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L'impression d'un dégoût réticent, mais fasciné

Publié le 05 mars 2008 par Menear
Continuer la découverte, l'exploration de l'Oeuvre de Faulkner, Sartoris à présent, quelque part entre Zola et Taxi Driver. Ce passage pour le génie hallucinatoire, et aussi une belle leçon de répétitions. Je ne fais que découvrir.

L'alcool que le Dr Peabody avait fait prendre à Bayard, au lieu de calmer ses nerfs agités, ballottait lent et chaud dans son estomac et ne servait qu'à lui donner une légère nausée. Contre ses paupières closes passaient en une ronde vertigineuse et obsédante de fantastiques formes rouges. Il les regardait stupidement, sans surprise, émerger des ténèbres, tourbillonner mollement, s'évanouir, puis reparaître, chaque fois plus indistinctes à mesure que son esprit devenait plus net. Cependant, pour ainsi dire fondu parmi ces formes et en même temps à l'écart et au-delà d'elles, empreint d'un serein détachement et d'une calme constance au milieu de leurs absurdes évolutions, un visage lui apparaissait. Son apparition semblait coïncider en quelque sorte avec l'instant même où sa course, arrivée à son paroxysme, s'effondrait dans les ténèbres ; et, en même temps, ce visage paraissait, malgré son détachement, faire partie du tournoyant chaos qui s'ensuivait ; et pourtant, quoiqu'en faisant partie, il apportait dans ce rouge tourbillon une sorte de persistante fraîcheur semblable à celle d'une brise légère et mystérieuse. Le visage demeura ainsi, distant, sans être absolument distinct, jusqu'à ce que cette sarabande de formes se résolût en un sourd malaise, résultant de la douleur physique engendrée par les cahots de la voiture et laissât subsister en Bayard, comme un écho, cette froide sérénité avec quelque chose de plus, – l'impression d'un dégoût réticent, mais fasciné, inspiré par sa propre personne ou quelque chose qu'il avait fait.
Le soir tombait. De part et d'autre de la route, le coton et le maïs dardaient leurs vertes lances au-dessus de la terre fertile et sombre, et, dans des bouquets de bois derrière lesquels le soleil déclinait parmi les ombres mauves, des ramiers roucoulaient tristement. Au bout de quelques temps, Suratt quitta la grand-route, s'engagea dans un chemin charretier, imprécis, plein d'ornières, entre un champ et un bois, avec le soleil juste en face. Bayard ôta son chapeau et le tint devant sa figure.

Faulkner, Sartoris, Bibliothèque de la Pléiade, trad : R. N. Raimbault et H. Delgove, P.124-125.

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