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Prise au filet des branches

Publié le 08 juillet 2008 par Menear
Extrait bucolique du Golovanov en cours, pas franchement représentatif de l'ensemble d'ailleurs, parce que l'ensemble serait difficilement résumable en trente lignes. D'autres passages auraient pu faire l'affaire, mais là c'est la lune. Ça change tout.
Nuits infatigables.
Nuits salvatrices.
Parce que dans la journée, tout nous est fermé. Le jour est réservé au quotidien, la nuit à l'essentiel. Dans son profond silence, la voûte du firmament s'entrouvre, devient transparente, le vent nous saisit, transperce l'âme de l'énigme de cet infini qui nous entraîne pendant le bref instant de vie qui nous est accordé. La carte du ciel, largement déployée, est là, immuable depuis le temps où les bateaux phéniciens ou égyptiens ouvraient la route de l'Atlantique.
La lune.
Avec un peu de chance, un mince sentier lumineux ou juste un reflet, minuscule soucoupe figée dans les roseaux, que le saut soudain d'une grenouille, nous gratifiant de trois notes de basse inattendues, éparpille en éclats sinueux et liquides.
La lune, prise au filet des branches.
Les bourgeons gonflent, les feuilles s'extirpent, se déplient, en multitude de strates emplies de chuchotis, d'ombres et de bruissements, et déjà se replient : explosion de sombres et rugueuses dans la somptueuse tenture. Bruissement de la feuille qui tombe en planant. Puis, vide tendu en toile d'araignée entre les branches. Sous le souffle du vent, les doigts osseux de l'arbre, de temps en temps, craquent.
La mort, semble-t-il.
La neige. Magnifique, fraîche, vivante.
Au printemps, sur la neige encore dure qui fond, un liquide jaune suinte des branches cassées par les tourmentes. La mort ? Non, pas la mort : juste un changement de rythme, une halte, un silence...
Inéluctable.
Est-ce le grillon qui, l'été finissant, nettoie dans l'obscurité la rouille du mécanisme secret de l'horloge ou les vagues qui viennent battre le rivage, détruisant l'île ? La nuit, rien ne brouille les signaux qui nous parviennent... La nuit, nous sommes ouverts aux messages...
Vassili Golovanov, Éloge des voyages insensés, Verdier, trad : Hélène Châtelain, P. 257-258.

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