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Fertilité & Stérilité

Publié le 16 octobre 2010 par Ruminances

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Mes 14 premières années ont été vécues, entre fertilité et stérilité, à la frontière très concrète de terres irriguées et enrichies par le Nil et le dur désert saharien que seul ce fleuve est capable de franchir. C’est dire que ce thème m’est familier.

J’écoutais récemment une émission de France-Inter (‘La tête au carré’) où il était question de la stérilité très progressives de riches terres agricoles d’antan. Il y était question de la disparition des vers de terre qui favorisent tant l‘agriculture. Et plus généralement de toute la vie – des microbes aux oiseaux en passant par les abeilles, les taupes, les campagnols etc. … Et des arbres, bien sûr, avec leurs milliards de kilomètres de racines !

On sait la vogue, depuis deux siècles, mais surtout depuis une soixantaine d’années, d’une agriculture moderne, devenue ‘industrielle’, qui ne pense que labours profonds, par d’énormes tracteurs, plus engrais et pesticides chimiques, monocultures, démembrements des taillis et talus, arrachages d’arbres isolés, j’en passe…D’énormes superficies agricoles (de l’Ukraine au Texas en passant par la Beauce…) furent ainsi un temps des ‘champions en rendement’, pour le blé notamment.

Puis on commença enfin, il y a 40 ans au mieux, à s’apercevoir que l’on ‘tuait la poule aux œufs d’or’, la terre nourricière, avec ses méthodes trop brutales. Certes, cela a enrichi – de façon inouïe ! – divers propriétaires et surtout divers spéculateurs. Lesquels s’entêtent, avec la complicité de pouvoirs politiques à leur botte, à pratiquer cette agriculture prédatrice de la riche nature. Non seulement par la monoculture céréalière, mais aussi par l’élevage intensif (bovins, porcins, volailles, poissons…). Non seulement la terre se meurt, mais les eaux s’empoisonnent, ainsi que les rivages marins : ravages, ravages !

J’ai beau être citadin – et j’aime ça ! -- depuis fort longtemps, je suis, comme tout un chacun je l’espère, très sensible à la campagne, à sa beauté… Très affligé, comme beaucoup, de la voir défigurée. Non seulement par cette agriculture folle de profits à court terme, mais par la laideur envahissante de toutes ces ‘zones’ qui ceinturent villes et villages, avec prolifération de super-super-super marchés, etc. : uniformisation de ‘la société de consommation’, bouffe, jette, roule, vote, bosse ou chôme… et tais-toi !, ‘lémarché’ et ‘lémédia’ pensent pour toi…

Ils y pensent si peu, ou si mal, que les ravages de la nature, y compris la nôtre, s’accélèrent. On sait, mieux que ce dramatique appauvrissement de sols malmenés, qu’il y a aussi épuisement en vue des ressources pétrolières. D’où la folie par exemple de cette exploitation de forages très profonds, qui a entraîné l’immense marée noire du Golfe du Mexique…après tant d’autres marées noires ! – Folie à rapprocher d’autres catastrophes prévisibles comme Tchernobyl, Bhopal, les ‘boues rouges’ de Hongrie, etc. …

Et puis il y a nos vies concrètes…dans ce merdier. Nos vies devant des étalages de richesses inaccessibles à moins de tomber sur ‘le gros lot’ (ou d’épouser Mme Bettencourt !)…ou devenir gangster. Ou rêver. Ou lutter. En tant que lucide citoyen, jamais assez. La lucidité, ce n’est pas par l’étude savante de la société que cela s’apprend, même si elle est nécessaire. Cela s’apprend par ‘se frotter à la société en lutte’, y vivre c’est-à-dire en apprendre et y apporter.

Chacun son grain de sel… toute sa vie. A diverses occasions, y compris s’il le faut, celles si désagréables où il faut oser dire non – et d’argumenter ! – lorsqu’on entend dire (ou faire) une grosse connerie, genre engueulade (ou acte) raciste ou sexiste !

