reproche qu'on lui fait est en fait d'être allé chez Castro et d'en être revenu, dans tous les sens du terme… Mario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature 2010, ce n'est ni une défaite de la gauche ni une victoire de la droite. C'est celle, pour paraphraser Juan Francisco Ferré et en terminer avec ce thème, d'un esprit libre et indépendant, dont les erreurs occasionnelles sont le prix à payer lorsqu'on se fie à son propre jugement plutôt qu'à celui d'intérêts grégaires, démagogiques ou déterminés par l'opportunisme carriériste. C'est aussi et surtout (et enfin) une récompense qui va à un grand écrivain. La grande force de son œuvre, c'est qu'on est susceptible d'y trouver des choses pour les lecteurs de profil classique comme pour ceux qui recherchent des sensations plus …radicales. Pour se convaincre de cette double facette et de son grand talent, il suffit de lire deux livres :

Don Mario - Vargas Llosa, Nobel de littérature 2010 par François Monti

1) La Maison Verte Tout le monde a lu Cent ans de solitude, et qui ne s'est pas tapé quelques récits de Cortázar… Même La mort d'Artemio Cruz de Carlos Fuentes viendra plus vite à l'esprit du lecteur aventurier lorsqu'il s'agit d'évoquer les golden sixties latino-américaine que ce qui reste, à mon sens, le roman le plus frappant du boom – et second de Vargas Llosa – : La maison verte. Je m'avance sans doute, et je m'avancerai encore : si vous n'êtes pas prêt à m'accorder une minute d'attention à ce sujet, c'est que vous n'avez pas lu ce roman qui, lui, n'a pas vieilli (ce qu'on ne peut pas dire de Marelle ou du chef-d'œuvre de García Marquez, qu'il est aujourd'hui impossible de lire sans avoir en tête ses imitateurs démolis avec tant de talent par Bolaño). Chez Vargas Llosa, il faut enlever le « magique » qui suit le mot « réalisme », et si ses modèles sont les grands noms de la littérature française du 19e siècle, il n'a néanmoins, et particulièrement dans ses sept premiers romans, jamais cessé de renouveler son art et ses techniques. Sa leçon la plus épatante a donc lieu dans la maison verte, bordel d'un bled perdu du Pérou. Beau décor pour une histoire de mœurs des plus classiques. Pourtant, Vargas Llosa, toujours adepte des structures aux multiples voix et des époques qui se chevauchent, innove : le récit est construit sur des flashbacks, mais le livre entier est écrit au présent et aucun découpage temporel ne permet au lecteur de remarquer qu'il vient de faire un bond de cinq ans en arrière. Il faut faire une lecture attentive (ce qui tombe bien, Vargas Llosa a aussi à son compte de très bons livres de critique littéraire) pour profiter de cette œuvre d'une très grande complexité. Cortázar lui-même le dit dans une lettre qu'il adresse au nouveau Nobel il y a 35 ans : avec La maison verte, Vargas Llosa a inventé une technique qui permet un télescopage de l'espace et du temps se rapprochant d'une ambitieuse structure ou architecture musicale. C'est le livre, selon le grand Julio, qui démontre qu'à l'époque, son ami péruvien est le plus grand romancier latino-américain vivant. Tout au plus regrette-t-il le titre un poil pittoresque – moins marquant que celui de Gabo, il est vrai. Pour comprendre l'importance de Vargas Llosa, on peut lire n'importe lequel des romans publiés entre 1963 et 1981, mais aucun ne montre avec autant d'évidence la force de son écriture et de sa pratique que La maison verte, sans doute son roman le plus radical même si Conversation à la cathédrale pouvait aussi compter sur des partis-pris narratifs assez flamboyants.

2) La fête au bouc Toutes les critiques politiques – jamais littéraires – qui se sont abattues sur lui n'expliqueront jamais comment un auteur de droite est parvenu à écrire le livre sud-américain le plus fort sur une dictature très, très à droite et très, très méchante. Le grand-livre-sur-la-dictature a beau être un sport national par là (c'est leur grand-roman-américain à eux), personne, à ma connaissance, n'est parvenu à décrire avec autant de précision les mécanismes dictatoriaux et tortionnaires d'un des nombreux fantoches de cette partie du monde, ni étalé aussi clairement le jeu trouble des Etats-Unis – sans populisme ni sensationnalisme. Loin de se contenter d'un portrait excommunicateur visant à expulser de la société des hommes les grands méchants et mettre sur un piédestal les grands héros, Vargas Llosa y affiche une très grande finesse psychologique et un véritable sens de la complexité des choses, sans jamais tomber dans la tentation du renvois dos-à-dos – au contraire, les dénonciations sont claires, mais la subtilité règne toujours : l'auteur ne se convertit jamais en prêcheur. Si La fête au bouc est un roman d'une facture relativement traditionnelle qui n'avait a priori pas grand-chose pour plaire à un lecteur de mon genre, la force, humaine autant que littéraire, qu'il dégage ne peut que me mener à m'incliner.

 

Don Mario - Vargas Llosa, Nobel de littérature 2010 par François Monti

Tout Vargas Llosa ne se vaut pas : un déclin, il y a toujours un déclin. Sans jamais avoir vraiment été mauvais, Vargas Llosa n'est plus tout à fait bon dans les vingt années qui suivent La guerre de la fin du monde (1981).Il semble alors glisser vers un réalisme de plus en plus classique en même temps qu'il tente de glisser vers la realpolitik péruvienne – il s'y brûlera les doigts, certains ne lui ont toujours pas pardonné. À 74 ans, le Nobel en poche, les doigts s'agitent encore au-dessus du clavier : le mois prochain verra la publication espagnole de son nouveau roman, Le rêve du Celte (ah, Mario, faut mieux bosser les titres !). On saura alors si La fête au bouc (2002) a été un retour en forme temporaire ou s'il lui reste quelque chose dans le moteur. Ce roman suit Roger Casement, consul britannique qui dénonça le traitement des africains au Congo Belge (il y connut et informa un certain Joseph Conrad) et des Putumayo au Pérou. Confronté au colonialisme, cet Irlandais se découvre une fibre anti-impérialiste et renonce à sa charge pour s'engager du côté des républicains irlandais. Il sera exécuté pour trahison en 1916. Si Vargas Llosa n'est plus tout à fait de notre temps – les comics sont des imbécilités, il ne cause pratiquement plus que de littérature 19e et s'il parle de littérature récente, il préfère causer Millenium qu'évoquer Bolaño – et si, comme tout le monde il a commis des erreurs – la dernière en date étant son ralliement a posteriori ( !!!) à la guerre en Irak –, son œuvre domine celle de nombreux Nobel des trente dernières années. Plus que son libéralisme, ce qui aura retenu l'attention de ses juges, au-delà des qualités indéniables de ses romans, c'est un attachement indéfectible à la liberté de l'individu face à la machine étatique – rappelons-nous qu'en Amérique du Sud, au cours des soixante dernières années, cette machine a broyé autrement que par chez nous. Et ça, qu'on soit un libertaire en bonne et due forme ou un libéral sauce Bastiat, on devrait le comprendre. Et le célébrer.


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