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Bouclier fiscal, ISF: effacement de symboles et maintien des injustices

Publié le 14 octobre 2010 par Hmoreigne

 Pour sortir de l’impasse du bouclier fiscal, la majorité penche pour une solution osée et hautement explosive : supprimer conjointement bouclier fiscal et ISF. Le PS dénonce un “marché de dupes” et indique qu’il sera “tout particulièrement vigilant” pour éviter, dans l’hypothèse d’un simple troc, un “cadeau encore plus important” aux Français les plus riches (700 millions d’euros contre 4 milliards). Dans un déminage préventif, François Baroin, ministre du Budget, a tout à la fois déclaré que le bouclier fiscal était devenu “un symbole d’injustice” mais qu’il juge “difficile d’envisager la suppression de l’ISF sans une réflexion sur la substitution d’un impôt sur le patrimoine“.

Dans la seringue, la majorité doit affronter la quadrature du cercle. Rassurer son fonds de commerce, les possédants, tout en lâchant, face aux tensions sociales, du lest dans les symboles.

Dans ce cadre, la commission des finances de l’Assemblée nationale a rejeté mercredi l’amendement déposé par la centaine de députés de l’UMP qui demandait la suppression conjointe du bouclier fiscal et de l’impôt sur la fortune (ISF), ainsi que la création d’une nouvelle tranche d’impôt sur le revenu (à 46 %).

Jean Leonetti, le premier vice-président du groupe UMP de l’Assemblée nationale explique que “c’était avant tout un amendement de pression pour que le gouvernement et le président s’engagent à faire quelque chose avant la présidentielle de 2012“. “Les députés cosignataires ne voulaient pas arriver au bout de leur mandat sans que l’on ait rien fait sur ces questions. Là, il y a un engagement à faire quelque chose de façon élaborée dans six mois, cela leur va. Ce qu’a dit M. sarkozy les a apaisés”.

Considéré comme le pêché originel du mandat de Nicolas Sarkozy, le bouclier fiscal décrété par le chef de l’Etat en personne il y a quelques mois encore comme le fil rouge inaliénable de son quinquennat a vécu. Le président avant d’être dogmatique est un pragmatique capable d’affirmer à six mois d’intervalle avec force une chose et son contraire.

Pour ne pas se déjuger ouvertement, François Baroin a été chargé d’ouvrir la brèche. Mission accomplie mercredi sur France Inter par un message soigneusement préparé : oui à une remise en cause d’un symbole d’injustice mais non à la “précipitation”.

Il y a du flottement à l’Elysée où l’on s’interroge sur la nouvelle stratégie fiscale à adopter. Les parlementaires UMP peuvent bien s’agiter et faire des propositions, c’est le président qui tranchera. Maître du temps et du calendrier Nicolas Sarkozy cherche à temporiser en annonçant qu’il engageait une réflexion et que des mesures relatives à la fiscalité du patrimoine seront présentées en juin 2011 à travers un projet de loi de finances rectificatif.

Selon Pierre Méhaignerie, le gouvernement veut attendre la parution, fin décembre, d’un rapport de la Cour des comptes sur la fiscalité européenne. Ce document devrait en effet servir de base à l’organisation d’un “débat” de 4 mois dans le pays sur les spécificités de la fiscalité française. L’occasion de faire de la pédagogie auprès de la population et de préparer le terrain à la suppression simultanée du bouclier fiscal et de l’ISF.

Favorable à la suppression du bouclier fiscal et de l’impôt sur la fortune, Pierre Méhaignerie, député maire UMP de Vitré rétorque au PS qu’il n’y a pas de marché de dupes puisqu’il propose en contrepartie de créer une tranche d’impôt sur le revenu à 46 % et d’instaurer une taxe sur les plus values mobilières, immobilières et sur les revenus du patrimoine. “De cette façon, les 3 milliards d’ISF perdus deviendront 4 milliards dans le budget de l’Etat” estime le président de la commission des affaires sociales à l’Assemblée.

A l’inverse, Laurent Mauduit sur Mediapart, démontre, en s’appuyant sur un travail réalisé par le Syndicat national unifié des impôts (SNUI), que même avec ces correctifs, les contribuables les plus fortunés y gagneraient formidablement, entre 700 millions et 2,5 milliards d’euros.

Mesure toute aussi symbolique que le bouclier fiscal, l’ISF (dont sont écartés les patrimoines professionnels) constitue un cache-sexe à une grande injustice fiscale.

Qualifié d’impôt plutôt imbécile sur l’immobilier il évite de s’interroger sur les inégalités de naissance permises par la faiblesse des droits de succession qui permettent en Europe la constitution de dynasties capitalistiques et bourgeoises. Fasciné par la société américaine Nicolas Sarkozy devrait savoir qu’outre-atlantique on met sur un piédestal la réussite entreprenariale, pas le fait d’être né avec une cuillère en argent dans la bouche.

On y considère que l’abolition des droits de succession, qui favorise les rentiers au détriment du travail, est contraire à l’esprit même du capitalisme. A titre d’exemple on rappelle souvent l’exemple de Warren Buffet, deuxième fortune mondiale, qui a décidé de donner 85 % de sa fortune, à des fondations caritatives. Une voie ouverte par Bill Gates avec la fondation créée avec sa femme, qui s’inscrit dans la tradition philanthropique américaine initiée par les fameux barons voleurs, au début du XXème siècle, les nouveaux milliardaires de l’époque qui finançaient généreusement, au soir de leur vie, musées, écoles ou encore hôpitaux, après s’être enrichis souvent frauduleusement dans le pétrole, l’acier ou les chemins de fer.

La nouvelle approche fiscale de Nicolas Sarkozy marquera-t-elle une rupture ? Vraisemblablement pas pour un candidat qui avait mis la suppression des droits de succession à son programme. Dans ce sens, la création d’une nouvelle tranche d’imposition sur le revenu et de quelques majorations sur les plus-values immobilières en contrepartie de la suppression de l’ISF devrait permettre d’éviter de mettre le nez dans la question (embarrassante) des transmissions de patrimoine.

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