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Un an plus tard

Publié le 12 juin 2007 par Menear
Je ne pensais pas un jour réécrire dans ce blog. D'ailleurs petit à petit je crois que je m'étais inconsciemment permis de l'oublier. Plus pratique de faire comme ça. A vrai dire, lorsque j'ai tapé l'adresse plus ou moins par hasard et par ennui, tout à l'heure, dans la barre de mon navigateur, j'étais convaincu qu'il avait disparu, que l'hébergeur l'avait purement et simplement supprimé de son espace disque. Je me suis trompé.
En errant au beau milieu de mes vieux articles, je me suis aussi rendu compte que le dernier à avoir été mis en ligne portait la date du 12 juin 2006, il y a un an exactement. Cette coïncidence combinée à la surprise de trouver le blog toujours en activité m'a donné envie d'écrire un petit quelque chose. Il ne s'agit pas de reprendre mon activité de blogueur là où je l'ai laissé. Je n'ai pas envie de m'engager à poursuivre ce simili journal intime. Il est d'ailleurs possible que cet article miraculeux soit aussi mon dernier. Quoiqu'il arrive, je doute que cela intéresse qui que ce soit. Je pense même que le peu de visiteurs qui s'étaient échoués ici l'année dernière ont depuis complètement désertés le navire. Ce n'est peut-être pas plus mal. Je crois que je préfère parler à un mur pixelisé qu'à une foule potentielle d'anonymes.
Pour le coup j'abandonne le pseudonyme imbécile que je m'étais trouvé lors de la création du site et je récupère mon prénom naturel. Ce n'est pas une question d'honnêteté, c'est une simple considération esthétique.
En un an de nombreux changements ont eu le temps de s'opérer dans ma vie. Aujourd'hui j'ai 28 ans, je ne vis plus à Bordeaux, et je ne travaille plus dans une librairie. Je n'ai plus aucun contact avec ma famille (ou si peu) et je ne vois plus aucun de mes anciens amis. Félicia n'est plus pour moi qu'un nom comme les autres qui ne m'évoque rien sinon quelques souvenirs, parfois douloureux, parfois agréables, souvent inconsistants. Lola demeure cette image vivifiante que j'ai toujours gardée en moi et adorée plus ou moins consciemment mais je m'efforce de ne pas penser à elle. Je ne suis plus la personne que je m'étais habitué à être vingt-sept années durant. Je suis comme qui dirait en reconstruction. Il m'a fallut un an pour en arriver là, un peu moins peut-être, mais le processus n'est pas encore achevé.
Je me contenterai d'évoquer l'élément déclencheur d'une telle révolution. Car il s'agit bel et bien de révolution. Revenons donc un an en arrière. J'ai encore 27 ans, je vis encore à Bordeaux et Félicia signifie encore quelque chose à mes yeux. Je ne sais plus exactement quel jour on est, mais je sais que ça se passe quelque part entre le quart de final de la France contre le Brésil et la finale perdue contre l'Italie. On a les moyens mémo-techniques qu'on peut.
Félicia et moi, on ne s'est pas beaucoup vus pendant la coupe du monde. Les matchs, certes, ainsi que le laisse supposer mon dernier article, mais ce n'est finalement pas de cela dont il s'agit. Disons simplement que les circonstances nous ont conduits à rester chacun de notre côté. Le boulot, quelques soucis familiaux, ce genre d'emmerdements tout à fait anodins. Toujours est-il que lorsque l'on s'est revu « pour de vrai », un soir, une soirée rien que pour nous, censée être agréable, quelque part entre le quart de final contre le Brésil et la finale perdue contre l'Italie, c'était aussi la dernière fois qu'on se voyait en tant que couple. Ces trucs là ne se prévoient pas.
