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L’homosexualité féminine dans les séries américaines

Publié le 15 octobre 2010 par Godsavemyscreen

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Avant d’entrer dans le vif du sujet, et pour mieux cerner le propos de cette note, un petit détour du côté de la représentation de l’homosexualité masculine s’impose.

Si la question gay fit son apparition dans les séries américaines au cours des années 70, elle resta longtemps cantonnée au registre de la simple allusion, du sous-entendu plus ou moins appuyé. Ce fut le cas des Mystères de l’Ouest (Wild Wild West, 1965-1969), dans laquelle les tenues ultra-moulantes de James West, l’admiration du méchant docteur Loveless pour son corps musclé et le goût du travestissement chez Artemus Gordon ne manquèrent pas de semer le trouble – le créateur de la série, Michael Garrison, revendiquait d’ailleurs son homosexualité -. Les choses se précisent ensuite avec les fameux Starsky et Hutch (1975-1979), liés par une amitié aussi forte qu’ambigüe (le doublage français a malheureusement totalement évacué ces nombreuses allusions) ; l’épisode 52, Death in a different Place (Les jours se ressemblent) ira même, fait inédit, jusqu’à mentionner quasi explicitement la question de l’homosexualité : amenés à enquêter sur la mort d’un policier qui fréquentait toutes les nuits une boîte gay de la ville, les deux partenaires se posent des questions. Et dans les années 70, ça donne cela :

Hutch : «Starsky… Faut quand même s’interroger. Un homme qui passe 75 % de son temps avec un autre homme… Y aurait pas certaines tendances à… »

(« Starsk, would you consider that a man who spends 75% of his time with another man has certain…tendencies? » )

En mars 1979, Dallas frappe un grand coup lors de la diffusion de Royal Marriage (2.21), et introduit le premier personnage ouvertement gay de l’histoire des séries américaines. Kit Mainwaring, riche héritier homosexuel, voit ses fiançailles avec Lucy Ewing, la nièce de JR, annulées, et disparaît aussi vite qu’il était apparu. Personne n’est encore prêt à prendre le risque de faire figurer au casting un personnage homosexuel récurrent ; ce sera chose faite quelques années plus tard avec Dynasty (Dynastie, 1981-1989), qui institue parmi ses personnages principaux celui de Steven Carrington, le fils du patriarche autour duquel tourne l’ensemble du show, Blake. Mais présenter toutes les semaines un personnage gay n’est pas sans gêner les producteurs, qui seront plusieurs fois tentés de le pousser vers la bisexualité ou l’hétérosexualité, et ne cesseront de saccager toutes ses histoires d’amour masculines.

Du côté de l’homosexualité féminine, il faudra attendre les années 90 pour qu’une relation lesbienne soit introduite à l’écran, relation qui ne sera jamais toutefois ouvertement « consommée » : l’amitié indéfectible qui lie la très forte Xena (Xena, Warrior Princess, 1995-2001) à la douce Gabrielle gagnera au fil du temps en ambiguïté, et les scénaristes deviendront des experts dans le maniement des sous-entendus. Là encore, le doublage français se chargera d’évacuer toute allusion amoureuse ; Xena et Gabrielle ont néanmoins ouvert la voie à une plus grande visibilité de l’homosexualité féminine dans les séries.

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Le premier personnage récurrent ouvertement lesbien apparaît en 1997, dans une série qui passa globalement inaperçue : créée par Jason Katims (Roswell) et produite par Edward Zwick et Marshall Herskovitz (My So-Called Life, Once & Again), Relativity met en scène un jeune couple, Isabel et Leo, tombés amoureux l’un de l’autre lors d’un voyage à Rome. Rhonda, la soeur de Leo, est le premier personnage récurrent lesbien à être présenté comme tel dès le début d’une série. Relativity innovera une seconde fois en mettant en scène en janvier 1997, au cours de l’épisode The Day The Earth Moved, le tout premier baiser lesbien. Amoureux, sensuel et traité avec une grande simplicité, ce baiser provoquera néanmoins quelques remous chez les conservateurs.