A propos de sexe, retour sur le thème fertilité/stérilité. Il paraît qu’il n’y a pas que nos ‘petites sœurs’ les abeilles à être atteintes, par empoisonnement chimique, de stérilité (et la raréfaction des abeilles entraîne une stérilité de plantes, non fécondées par le pollen qu’elles transportent…). Il paraît que l’homme, mâle surtout, est de plus en plus stérile : son sperme contiendrait de moins en moins de spermatozoïdes au mm3 ! Et ceci également pour cause d’empoisonnement chimique… : Il n’est pas question ici de rentrer dans le détail de ces recherches en cours, sûrement très délicates et importantes. Il est question de s’inquiéter de l’avenir de l’humanité. Certes l’humanité prolifère, c’est exact : des esprits néo-malthusiens pourraient donc, bêtement, se féliciter de ce ‘frein’ possible (voire divin !?) à une fertilité ancestrale.

Mais le vrai problème se pose bien autrement. On sait que les familles nombreuses sont surtout le fait de populations pauvres – on se console comme on peut ! – et c’est souvent dans des zones encore éloignées de nos pollutions modernes, provisoirement et relativement : les hommes y ont encore un bon sperme, sans doute. Cela entraîne que la démographie humaine est en train de se déséquilibrer encore plus. En gros entre ‘Le Sud’ (relativement) pauvre et surpeuplé et ‘Le Nord’, (relativement) riche et sous peuplé. Autre vision, à l’échelle mondiale, de la lutte de classes… et de son issue fatale : la victoire du ‘Sud’ !

Retour ‘au Sud’, à l’Égypte du Nil et du Sahara, symbole de l’opposition des mondes de la fertilité et de la stérilité. Il y a plus d’un demi-siècle que je n’y suis retourné : on m’en a dissuadé en me disant que je n’y retrouverai rien d’autrefois. Ce qui doit être vrai, sinon, sûrement, la gentillesse, l’humour populaires. Le Caire dispute aujourd’hui à Mexico et Calcutta la médaille peu enviable de la plus grande ville du monde de part leurs monstrueux bidonvilles, notamment. Mais j’ai toujours suivi l’actualité écologique du delta du Nil – la plus grande oasis du monde, ayant son extension artificielle dans la zone du canal de Suez où je vivais. Je sais par exemple que ‘ma ville’ d’Ismaïlia est aujourd’hui le siège de l’Institut de l’Irrigation, depuis toujours pratiquée avec soin : la naissance même de l’État pharaonique (modèle historique) est venue de la nécessité de centraliser le système d’irrigation, basé sur les célèbres crues du fleuve…

Aujourd’hui, il n’y a plus d’esclaves pour creuser les canaux, tant mieux. Mais il n’y a plus de crues non plus, ce qui veut dire qu’il n’y a plus d’apport naturel de limon, ces boues argileuses venues des montagnes d’Abyssinie et qui ont fait le sol arable du delta. Car il y a les grands barrages modernes d’Assouan, surtout le dernier, qui a entraîné création de l’immense lac Nasser (pour moitié au Soudan). C’est très bien pour l’électricité, très mauvais pour la fertilité des sols. Et on y pallie avec importation massive d’engrais chimiques, au grand profit des industriels, pas à celui du fellah !… Lequel constate la salinisation croissante des sols, l’avancée du désert et la dégradation de la côte. Là, il y a encore quelques dizaines d’années, un écosystème plurimillénaire faisait vivre micro algues et planctons, sardines s’en nourrissant, dauphins et pêcheurs se partageant ensuite la prise du poisson. Maintenant ? : la misère pour tous, algues, planctons, sardines, dauphins et pêcheurs ! Il semble même – d’après Greenpeace – que le départ des dauphins permet aujourd’hui à leurs ennemis requins (qui pullulent en Mer Rouge) de remonter le canal de Suez et de coloniser désormais jusqu’à la mer Égée !…

Voilà : les requins sont de magnifiques animaux, soit. Respect. A ne pas avoir pour ‘les requins de la finance’ encore plus voraces. Quant aux sardines, dauphins, pêcheurs et fellahs d’Égypte, permettez : total respect !…

Dans ce monde de fous, qui stérilise terres et mers, où va-t-on ? Va-t-on en finir à temps ?… C’est-à-dire passer de la religion de la croissance à la pratique de la décroissance dans l’équité ?

NoteJe me permets de rappeler que j’ai écrit deux articles dont celui-là est un peu le prolongement : -- le pionnier Paul Ariès (17 avril) et – l’abeille et l’économiste, de Yann Moulier Boutang (14 juillet).

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