J'avais rendez-vous chez elle et de là on était censé vagabonder au gré de nos envies. Finalement on est resté dans son appartement. On a discuté, de tout et de rien, on a commandé une pizza ou quelque chose comme ça, peu importe. Le truc à savoir, c'est qu'on a discuté. Et que dix minutes plus tard je lui ai écrasé mon poing contre la gueule. Non, pas exactement mon poing, en fait. L'intermédiaire entre la main tendue, paume en avant, et le poing fermé. Une posture intermédiaire. Qui s'est écrasé contre sa pommette, son nez, son oeil, aussi, peut-être. Je ne lui ai pas cassé le nez, je ne l'ai pas fait saigner, je ne suis même pas sûr de lui avoir laissé un bleu. D'ailleurs je ne suis pas quelqu'un de violent. Je ne me suis jamais battu plus que ça. Et jamais je n'ai frappé une femme. Avant ce soir. Et je ne le regrette pas. Pas pour le geste en lui-même bien sûr, ni même pour ses conséquences directes sur Félicia, mais pour les conséquences à long terme qu'il a entraîné. Lui filer un coup comme ça, de cette façon-là, à ce moment-là, je crois que ça équivalait pour moi à en recevoir un. Le choc a été identique. Il va de soit que Félicia m'a demandé de partir. Elle me l'a demandé très calmement, sans élever la voix, sans s'énerver, de cet oeil glacial qu'elle a parfois quand elle sait que ça me met hors de moi. Sans autre forme de discussion. Tant mieux, je n'en cherchai pas. Je suis parti. Nous ne nous sommes pas reparlé depuis. Une fois je l'ai croisée après cet événement, lorsqu'elle est passé chez moi me rendre quelques affaires, mais on ne s'est pas échangé le moindre mot.
Je ne vais pas expliciter ici les raisons d'un tel geste. Peut-être le dirai-je un jour, mais pas aujourd'hui. Je pense d'ailleurs qu'un lecteur suffisamment attentif pourra le déduire d'après mes anciens articles et mes anciens états d'âmes étalés ici même. L'important, ce n'est pas l'évènement en lui-même mais les bouleversements qu'il a entraîné.
Difficile de dire exactement ce que j'ai ressentis à ce moment-là. Peut-être que c'était du soulagement, peut-être aussi que c'était de la peine ou de la douleur. De la douleur, j'en ai certainement eu, une douleur lancinante dans la main droite pendant plusieurs jours après le coup, mais dans la tête, non, rien, aucune douleur psychologique ou peu importe ce que ça peut être. Aucun choc concernant le fait que le visage que je venais de frapper était celui d'un individu, d'une femme. Pour moi, à ce stade-là de mon évolution personnelle, ça aurait aussi bien pu être un mur, une porte, ou autre chose, ça n'aurait rien changé.
Je crois simplement que la simple décharge physique que j'ai ressenti, celle-là même qui canalisait une colère enfouie depuis longtemps, a fait ressortir beaucoup de ce dont je ne soupçonnais même pas l'existence et que j'aurais du mal à nommer. Je crois qu'à ce moment-là, le moment précis mais aussi les instants qui ont directement suivis, j'ai compris l'évidence : ce type que j'étais devenu, je le détestais purement et simplement. Et pas parce qu'il frappait une femme, non, mais parce je n'étais pas capable de trouver dans ma vie un instant aussi émotionnellement intense que celui-là. Si j'avais du mourir ce jour-là, la seule chose valable que j'aurais retenu, ça aurait été ce coup de poing dans la gueule de Félicia. Même mon histoire avec Lola – histoire qui n'en était pas une – ne pesait rien en comparaison. Et c'est là que ça m'a frappé, que ça m'a frappé moi, pour le coup : je n'étais rien. Mon existence s'était simplement laissé couler au fur et à mesure que les jours s'emboîtaient les uns dans les autres. Et j'ai flippé. Parce que je savais que je ne voulais pas être ce type que j'avais pourtant toujours été.
De retour chez moi, j'ai appelé un à un les gens que je considérai jusque-là comme mes amis. Je leur ai demandé ce qu'il pensait de moi ; dis n'importe quoi, je leur ai demandé, dis ce qui te passe par la tête. Et quand j'ai raccroché j'ai su qu'il fallait que je dynamite ce type-là. Ce que je m'efforce toujours de faire, presque un an plus tard. Le processus n'est pas encore achevé, mais il est en marche. Parce que se dynamiter soi-même, mine de rien, ce n'est pas évident.
Je ne sais pas exactement pourquoi j'ai tenu à mettre cette histoire sur le papier (et sur ce blog). Peut-être que de cette façon, je suis arrivé à fixer ce sur quoi je pensais ne pas avoir de prise. Ou peut-être que c'est autre chose, peut-être que c'est pour me forcer à aller au bout de mon raisonnement... Ça se pourrait. Mais je n'en sais rien. Cet article est peut-être mon dernier. Si je trouve un quelconque intérêt à poursuivre l'expérience blog, j'y reviendrai peut-être, mais sinon... oui, cet article risque bien d'être mon dernier.

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