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Notes sur l'amputation #3

Publié le 22 juin 2008 par Menear
Notes sur l'amputation #3Deux personnes très différentes ont déjà accepté de répondre à mes questions vis à vis de l'amputation. Deux amputés, dont l'un médecin, mais deux amputés de membres inférieurs. Mon personnage-narrateur étant privé de sa main, sa main droite, il était important que je parvienne à débusquer quelqu'un qui soit directement concerné par ce problème là. Un amputé membre supérieur. C'est C. qui me permet ce contact en me donnant les coordonnées de M. M. n'a pas d'adresse e-mail : une nouvelle fois, l'entretien se déroulera de vive voix, via le téléphone. Entretien une nouvelle fois enregistré, puis retranscrit.
M. me raconte tout d'abord son histoire personnelle. Que c'est-il passé au juste ? Je fabriquais des petits pétards moi-même, il commence, et puis un jour j'ai fait une mauvaise manipulation et ça m'a pété dans la main. Le temps d'attendre les secours, j'avais la main et un morceau de la cuisse arrachés. En gros c'est ça. Je ne m'intéresse pas forcément aux détails crus et aux causes directes de l'accident, le gros de cette période étant, dans « Coup de tête », situé hors texte, mais je lui demande de poursuivre, ce qu'il fait d'un ton très dégagé. Le truc c'est que ma main était décollée de l'avant-bras, retenue par un tendon sur deux trois centimètres et il me restait plus que l'index. Sur l'index, y avait plus de peau, y avait que l'os et la chair dessus. Et ma cuisse était pas mal ouverte aussi avec un gros trou au dessus du genou. Après ça, je me suis allongé par terre, j'ai appelé au secours, on est venu, on m'a fait un garrot, des points de compression en attendant le SAMU. Je suis restée une bonne demie heure allongé comme ça. Comme c'était délicat de me transporter après, ils m'ont plongé dans un coma artificiel. Je me suis réveillé trois semaines après, j'étais en salle de réveil. Quand on aborde la question de ses premières impressions, au réveil, M. me raconte très calmement quel était son état d'esprit du moment : à son réveil, sa main était déjà cicatrisée, cachée sous un gros pansement. Sa cuisse également. Ils m'ont fait une greffe de peau sur la cuisse, il me dit aussi, j'avais la chair à vif. M. m'explique ensuite qu'on le monte au treizième étage, comme si le chiffre treize gardait son importance plusieurs années plus tard, où il peut bénéficier d'une chambre simple. Il reste au treizième étage de l'hôpital pendant deux mois et demi.
De son propre aveux, la rééducation se déroule de façon plutôt rapide. Les médecins me disaient que je me remettais très vite, qu'ils avaient jamais vu ça. Il me précise qu'il avait alors un gros mental et que dans ce genre de rééducation, le mental, c'est au moins cinquante pour cent du boulot. Il m'explique ensuite les différentes étapes indispensables pour l'appareillage. Je me permets de les omettre pour cet article puisque la question de l'appareillage ne m'intéresse pas vis à vis de« Coup de tête ». Je retiens simplement cette phrase, prononcée à la suite de ses explications : en réalité ma prothèse, je ne m'en sers pas. Parce qu'il n'y a pas grande nécessité à s'en servir.
A une main, on ne peut plus faire autant de gestes qu'avant. Des gestes banales. Du quotidien. Ça, évidemment, j'en ai pris conscience depuis longtemps. Mais quand il s'agit d'identifier ces gestes, on ne se rend pas forcément compte. Pris par le déroulement naturel de l'écriture et toutes les contraintes qui s'y fixent, j'oublie souvent que telle ou telle capacité physique n'est plus envisageable pour quelqu'un qui ne bénéficie plus de ses deux mains. A la relecture, du coup, je me trouve forcé à répéter moi-même les gestes en question. Voir si c'est possible. Voir si ça colle. Si ça ne colle pas, je m'adapte.
M. me parle de certains de ces gestes : je peux pas me couper un steak, par exemple. Ou alors, au début, j'avais beaucoup de mal à m'habiller. Mettre des boutons à une main ou mettre un jean's c'est très dur. Même si évidemment, avec le temps, on prend l'habitude. Je m'intéresse tout particulièrement au problème de la poignée de main parce qu'elle est lourde de symbolisme. Comment on fait, quand on est droitier, pour faire face à cette obligation d'admettre physiquement devant l'autre qu'on n'est pas réellement comme lui ? Réponse : je sers la main de la main gauche maintenant. Je retourne ma main et je sers la main de la main gauche pour que ça s'emboîte bien avec la main droite. Des fois certaines personnes se posent des questions mais ça va pas plus loin. Je le fais comme ça parce que j'ai pas le choix.
