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Orhan Pamuk, Istanbul Souvenirs d'une ville

Publié le 03 août 2007 par Menear
Je ne suis habituellement pas du genre à me jeter sur les écrivains consacrés par les prix, aussi prestigieux soient-ils, mais j'ai du faire une exception pour cet Orhan Pamuk, prix nobel de littérature 2006 et auteur d'un Istanbul, Souvenirs d'une ville des plus agréables. Je ne l'aurais probablement pas remarqué s'il ne m'avait pas nargué plusieurs jours durant, sous mon nez, sur les étalages de la librairie. Je ne l'aurais probablement pas remarqué si sa couverture n'avait pas été aussi belle. Je ne l'aurais probablement pas remarqué si son thème général n'avait pas été celui de la Ville, thématique que j'ai décidé d'explorer dans la littérature contemporaine et dont, promis, un jour, j'écrirai un article plus général et synthétique.

Après Mexico (Mantra), voilà donc Istanbul. Le moins que l'on puisse en dire, d'entrée de jeu, c'est que ces deux livres là n'ont absolument rien à voir. La comparaison (si comparaison il y avait) s'arrête donc dès maintenant.
Istanbul, Souvenirs d'une ville expose directement son contenu dans son titre. Il s'agit pour Orhan Pamuk, avec ce livre, d'évoquer ses propres souvenirs (souvenirs d'enfance et d'adolescence), souvenirs qui s'avèrent toujours être reliés au terreau urbain qui l'a vu naître et qui le porte : Istanbul. L'intrigue principale n'en est donc pas vraiment une. Des personnages, il n'y en a pas non plus (en règle général, je n'aime pas ce genre de livre). Le lecteur assiste en fait, au fil de ces quatre cent et quelques pages, à une conversation à sens unique (un monologue, donc) où l'auteur, le narrateur et le héros sont une seule et même personne, à savoir Orhan Pamuk lui-même. En suivant le tracé de chapitres assez court (entre dix et trente pages par chapitre), Pamuk remonte le temps et retrouve plusieurs époques, lointaines et différentes, qu'il articule avec talent à mesure que se dévoilent sur la page ses propres mots.
On ne s'ennuie pas avec Istanbul, Souvenirs d'une ville, contrairement à ce que ce petit résumé sommaire que je viens d'élaborer en quelques lignes peut laisser entrevoir. Le fait que la question de la représentation soit évacuée d'entrée joue sans doute beaucoup : dans ce livre on ne trouve pratiquement aucune description, et pour cause : les paragraphes sont parfois (souvent) jalonnés de photos en noir et blanc assez nombreuses. De fait, le portrait de la ville prend une tournure moins documentaire, moins journalistique. Il ne s'agit pas tant de représenter une ville que de parler d'un décor, décor qui ne possède son importance que parce qu'il a influé sur la vie et les agissements du héros. L'objet du livre n'est pas exactement d'écrire la ville mais plutôt, ainsi que le suggère le titre, d'insérer un passé, une conscience, des souvenirs, et de se servir du lieu qui les a accueillis pour les faire ressortir.
En se servant de ce point de départ, Orhan Pamuk peut explorer diverses pistes et de nombreux horizons. La ville d'Istanbul est ici à la fois présente en tant qu'environnement intime du jeune Pamuk (de nombreux passages mettent en scène ses parents, sa famille proche, sa famille éloignée, ses amis, etc.), c'est la partie « pratique » du livre, mais il existe également une autre Istanbul, une Istanbul que d'autres ont pu décrire, l'Istanbul historique, littéraire ou picturale, qui vient, parfois, s'inviter à son tour dans le récit. De là on rejoint le principe mis en place dès l'incipit et qui, semble-t-il, a longtemps tenu une place importante dans la vie d'Orhan Pamuk : le héros décrit deux univers parallèles, qui confrontent parfois deux Orhan différents et qui, à travers cette opposition, instaurent un clivage entre deux notions de la même ville, que l'on peut comprendre de différentes manières à travers plusieurs confrontations : Istanbul présente VS Istanbul passée, Istanbul réelle VS Istanbul fictive ou encore Istanbul intime VS l'Istanbul de ceux qui, avant Pamuk, ont émis un regard sur elle.

Les phrases d'Orhan Pamuk servent parfaitement l'évocation de cette ville étrange, souvent prise entre deux eaux (historiquement, géographiquement et culturellement parlant) : ville symbole de l'empire Ottoman éteint au siècle précédent et ville aux forts accents d'occidentalisation galopante (avec, comme apogée de ce mouvement là, la candidature de la Turquie à rejoindre l'Union Européenne). Le style de Pamuk est foisonnant et riche sans jamais devenir lourd ou intellectualiste (dommage, sur ce point là, que je n'ai plus le livre sous la main et que je sois donc incapable d'en proposer un extrait...), et l'agencement des chapitres, lui, reste fidèle à cette idée de ville complexe et atemporelle ; dans ce livre on ne trouve pas réellement de chronologie. Pour autant on ne se perd jamais, puisque l'on reste toujours aiguillé par les pensées du narrateur, son évolution personnelle, ses souvenirs, ses regrets et, toujours, on demeure guidé par la courbe séduisante d'un Bosphore au centre de tout, toujours sublime et sujet à la contemplation et, paradoxalement, souvent associé à cette mélancolie latente qui se dégage toujours d'Istanbul, ce huzun auquel Pamuk consacre un chapitre entier et qui tacitement vient structurer le livre.
Istanbul, Souvenirs d'une ville, c'est aussi un peu plus qu'un simple carnet de pensée, qu'un simple album photo remplit de notes et de souvenirs. Ce livre est aussi, en parallèle de tout ce dont je viens de parler dans les lignes précédentes, un formidable outil pour comprendre le cheminement d'un individu complexe, toujours à part, toujours ailleurs, toujours partagé, comme la ville qu'il contemple, entre diverses attractions. Ce livre est résolument un livre d'écrivain, en cela qu'il tente de cerner la question de l'écriture : pourquoi écrit-il, ce narrateur un peu perdu, et quelle est cette soif de créer qui l'habite. En cela, on peut le considérer comme un Bildungsroman, un roman d'apprentissage, dans lequel l'écriture serait l'enjeu.
A la lecture de la toute dernière phrase, on peut quand même se demander si cet ouvrage là, comme les prémices de Mémoires plus complètes, n'en appellerait pas d'autres ; d'autres où Istanbul et écriture, bien entendu, resterait toujours intimement entrelacés. Après tout pourquoi pas, on verra bien ce que sort Pamuk dans les prochaines années...

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