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Free contre le zombie HADOPI

Publié le 08 octobre 2010 par Copeau @Contrepoints

« C’est inacceptable ! C’est une attitude inadmissible ! Scrogneugneu de nom d’une pipe en bois de boxeur thaïlandais, ça ne va pas se passer comme ça ! » – C’est (à peu près) dans ces termes que Frédéric Mitterrand a fait connaître son opinion concernant la position officielle de Free, le FAI qui fait de la résistance, lorsque ce dernier s’est opposé à l’envoi des mails de l’HADOPI à ses abonnés.

Le feuilleton hadopitoyable continue donc, sous les regards goguenards des internautes qui comptent les points. En effet, plus le temps passe, et plus l’ensemble de l’édifice légal et technique destiné, au départ, à offrir un véritable boulevard aux lobbys des Majors, se transforme en bourbier ridicule éclaboussant généreusement ceux qui s’en rapprochent.

Le site officiel Hadopi.fr à peine ouvert, et à peine détourné (y’a même un concours, ici), on apprenait que les étrangers grinçaient des dents à l’idée que tout ce bazar foutraque allait lancer les internautes dans les bras d’une cryptographie solide et de VPN pénibles à casser : la NSA en est même arrivée à émettre des remarques acides.

On peut le dire : dès le départ, l’ensemble du projet et de sa concrétisation aura réussi le pari douteux de se faire détester des internautes en particulier, des Français en général, et maintenant même des étrangers. Mieux : cela commence à porter préjudice aux images de marque des lobbys dont l’association devient permanente avec la bande de bouffons tragiques qui gèrent l’Autorité de papier.

Logo HADOPI : haute autorité destinée à observer les petits internautes

A présent, la résistance semble s’organiser, puisque le fournisseur d’accès Free, qui a bien compris qu’il valait mieux être du côté des internautes que des lobbys, ne se laisse pas mener par le bout de la fibre par un édifice légal fragile et mal boutiqué. Free a fort bien compris qu’il valait mieux utiliser la force de frappe des Institutions pour s’offrir une publicité à peu de frais : on se souviendra sans mal de la taxe Baroin-Sarkozy, moyen simple (et que je recommanderai d’étendre systématiquement à toutes les taxes) de faire connaître aux consommateurs le nom des aimables sodomites qui les explorent gentiment par l’arrière.

Là encore, Free utilise simplement l’indigence d’une loi écrite par une brochette de clowns : ne précisant pas qui doit, effectivement, envoyer les mails d’alerte de la Haute Autorité, le FAI laisse à cette dernière le soin de le faire. N’ayant toujours pas eu de réponse quant au financement des coûts engendrés par les demandes de correspondance numéro d’adresse IP / nom d’abonné, Free continue calmement de ne fournir aucun renseignement.

C’est très habile : en faisant cela, Free se place en défenseur clair et direct de la vie privée des internautes (qui aiment ça). Mieux : il met directement en porte-à-faux tous les autres opérateurs internet qui passent alors pour des délateurs et comptaient discrètement sur l’unanimité pour jouer la carte du « Bah, tout le monde le fait, donc nous ne sommes pas plus coupable que les autres« .

Raté : Free ne le faisant pas, il devient clair que les clients d’Orange, de Numéricâble ou des autres … se font avoir. Je dis bien « se font avoir » et non « se font dénoncer » car ne nous leurrons pas : pour le moment, les informations divulguées par ces FAI le sont pour la bonne cause. L’étape suivante sera un flicage perpétuel de l’internaute pour déceler celui qui aura un commis un crime-pensée.

Mais surtout, Free n’a pas raison que sur le plan technique ou légal, encore que sa position soit, finalement, fort solide : à plus long terme, rentrer dans le jeu malsain des petits thuriféraires de la riposte gratuite, c’est déplacer la nature même de son business, de fournisseur d’accès à fournisseur de contenu garanti. Autrement dit, en ne cédant pas aux airs de flutiau d’un Ministre empêtré dans ses connivences industrielles, Free se garde bien de rentrer dans le domaine non cartographié de l’assistance à lobbys en danger, puis de ministère en manque de thune, puis d’état en manque de coupables.

Free fait coup double : en agissant de la sorte, il s’offre une bonne couverture médiatique, continue un joli parcours auprès des internautes, mais surtout confirme clairement que son métier, c’est de distribuer des paquets IP, pas d’aller regarder dedans ce qui s’y trouve. Les autres opérateurs ne peuvent pas en dire autant.

Pour résumer, HADOPI, c’est le feuilleton le plus palpitant que le Service Public nous aura offert ces dernières années. Bien loin d’un Château-Bidon ou d’un Plus Bête La Vie, et même plus fort que la proposition faite dans ce blog d’une série enfin « réaliste et sociale », HADOPI est la quintessence du merdage historique : rien, absolument rien ne se déroule comme prévu, tout montre que le scénario a été écrit par une bande d’alcooliques aux deux bras plâtrés.

Comme un zombie auquel on aurait découpé, progressivement, chaque membre, et qui continue pourtant de se déplacer sur ses moignons dans des râles glauques réclamant un cerveau à manger – sans doute son seul espoir d’avoir un jour accès à quelques neurones, l’ensemble du projet perdure malgré les coups toujours plus violents portés à sa structure. On sourit même à l’évocation naïve de la gauche qui prétend revenir en arrière et promet d’abroger HADOPI dès qu’elle le pourra ; certes, c’est bien dans ses rangs qu’on a trouvé le plus grand nombre de défenseurs de l’internaute et – une fois n’est pas coutume – c’est tout à son honneur. De ce point de vue, les socialistes ont, réellement, tenté de faire capoter ce projet honteux et ont même frôlé l’exploit à plusieurs reprises.

Hadopi Of The Dead

Mais en France, le provisoire et le foutraque ont cette particularité de s’inscrire sur la durée, et rares sont les commissions, autorités, ou projets de lois propulsés par la droite puis abrogés par la gauche, ou passés par la gauche et annulés par la droite. En réalité, on peut parier sur un empilement législatif conséquent qui reviendrait, dans le feuilleton, à couler Zombiadopi dans une chape de béton.

Or, tout le monde sait que pour tuer un zombie, fut-il gravement Hadopisé, il faut lui exploser la tête ; le prochain remaniement ministériel pourrait, justement, parvenir à ce résultat. L’absence persistante d’offre légale crédible constitue une autre piste de rigolade. Si l’on ajoute la farce grand-guignolesque des logiciels de sécurisation labellisés, qui promet en comparaison de faire passer Shaun of the Dead pour un dessin animé de Walt Disney, et qu’on factorise les émoluments grassouillets des pontes en charge du bazar, on a encore suffisamment d’ingrédients pour faire durer cette série une quatrième année.

Free parviendra-t-il à se libérer des griffes de l’HADOPI ? Nicolas Sarkozy aura-t-il la présence d’esprit d’arrêter d’émettre des sons avec sa bouche sur un sujet qu’il ne maîtrise pas et qui le ridiculise encore plus ? Les Majors comprendront-elles qu’elles se mettent à dos leur cœur de clientèle ? Les députés comprendront-ils que ceux qu’ils harcèlent avec leurs projets de loin à la con sont leurs (ex/futurs) électeurs ? Les contribuables continueront-ils à payer pour ce foutage de gueule en cinémascope ?

Comme on le voit, de palpitants épisodes en perspective !
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