Rien de comparable, toutefois, au lever de boucliers qui attendrait quelques mois plus tard Ellen DeGeneres. Actrice, comédienne, humoriste et animatrice de talk-show, Ellen DeGeneres fut également l’héroïne d’une sitcom, diffusée entre 1994 et 1998 sur ABC, et baptisée tout simplement Ellen. L’actrice, en couple avec Portia de Rossi, décide de frapper un grand coup en révélant publiquement, via le coming-out de son personnage dans la sitcom, sa propre homosexualité. Après des semaines de négociation avec Walt Disney et ABC, sa demande est acceptée ; mais une fuite révèle le projet à la presse, et le scandale éclate quelques mois avant la diffusion de l’épisode. Menaces de mort, demande de retrait de l’émission et de boycott de tous les produits Disney, alerte à la bombe au sein des studios lors de l’enregistrement de l’épisode, l’Amérique conservatrice se déchaîne et incite Ellen DeGeneres à faire son coming-out deux mois plus tôt dans le célèbre talk-show d’Oprah Winfrey, The Oprah Winfrey Show. Néanmoins, les producteurs tiennent bon et en avril 1997, le personnage d’Ellen évoque son homosexualité à sa psy, interprétée par… Oprah Winfrey. Une jolie mise en abyme, et l’un des meilleurs scores d’audience de la série – The Puppy Episode réunit environ 30 millions de téléspectateurs – ; la sitcom fut néanmoins annulée l’année suivante, davantage à cause du renoncement des producteurs que de la chute des audiences.

Si la volonté de coup médiatique, la célébrité d’Ellen DeGeneres et les différentes natures de publics touchés (« grand public » pour la sitcom, « public averti » pour le drama) expliquent assez aisément la démesure des réactions suite au coming-out d’Ellen par rapport au premier baiser lesbien, mis en scène cinq mois plus tôt dans Relativity, il n’en reste pas moins une question : pourquoi, alors que le premier personnage récurrent lesbien apparaît 15 ans après le premier personnage régulier gay, le premier baiser homosexuel sera néanmoins féminin ? 

Il faudra en effet attendre le mois de mai 2000 pour voir deux hommes s’embrasser dans une série : c’est la pourtant très peu subversive Dawson’s Creek (1998-2003) qui en sera l’instigatrice, mettant en scène au cours de l’épisode True Love (3.23) le baiser échangé entre Jack et un personnage de passage. La WB, qui diffusait Dawson, avait par ailleurs trouvé le comédien idéal en la personne de Kerr Smith (l’interprète de Jack), puisque celui-ci exigea que son contrat n’autorise qu’un seul baiser homosexuel par saison… Quoiqu’il en soit, plusieurs éléments de réponse peuvent éclairer cette différence de traitement entre l’homosexualité masculine et féminine, bien qu’aucun n’aille dans le sens d’une plus grande tolérance envers les lesbiennes qu’envers les gays. Si explication il y a, elle est probablement davantage à chercher du côté d’une acceptation différente de l’homosexualité féminine, ou du moins de sa représentation : chargée de fantasmes masculins, niée par l’idée plus ou moins consciente – et totalement infondée - qu’il ne peut réellement y avoir de sexualité dès lors qu’il n’y a pas de pénétration, la question de l'’homosexualité féminine n’engendre pas les mêmes mécanismes de rejet que son pendant masculin. Il faudra néanmoins de longues années – et le chemin est loin d’être achevé – pour qu’une histoire d’amour entre deux femmes obtienne le même traitement qu’une histoire d’amour hétérosexuelle.

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Toujours sur la WB, c’est la série Buffy, The Vampire Slayer (Buffy contre les Vampires, 1997-2003) qui développa le lent coming-out de Willow, et sa très belle histoire d’amour avec le personnage de Tara : après leur rencontre au cours de l’épisode Hush en 1999 (3.21), la relation entre les deux femmes prend forme sans que rien, toutefois, ne soit explicitement montré ; il faudra attendre le formidable épisode The Body (5.16) pour qu’un premier baiser soit échangé. Le déménagement de Buffy sur la chaine UPN, à partir de la sixième saison, entraînera une plus grande liberté dans la représentation de leur homosexualité et, fait nouveau, un traitement identique à celui des autres couples hétérosexuels de la série.

