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Pourquoi la réforme des retraites est profondément injuste

Publié le 15 octobre 2010 par Raphael57

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J'ai souvent eu l'occasion de m'exprimer ces derniers temps sur la réforme des retraites dans notre pays (voir mes billets et les commentaires liés suivants : café économique sur les retraitesréforme des retraites, coup d'envi des hostilités, retraite : le serpent de mer politique) Les mots que j'ai le plus souvent employés sont injuste, limitée, sans envergure, partielle, partiale, hors sujet. En effet, que n'ai-je entendu dire qu'il fallait travailler plus longtemps de manière uniforme puisque de toute façon notre espérance de vie augmente. Or, c'est là le plus mauvais indicateur qu'il soit ! En effet, nul n'ignore qu'il existe de grandes disparités entre l'espérance de vie d'un ouvrier de chantier et celle d'un cadre d'une part, et que la question n'est pas tant de vivre longtemps que de vivre en bonne santé... d'où l'idée de développer un indicateur alternatif baptisé par l'OMS "espérance de vie en bonne santé" (que l'INSEE appelle aussi années de vie en bonne santé, AVBS, ou espérance de vie sans incapacité, EVSI), qui représente le nombre d'années en bonne santé qu'une personne peut s'attendre à vivre à la naissance, une bonne santé étant définie par l'absence de limitations d'activités dans les gestes de la vie quotidienne et l'absence d'incapacités.

Selon les derniers chiffres fournis par Eurostat, et présentés sur le site de l'INSEE, l'espérance de vie en bonne santé à la naissance est estimée à 64,2 ans pour les femmes et 63,1 ans pour les hommes. Ainsi, un départ à la retraite pour tous les salariés à 62 ans signifierait-il que nombre d'entre-eux ne profiteront jamais de leur retraite, car la maladie les en empêchera. Comment a évolué cette espérance de vie en bonne santé à la naissance entre 1995 et 2003 ? Y a-t-il parallélisme avec l'Allemagne dont on ne cesse de vanter son courage à réformer ? Réponse sur le graphique ci-dessous que j'ai construit sur la base des chiffres collectés par Eurostat en 2009 pour les 27 pays membres de l'Union européenne :

   Années de vie en bonne santé à la naissance (AVBS) pour un homme (cliquer pour agrandir)

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  [ Source des données : Eurostat ]

Il ressort de ce graphique qu'entre 1995 et 2007, l'espérance de vie en bonne santé à la naissance, en France, a augmenté pour les hommes (comme pour les femmes d'ailleurs). Néanmoins, on notera une évolution certes plus accélérée depuis 2003, mais qui ne doit pas faire oublier que l'on parle ici de tous les salariés, quelle que soit leur catégorie socio-professionnelle. L'Ined s'était penché sur la question dans le numéro 441 de sa revue Population et société (janvier 2008). Elle concluait que, en 2003 chez les hommes, l’espérance de vie totale à 35 ans pour les cadres est de 47 ans, contre seulement 41 ans pour les ouvriers. Mais plus alarmant, l’espérance de vie en bonne santé à 35 ans des cadres est de 34 ans, contre 24 ans chez les ouvriers, soit un écart de 10 ans !

Pour en revenir à l'Allemagne, dont on ne cesse de rappeler que l'âge légal de départ à la retraite pourrait un jour passer à 67 ans, on peut se demander en voyant ce graphique quel espoir a encore un salarié allemand de profiter de sa retraite, sachant que espérance de vie en bonne santé à la naissance est d'environ 59 ans...

Cette réforme est donc injuste, car elle tend à négliger - voire à ignorer - cette disparité des catégories socio-professionnelles, en ne communiquant que sur la valeur moyenne qu'est l'espérance de vie totale à la naissance. La publication de l'INED citée précédemment titrait à juste titre "La double peine des ouvriers : plus d'années d'incapacité au sein d'une vie plus courte" ! Ainsi, sauf à vouloir financer les caisses de retraite avec des gens en mauvaise santé, l'allongement de l'âge de départ en retraite n'apporte pas la solution attendue. Il aurait fallu remettre à plat l'ensemble du système pour en analyser les disparités et les traiter à part.

Pourquoi ne pas réfléchir avec les entreprises à des aménagements de poste (lire cet excellent article d'un médecin du travail sur l'usure prématurée des corps) ou à des système de compagnonnage (dans la novlangue on parlerait de "coaching") ? Peut-être parce que par-delà les beaux discours, les entreprises préfèrent ne suivre que des indicateurs de coût court-termistes, et donc substituer à des salariés expérimentés (par le jeu de préretraites, de départs négociés,...) des stagiaires et des contrats en alternance qui reviennent moins cher et qui sont malléables ? Ceci au détriment de la pérennisation de l'entreprise, puisque la théorie et la pratique économiques montrent  qu'une réelle formation des plus jeunes par ceux qui connaissent le travail est un investissement à long terme favorable à la croissance de l'entreprise, et ce faisant favorable à la croissance de l'économie française. C'eût été peut-être cela le vrai courage politique : moins de clientélisme et plus de réformes tenant compte de la réalité vécue par les salariés. Mais comment être informé de celle-ci lorsque le fonctionnement de la médecine du travail est amendé au milieu d'un texte sur la réforme des retraites, de sorte que le médecin du travail cesse d'être le protecteur des salariés. En effet, l'amendement 730 au projet de loi sur les retraites supprime l'obligation du recours à un médecin du travail pour surveiller la santé des salariés, en lui substituant une "équipe pluridisciplinaire" composée d'infirmiers, de techniciens ou de consultants... Passerait-on de la protection du salarié à la protection de l'entreprise ?

Au fait, on en est où de la réforme du régime de retraite des parlementaires, puisqu'il paraît que nous devons tous mettre la main à la pâte ?

N.B : le prix Nobel d'économie Maurice Allais (un français !) est décédé il y a quelques jours à l'âge de 99 ans. Bien que proche de l'école néoclassique, il refusait le libéralisme sauvage et avait notamment dénoncé cette mondialisation qui "ne peut qu'engendrer partout instabilité, chômage, injustices, désordres et misères de toutes sortes". C'est aussi lui qui avait appelé à voter ontre le Traité constitutionnel européen en 2005, rappelant au cours d'un interview donné au journal l'Humanité en mai 2005, que "l'application inconsidérée de l'article 110 du traité de Rome, à partir de 1974, par l'organisation de Bruxelles, a conduit à une destruction de la croissance de l'économie française, à un chômage massif sans précédent, et aux difficultés insurmontables dans lesquelles nous nous débattons aujourd'hui". A méditer !


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