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Tout n'est rien

Publié le 22 janvier 2008 par Menear
Je fais comme si je n'étais lu par personne. Personne en face de moi. Simplement un mur, le vide, moi-même, rien. Écrire ces lignes, ça m'a cassé les genoux. Je parle à ma page, à mon écran, au vide devant et à l'intérieur de moi.
Besoin de cracher des phrases. Des phrases qui se sont amoncelées entre mes tempes toute la journée et que je n'ai pas pu fixer ailleurs. Beaucoup de mots déjà écrits qui ne sont pas sortis de mes dossiers furtifs, à peine tracés et déjà archivés, fermés, fondus dans le blanc du fond. Ceux-là pas meilleurs que les autres, mais qu'on ne s'y trompe pas : ça existe. Les évènements importants de ma vie souvent camouflés ailleurs, ça existe. C'est là. Pas forcément sur le blog, mais là. A portée de main et de tête, juste devant moi.
La montée, pour aller là-haut, en voiture, dès le matin, à vous en foutre la gerbe au ventre, avec ces virages dans un sens et ces virages dans l'autre et le vide qui s'amasse en bas, contre la vitre. Si longtemps que je ne l'avais pas suivie cette montée-là. En haut, au bout de la route, il faisait froid, la pluie s'est arrêtée, le temps d'une heure ou deux peut-être. Le temps de l'église et du cortège après et le cimetière aussi.
chez mes grands-parents, en Haute-Loire, on y montait l'été, et moi je devais trouver ça long des fois, et avec mon frère on se battait à l'arrière de la voiture pour savoir qui-c'est-qui aurait le privilège d'écouter le walk-man (je me rappelle Mc Solaar, son premier album, ça remonte), et je jouais avec les jouets de là-haut, derrière la petite porte, et les lambris aussi et le jour où Ayrton Senna est mort, j'étais chez eux, pendant que mes parents géraient l'emménagement dans la maison actuelle
C'est les fleurs d'abord, j'en ai respiré la violence du symbole, je me le suis pris dans la gueule, je ne m'y attendais pas. Ces fleurs traitées spécialement pour ça par dessus le cercueil qu'on dirait qu'elle sont engluées dans le plastique, rigides et fausses à la fois. En les fixant pourtant je me suis vu savoir que je vacillerais peut-être. La mort pourtant laissait traîner sa langue sur ma nuque depuis jeudi maintenant. Et même de la voir, Mamie, allongée sur ce lit froid, ça ne m'avait rien fait. Mais les fleurs, en une seconde, et même leurs odeurs avalées par l'air dessus, ça s'est fixé en moi, mes phrases se sont cassées, il n'y avait plus rien d'autre que ces fleurs, ces absurdes, incompréhensibles, inimaginables fleurs qui ont plaqué mon regard.
La musique ensuite. En trois secondes, les premières mesures, les premières syllabes des deux morceaux j'ai senti passer le poids de l'heure au travers de mon corps. Par la musique ça passe. Cette sensibilité là, je l'ai. Atavique. Le reste : absent. Pas un souvenir, pas une parole, pas une pensée. Juste : les notes, le symbole, la fiction. Ça je le ressens. Un peu moins glacé que d'habitude à l'intérieur.
Mamie, elle faisait des gratins de pâtes super bons avec des grosses coquillettes, des coudes, et son jus de viande il était toujours super noir et c'était toujours meilleur que n'importe quoi que faisait mes parents, Mamie, elle se raclait la gorge et elle chassait les mouches qui tournaient dans la maison et elle gardait le lapin quand on partait en vacances des fois
Et puis ça s'est rassemblé dans mes mâchoires. Dans mes tempes. Jusqu'à l'occiput. J'ai craint la migraine plus tôt dans le matin mais la migraine s'est crashée en route. Autre chose. Simplement la tension canalisée dans mes os à mesure que ça convulsait sous l'épiderme. Ça. J'ai regardé le plafond de l'église, des fois. J'ai regardé les autres visages, quand j'ai pu. Mes mains au hasard emmêlées en elles-mêmes. Et ça revenait par vagues, des fois, je me suis tout pris dans les maxillaires, c'était la musique surtout, et les sanglots crus autour, et juste devant moi surtout, mon regard infiniment glacé dans la nuque de ma mère et ses gestes à elle saccadés dans les intervalles, ça me remontait le long du thorax, et là c'était la fin déjà, on partait le long de l'allée centrale, son corps pressé contre le mien, mes pas fragiles déjà et les images que j'avais derrière les yeux, je me souviens parfaitement, celle d'une cage thoracique, justement, qu'on tranche depuis l'intérieur, une lame de cutter à travers les os, le sang coupé brusque, plusieurs fois, de haut en bas de haut en bas de haut en bas, pour qu'entre mes tempes et mes mâchoires ça ne rompe pas, la main de ma mère dans ma main à moi, agrippée serrée, l'air du dehors qui un moment s'est infiltré, mon regard fixe sur l'en face de moi, le fourgon à ma droite, ma main déserte à présent, le regard fixe encore. Sec.
la dernière fois que je l'ai vue, il y a moins d'un mois, elle ne voulait pas lâcher ma main quand il a fallu partir et c'est la première chose à laquelle j'ai pensé quand j'ai su parce que ça me plaisait de m'en souvenir comme ça, sur cette image là et ce jour là elle souriait, je sais, elle avait pas beaucoup parlé mais elle souriait
Devant le marbre : le silence, avec entre les lames les crissements du plastique par dessus les fleurs. Les images, les noms, les visages. Les corps. Le poids de l'air. De la terre dans ma gorge et du sable entre les dents. Le dernier contact glacial de la peau sur la pierre, presque gêné, l'empreinte digitale qu'on y laisse, ça va geler quand l'hiver redoublera.
PS : Pour aujourd'hui ou la veille ou les jours d'avant, merci à ceux qui.

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