Urgences (E.R, 1994-2009) s’intéressa à son tour à la question à travers le personnage de Kerry Weaver – après avoir très peu développé l’homosexualité de l’interne Maggie Doyle, en mettant davantage l’accent sur son féminisme et son indépendance - : tombée amoureuse d’une psychiatre, Kim Legaspi, après des années de relations hétérosexuelles, Kerry avoua difficilement son homosexualité à ses collègues et rencontra une deuxième femme, Sandy Lopez, dont elle eut un enfant par insémination artificielle. Mais malgré une certaine justesse de traitement, le personnage de Kerry fut rapidement cantonné à une représentation assez superficielle, son homosexualité étant globalement davantage prétexte à de grands revirements de situations qu’à une véritable réflexion. Il n’empêche que son personnage marqua les esprits, tout comme le fit, un peu plus tôt, celui d’Abby dans NYPD Blue, première série à mettre en scène un couple stable de lesbiennes désirant un enfant par insémination artificielle.

Malgré une visibilité accrue de l’homosexualité féminine, chaque série comptant désormais un personnage lesbien, qu’il soit récurrent ou se contente de faire une apparition, la représentation des amours féminines n’évolue guère : sur-représentées par des personnages d’adolescentes, comme si l’homosexualité ne pouvait être perçue que comme un moment d’égarement temporaire à une période donnée de la vie, bénéficiant très rarement d’un traitement identique à celui des couples hétérosexuels, les relations lesbiennes sont représentées la plupart du temps comme éphémères, un personnage principal s’amourachant pour quelques épisodes seulement d’un personnage de passage.

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La vraie révolution s’appelle The L Word, et débarque sur la chaîne câblée Showtime en 2004. Ancrée dans le milieu lesbien de Los Angeles, elle met en scène les aventures de Bette, Tina, Jenny, Marina, Alice, Dana et Shane et a ceci de nouveau qu’elle décrit ses personnages comme adultes, sûres de leurs choix et bien installées dans leurs vies. Confrontées aux mêmes questions que bon nombre de trentenaires, hétérosexuelles ou homosexuelles, les personnages de The L Word tentent de concilier leur vie privée et leur vie professionnelle, leur envie d’engagement et leur besoin d’indépendance, leur désir d’enfant et leurs angoisses existentielles. Certaines sont monogames (Bette et Tina) tandis que les autres sont volages (Shane), certaines s’assument jusqu’au bout des ongles tandis que d’autres n’ont pas encore fait leur coming-out (Dana) : The L Word a pour ambition de représenter les lesbiennes dans leur diversité, et de sortir des carcans et des préjugés habituellement véhiculés par les séries.

Une volonté de diversité pourtant souvent critiquée : en choisissant de ne représenter que des personnages de « lipsticks » - un terme créé à San Francisco dans les années 90 par la journaliste Priscilla Rhoades, et désignant des lesbiennes ultra-féminines – au détriment des personnages de « butches », à l’allure plus masculine, The L Word n’offrirait finalement qu’une seule vision de l’homosexualité féminine. Certains vont plus loin, en affirmant que la série contribue à nourrir certains stéréotypes, notamment celui de la lesbienne très bien placée socialement, exerçant un boulot à responsabilités et grassement rémunéré ; d’autres affirment qu’elle pèche par excès en multipliant les scènes de sexe qui, si elles ont pour but de démontrer que deux femmes peuvent avoir une sexualité épanouie, standardisent quelque peu les rapports et lorgnent du côté du voyeurisme.

La première saison de The L Word fera l’objet d’un prochain billet, mais il est d’ores et déjà possible d’avancer que, si elle n’est pas exempte de défauts et de travers, la série de Ilene Chaiken a toutefois le mérite de renforcer la visibilité de l’homosexualité féminine dans les séries. Nul doute qu’elle ouvrira la voie, à son tour, à de nouvelles représentations.

Un grand merci à mon informatrice qui, je n’en doute pas, saura se reconnaître.


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