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Mon commencement est ma fin

Publié le 09 octobre 2010 par Europeanculturalnews
Mon commencement est ma fin

L´ensemble "Solistes XXI" à l´église St. Pierre le Jeune (c) Philippe Stirnweiss

Le 6 octobre 2010 en l’église St. Pierre le Jeune à Strasbourg on a eu l’occasion d’assister à l’une des premières les plus remarquables de musique contemporaine. Les « Solistes XXI » sous la direction de Rachid Safir ont présenté l’œuvre du compositeur Philippe Leroux « Mon commencement est ma fin ».

Le compositeur a articulé son travail principalement autour d’un motet de Guillaume de Machaut (environ 1300 – 1377). Ce dernier est aussi à l’origine du texte de l’œuvre qui fait linguistiquement référence au rondeau dont la fin rappelle le début. En plus de ce motet, Leroux a utilisé les morceaux de 5 compositeurs et d’autres œuvres écrites par Machaut. Parfois, l’artiste a laissé les originaux inchangés, parfois il les a retravaillés et les a opposés à ses propres compositions. Le résultat était passionnant : Cinq parmi les vint-cinq compositions étaient des œuvres de Leroux, une dizaine d’œuvres retravaillées par lui-même, neuf étaient jouées dans leur version originale. Venait s’y rajouter une improvisation du thème général de Pierre Boragno, que ce dernier a interprété lui-même avec sa cornemuse.
La magie de cette œuvre est justement due à cet entrelacs de différents travaux musicaux. Mais ce n’était pas tout. L’ensemble « Solistes XXI » jouait et chantait de telle façon qu’on avait l’impression que des voix d’anges s’élevaient dans la salle. Ils interprétaient l’amour, la peur, la jouissance et la passion, la folie et l’extase dans toutes ses facettes sonores possibles et imaginables.

D’emblée, au moment où le public entra dans l’église, la diffusion d’une coulisse linguistique laissa présager quelque chose d’inhabituel.
Sans se faire remarquer les chanteuses et chanteurs prirent place les uns après les autres sur les différents bancs d’église. Après un interlude vocal, ils regagnèrent la scène devant le jubé. L’église St. Pierre le Jeune est l’une des rares églises dont a préservé cette particularité architecturale. A l’époque, dans la partie située devant le jubé se réunissait le peuple, la partie à l’arrière étant réservée au clergé. Au 16e siècle, la réforme tridentine qui était une réponse à la réformation, a aboli la fonction du jubé ce qui a eu comme conséquence la destruction de la plupart d’entre eux. Grâce à un éclairage moderne, le jubé de l’église St. Pierre a offert en prime la possibilité de mettre en valeur les morceaux de Leroux: la projection de traînés multicolores sur les belles peintures de la renaissance a enrichi le spectacle d’une dimension optique supplémentaire.

Pendant le premier morceau, les chanteurs ont souligné leur chant avec une gestuelle qui en quelle que sorte traduisait la notation médiévale dans un langage imagé, merveilleusement simple et clair.
Les compositions de Leroux furent annoncées et/ou terminées par une respiration clairement marquée par les chanteurs. C’était une expérience auditive particulière au caractère transcendent qui incitait le public à rester extrêmement silencieux.

La plupart des morceaux avaient en commun une caractéristique récurrente: un glissando montant ou descendant qui, grâce à la pureté et la perfection des voix, était d’une beauté exceptionnelle. La souplesse et les entrées étonnantes des deux voix soprano faisaient tendre l’oreille. Les performances d’Hélène Decarpignies et de Raphaëlle Kennedy étaient remarquables et requérait un savoir-faire exceptionnel: en quelques secondes, l’expression vocale des cantatrices oscillait entre fureur sauvage, chuchotement et harmonie. Mais le contre-ténor Damien Brun, les ténors Laurent David et Stephan Orly, le basse Marc Busnel et le baryton Jean-Cristophe Jacques n’avaient rien à leur envier. Mais la délectation auditive n’aurait jamais atteint un tel paroxysme sans la contribution de Caroline Delume au luth, d’Hager Hanana au violoncelle et au violon ainsi que de Pierre Boragno aux flûtes et à la cornemuse.

Grâce à leur maîtrise de la pratique musicale historique, les musiciens soulignaient efficacement les différentes harmonies, soutenaient parfaitement le rythme. Ils ont permis à la beauté des œuvres originales de s’exprimer totalement et aux nouvelles interprétations lors des différentes performances en solo de prendre tout leur essor.

Un tel résultat ne put être obtenu que grâce à des répétitions intenses. Tous les protagonistes affirment être capables de maintenir pendant une semaine au plus l’exactitude, le charme et la magnificence de la performance à laquelle on a pu assister ce soir-là. Ensuite, il faudrait recommencer à répéter pour rester aussi près de la partition que pendant cette soirée.

Nos contemporains pourraient accuser Leroux d’avoir fait un calcul très simple: pour obtenir les faveurs du public, mettre sa musique en opposition avec la musique historique qui elle flatte l’oreille. Cette remarque est peut-être juste, mais ce calcul s’est avéré juste aussi : mais sa justesse s’est montrée dans un raffinement suprême et en aucun cas dans une forme plate à l’arrière-goût fade.
De plus avec l’aide de Rachid Safir, Leroux a réussi à démontrer que sa propre écriture de composition était claire comme de l’eau de roche.
Quel dommage que ce concert n’ait pas fait l’objet d’un enregistrement.

Qu’il n’y ait pas eu de chauffage ce soir là en l’église St. Pierre le Jeune et que la critique musicale en soit sortie passablement enrhumée ne soit dit qu’en passant. Mais ceci explique qu’elle a manqué par la suite quelques uns des concerts du Festival Musica qui ont suivi, ce qui est impardonnable.
Mais elle se réjouit d’avance à l’idée de l’édition 2011 du festival – la prochaine fois elle prendra les précautions qui s’imposeront.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker


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