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My Blueberry Nights

Publié le 03 décembre 2007 par Menear
Un Wong Kar-Wai ça ne se manque pas. Ou alors ça se manque, et ça se redécouvre plusieurs années plus tard en DVD (le coffret La révolution Wong Kar-Wai m'attend sagement depuis Noël dernier). Mais dans l'idéal, ça ne se manque pas et ça se voit en salle, tant qu'à faire, parce que c'est toujours plus agréable et que ça égaye les jours de pluie (des fois qu'il pleuve, bien sûr, parce que sinon, c'est plus embêtant). Bref, un Wong Kar-Wai ça enthousiasme, c'est toujours ça de gagné, et c'est d'autant plus vrai quand le titre est aussi charmant, car charmant ce titre l'est : My blueberry nights, je trouve que ça pète.
My Blueberry Nights

Le parti pris du film est de présenter un road-movie très américain (après tout pourquoi pas) où trois lieux centraux de l'Amérique sont exploités : New-York, Ploucville (Memphis en réalité) et Vegas. Ces trois espaces, le personnage central, Elizabeth (Norah Jones), les traverse en une heure et demie (durée du film) pour bâtir une sorte de récit initiatique dont on ne comprendra jamais réellement les motivations (si ce n'est une sombre histoire d'amour qui, bien entendu, finit mal). Durant son périple, Elizabeth (tantôt Lizzie, Betty ou, tout simplement, Elizabeth) croise de nombreux personnages secondaires qui l'accompagneront le temps de ses multiples séjours mais qui ne resteront jamais bien longtemps car Lizzie est une nomade, toujours en mouvement, toujours en transit. Parmi ces personnages, Jude Law le beau gosse, David Stratharin le flic bourré, Rachel Weisz le femme fatale du pauvre et Natalie Portman la joueuse de poker. Du beau monde, réellement.
My blueberry nights est un film assez difficile à chroniquer (j'ai déjà dit la même chose il y a peu me semble-t-il) car c'est un film relativement inégal. Pire : c'est un film qui s'éfile. Le tout début, pourtant, laisse augurer du meilleur : c'est la partie new-yorkaise. Elle se déroule quasi intégralement dans un bar, géré par Jérémy (Jude Law), carrefour des pas perdus dans lequel chacun, au fil du temps, y laisse ses ambitions amoureuses déchues et ses amours perdues, symbolisées ici par des clés qu'on abandonne dans un bocal. Elizabeth fait partie de ses propriétaires de clé en mal d'amour, c'est à cette occasion qu'elle rencontre Jeremy. L'esthétisme à outrance de Wong Kar-Wai s'exprime ici pleinement : les métros qui filent dans la nuit comme autant de destins nocturnes qui se croisent, les reflets perpétuels et saturés que l'on découvre dans le bar et le jeu de vitres et de lettrines superposées aux images (la caméra glisse souvent le long des vitres du bar, joignant aux images du couple les inscriptions extérieurs des vitrines, inscriptions le plus souvent à l'envers par ailleurs, signe que le sens ne se trouve pas en ces lieux) sont superbes. C'est également dans cette première partie que les ralentis syncopés et saccadés du chinois s'expriment le mieux, profitant des plus belles lumières, des plus belles nuits (cf. l'affiche, très jolie). Idem pour le montage, ingénieux, qui instaure un rythme fort et prenant à travers quelques ellipses bien venues et de nombreuses superpositions de scènes. Malheureusement cette partie du film n'est qu'une introduction fugace qui ne dure pas. Malheureusement, disais-je, car le film ne tiendra plus par la suite ce niveau là.
My Blueberry Nights

Les deux autres parties du film ont pour avantage de confronter Elizabeth à d'autres personnages qui lui permettront de s'accomplir (quête identitaire etc.). Ce n'est, en soi, pas problématique. Mais le film perd en rythme et en intensité. A mesure que Lizzie croise les destins d'autres personnages, elle-même est de fait mise en retrait, elle devient spectatrice à son tour ; elle devient par ailleurs serveuse dans les bars qu'elle fréquente et non plus cliente, comme au début. Elle glisse lentement dans le décor. Les intrigues parallèles ne sont pas inintéressantes en elles-mêmes mais on sent le fil se détendre : on accroche moins, les effets de caméras et autres altérations de l'images semblent forcés. Dommage.
Idem dans la troisième partie, à Vegas, où les bémols sont plus problématiques : de spectatrice, Betty devient transparente au contact d'une joueuse de poker (Natalie Portman) beaucoup trop percutante comparée à la fade Elizabeth. C'est un comble dans l'économie narrative du film, puisque le personnage d'Elizabeth est censé voguer en pleine quête identitaire, alors même qu'elle s'efface de plus en plus à mesure que le film s'écoule. Le problème est double, de plus : Norah Jones en tant qu'actrice principale est loin d'exéler dans sa performance. A côté de Rachel Wiesz ou Natalie Portman, toutes deux très bonnes dans leurs rôles, du coup, cette mauvaise performance s'en ressent d'autant plus. Dommage (bis).
My Blueberry Nights

Le problème tient également dans cette incertitude permanente que ne résout jamais le film : tient-on à mettre en image une quête initiatique ou s'intéresse-t-on à la relation Jude Law / Norah Jones ? Les deux, de toute évidence, ou plutôt ni l'un ni l'autre, puisque ces deux versants ne sont visiblement pas compatibles. On ne sait pas sur quel pied danser, du coup, et on ne saisit plus les intentions premières du réalisateur, comme ces narrations en voix off qui apparaissent et disparaissent sans réelles raisons ni utilités, clairement de mauvais goût d'ailleurs.
Du coup, mon impression générale est partagée. La première partie du film est géniale, l'image est souvent sublime (malgré les récurrences du réalisateur, les ralentis, et tout et tout), la bande son l'est également (très beau remix pour l'un des thèmes d'In the mood for love par ailleurs), mais quelque chose manque. On sent le film hésitant, parfois incohérent. On sent un film agréable qui passe à côté de quelque chose de très fort et, finalement, bien vite, on se surprend à regretter que le film en entier n'ait pas été pensé dans la première partie uniquement, comme un huis-clos dans ce bar génial où les échanges Norah Jones / Jude Law, tantôt amusant, tantôt touchant et émouvant, auraient pu trouver leur pleine mesure. Vraiment dommage.
[Article également disponible sur Culturopoing]

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