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Syndrome de Judy Garland

Publié le 06 juin 2008 par Menear
Pour rejoindre le jardin des Plantes, à quelques minutes à pied du collège, je dois emprunter quelques petites rues mancelles sans saveur et, sur Count Grassi's Passage Over Piedmont de The Divine Comedy
j'ai mis des dizaines d'écoutes à comprendre que cette chanson fonctionnait sur un schéma que j'aime beaucoup, à savoir que les paroles chantées par l'une des voix sont exactement les mêmes que celles d'abord dites par la première voix
première voix qui est en fait la même que la seconde, celle de Neil Hannon, le chanteur, en l'occurrence, les deux s'enchaînant voire se recouvrant perpétuellement
suivre les pas d'une silhouette au bout de la rue, silhouette de taille et de corpulence moyenne, qui marche d'un pas ni rapide ni lent, silhouette parfaitement banale donc. La silhouette porte des Converse marron aux pieds et un jean's Lee Cooper presque taille basse comme-on-fait-maintenant et un blouson bleu imitation jean's et par dessus un sac à dos Converse rouge. Ce sac à dos Converse rouge me rappelle celui de Nico qui, s'il n'est pas de marque Converse, est de couleur rouge, lui aussi et la forme est grosso modo la même. Et de suivre cette ombre jusqu'aux portes du jardin des Plantes, ça me ramène une ou deux années en arrière : arriver en avance pour les cours à la fac, apercevoir Nico au bout de la rue ou au bout d'un couloir, en réalité n'apercevoir que son sac rouge qui tranche au milieu du flou ambiant, me retenir de gueuler son nom pour qu'il se retourne de peur qu'il ne se retourne pas et donc de passer pour un con pour les deux trois clampins qui pourraient éventuellement se trouver autour, prendre mon portable, faire son numéro
en réalité se contenter de le chercher parmi mes contacts puis de cliquer sur son nom
, attendre que la tonalité bipe, puis entendre sa voix sur le répondeur et le voir devant moi continuer de marcher, raccrocher, ranger mon téléphone dans ma poche, accélérer le pas, le rattraper coûte que coûte, le tirer par la bride, le faire enlever ses écouteurs, à lui dire eh ça fait une heure que je t'appelle tu pourrais entendre ta sonnerie quand même.
En réalité cette réminiscence est des plus improbables sachant que cette scène s'est peut-être produite une fois tout au plus en deux ans de cohabitation à la fac. Il se trouve en fait que c'est moi qui n'entend pas mon portable quand il sonne et que c'est lui qui me tire par la bride et qui m'engueule et c'est moi qui répond ah ouais tiens j'avais pas vu que tu m'avais appelé. Oui sauf que moi j'ai un sac à bandoulière et qu'il est noir
Tout ça pour un sac rouge.
Une fois arrivé au jardin des Plantes : ah s'asseoir sur un banc cinq minutes avec les gosses de derrière qui braillent
MASOCHISME, subst. masc.
Attitude d'une personne qui recherche la souffrance, l'humiliation ou qui s'y complaît.
à aiguiser à la fois son rhume des foins et aussi son aversion viscérale pour les insectes qui tombent sans crier gare. Signe que l'on est vendredi, je me dis, parce que j'ai fini ma semaine depuis midi et demi et que je viens ici meubler mes heures, au jardin des Plantes, à l'ombre des platanes et des peupliers
pourquoi les deux premiers noms d'arbre qui me viennent en tête sont-ils perpétuellement ces deux-là ?
à pirater la connexion laxiste d'un mystérieux inconnu (que je remercie d'ailleurs), et je mange ma salade-sous-vide en continuant-terminant Désordre, un journal de Philippe de Jonckheere.
et quelque part ça se sent, je m'en rends bien compte, cette lecture, et le regain d'intérêt soudain pour mon propre Journal et je me dis qu'au fond j'ai toujours été une éponge à me laisser influencer par tous ceux que je lis en arrière plan et puis je me dis qu'au fond (le fond du fond cette fois) tout ce qui importe, c'est que ça m'aide à tenir le Journal à jour, justement, et en plus ça me permet de matriochker régulièrement, ce qui est toujours appréciable
J'y reste vraisemblablement jusqu'à quinze heures, heure à laquelle je commencer timidement à me diriger vers l'arrêt de tram le plus proche, et via le tram lui-même, gagner le terminus de cette ligne et retrouver Hugo qui, lui, devrait arriver en voiture depuis Nuggets City au-même moment.
Un peu plus loin sur ma gauche, une classe, visiblement une classe de primaire
quoiqu'en apercevant l'une des élèves dans le rang, je me mets à penser bien malgré moi d'ailleurs un bel et bah qu'est-ce qu'elle est grosse celle-là
le genre de différence de taille et de corpulence qui choque l'oeil parce qu'on le rattache automatiquement aux âges et aux silhouettes des autres individus qui l'entourent ; on appelle ça le syndrome de Judy Garland
jusqu'à ce que je comprenne qu'il s'agissait en réalité d'une accompagnatrice adulte, qui avait une silhouette tout à fait banale par ailleurs, et qu'elle n'avait rien d'une géante-boulotte au milieu de nains
qui s'affère sur les rives du petit étang
dans lequel soit dit en passant, et il s'agit là d'un rajout daté du 08 juin 2008 quinze heures, juste sous la ligne de la surface, flottent de nombreux poissons-zeppelins shootés à la vase et aux feuilles mortes
parce que maîtresse regarde maîtresse dis regarde y a des canards je te jure y en a y en a plein. Du coup ça se précipite et ça piaille et ça fait peur aux canards, qui devaient faire la sieste quelque part sur les bordures et les pelouses, parce que j'en vois deux (deux canards, pas deux gamins) qui s'extraient péniblement de la masse chahutante et qui, à la queue-leu-leu comme font les canards, traversent le petit chemin devant moi et me passe sous le nez en râlant d'un air de dire putain on peut pas pioncer tranquille ici et puis qui continuent pour gagner une autre pelouse, une autre bordure d'ombre, plus au calme. J'ai eu le temps de dégainer cela dit. J'ai pris la photo.

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