Comme avec P. et C. j'aborde également avec M. le chapitre de la douleur, pour moi capital. Et plus j'aurais un « panel » de témoignages représentatifs, mieux ce sera. M. m'explique que plusieurs années après l'accident, il ressent toujours certaines douleurs propres à l'amputation (pour des explications plus techniques, se reporter aux témoignages du Dr C.). Ça brûle, il m'explique, comme si on sentait sa main. Ça brûle du matin au soir. Y a comme des décharges électriques dans toute la main, les doigts... C'est souvent sur un doigt ou deux, ça donne l'impression qu'il y a de l'électricité, des fois ça lance. C'est très spécial comme douleur. Je prends des médicaments pour ça, mais y a pas de douleur zéro. Ça revient toujours. J'ai jamais arrêté d'en prendre depuis mon opération. La question du moral découle d'elle même : bien sûr que les douleurs jouent aussi sur le moral. Quand on est fatigué, quand on est énervé, on a beaucoup plus mal. Ça affecte le mental. C'est le soir avant de dormir que les douleurs sont le plus intenses, par exemple. Quand il y a des baisses de moral, aussi, les douleurs reviennent beaucoup plus fortes. Ça dépend de la météo aussi : quand il fait mauvais dehors, c'est encore un peu plus douloureux. Pareil quand les saisons changent... Il me précise enfin le nom du médicament qu'il prend le plus souvent : Rivotril. A prendre le soir, à la fois pour apaiser les douleurs et également pour l'aider à mieux dormir. Le Rivotril fait aussi office de somnifère.
De son propre aveux, s'il y a bien un élément plus pénible encore dans sa situation que la douleur elle-même, c'est le regard des autres. Ça c'est quand même assez casse pieds, me lâche-t-il. Mais si M. fait partie de ceux qui ont accepté de répondre à mes questions (m'est avis qu'aucun amputé « non assumé » aurait accepté de le faire, évidemment), c'est qu'il est parvenu à dépasser ses premières pénibles impressions : je suis resté comme j'étais. J'allais pas me cacher parce que les gens me regardaient. Maintenant y a aucun problème. Tout le monde le sait. C'est pas que ça me dérange pas, c'est juste que j'ai pas le choix. Il y a beaucoup de préjugés de la part des autres... C'est comme ça, et puis c'est tout.
Au niveau du moral, il admet cela dit que cette situation peut-être usante à la longue. Il me raconte pour appuyer son point de vue une petite anecdote : j'ai passé des tests pour être guichetier à la SNCF il y a quelques mois. Niveau physique, ça allait mais j'ai été recalé par la psychologue qui m'a dit que j'avais plus un profil technique ou manuel que commercial. Ça veut dire quoi ça ? Je veux dire : je fais comment pour faire un boulot technique ? C'est des petites détresses comme ça qui démoralisent. Et puis on se dit que c'est reparti, que c'est pas important.
Je termine notre conversation en lui demandant s'il n'est pas, depuis son accident, sujet à certains traumatismes. Sujet délicat auquel il répond par l'affirmative sans dévier. Il m'explique : maintenant j'ai un peu de mal à m'approcher d'une bouteille de gaz pendant l'été. Avant je faisais pas attention à ces trucs là. Maintenant, c'est différent.
Après cette conversation d'une demie-heure environ, je pense avoir récolté suffisamment d'informations et de points de vue sur la question. Je conserve tout de même les coordonnées de P., C. et M., au cas où. D'autres informations plus factuelles sont faciles à trouver, également. A travers ces entretiens, ces témoignages, je cherchais surtout à traquer un ressenti. Plusieurs, en l'occurrence. Et grâce à leurs voix, parvenir à mieux cerner la personnalité de C.D., mon personnage, que j'ai parfois eu du mal à tenir. Comprendre comment il souffre, c'est comprendre comment il pense et donc comment il dit. Je ne pourrais pas l'écrire sans avoir ces renseignements là. C'est pourquoi je profite de ces quelques lignes, de ces quelques pages, pour remercier une nouvelle fois mes trois témoins tout en terminant cette série de notes sur l'amputation, que je mets en ligne ici pour permettre d'apercevoir l'envers du texte.

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