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Dexter

Publié le 26 mai 2007 par Menear
Le grand amateur de séries télé que je suis n'a pas pu se retenir d'écrire quelques lignes sur la « révélation » de l'année : Dexter. Adaptée d'une série de romans de Jeff Lindsay, la saison 1 de Dexter est depuis peu diffusée par Canal + dans son créneau du jeudi soir alors qu'aux Etats Unis la diffusion est terminée depuis quelques temps sur la chaîne Showtime. Inutile de préciser que si je prends le temps de vous en parler, c'est que cette série m'a beaucoup plu et que je souhaite partager avec vous ce nouveau « coup de coeur ».
Dexter

Le concept de la série est simple et efficace : le spectateur suit Dexter Morgan (à la fois personnage principal et narrateur/voix off de la série), « rat de laboratoire » de la police de Miami, spécialisé dans les taches de sang et, accessoirement, tueur en série à ses heures perdues. Dexter est ainsi méticuleux, rigoureux et professionnel, ne laissant jamais rien au hasard, n'oubliant derrière lui aucun indice ou preuve compromettante. Il faut dire que c'est son flic de père adoptif (Harry Morgan) qui lui a tout enseigné : s'étant rendu compte de la « particularité » de son fils, il lui inculque un « code » pour lui permettre de survivre. Il lui enseigne également un semblant de morale : il ne doit tuer que ceux qui le « méritent » (assassins, violeurs, trafiquants, tous inaccessibles des services de police ou ayant bénéficié de failles du système), lui permettant ainsi d'assouvir ses pulsions (son identité) tout en rendant un minimum « justice » à la société.

Dexter

Dexter est donc un de ces héros/antihéros que l'on arrive pas vraiment à cerner comme il en apparaît beaucoup ces derniers temps sur nos petits écrans (Tony Soprano des Sopranos et Vic Mackey de The Shield en tête). Difficile de ne pas l'aimer : « Dex » est le gendre idéal, gentil, serviable, efficace dans son travail et toujours prêt à simuler un semblant d'humanité. Mais difficile également de cautionner ses pratiques, qui mettent souvent le spectateur dans une position assez inconfortable. La frontière entre bien et mal s'efface progressivement et quelques relations perverses se mettent vite en place entre les différents personnages, instaurant de fait un climat perpétuellement inhabituel, d'où naît l'originalité de la série.

Mais sa (très) bonne qualité ne se limite pas au concept de départ, somme toute un peu léger (les bouquins de Jeff Lindsay ne sont visiblement pas à la hauteur de son adaptation). La très bonne réalisation de la série y joue également beaucoup. C'est tout d'abord une équipe rodée qui se charge d'encadrer la bête : James Manos Jr (The Sopranos) en est le scénariste, pendant que Michael Cuesta (réalisateur de quelques épisodes de Six Feet Under et à qui l'on doit les prometteurs LIE et 12 and holding) produit et réalise un certain nombre d'épisodes, le tout dans un style très léché, souvent superbe (en témoigne le générique génial proposé ci-dessous). Enfin (surtout), on note l'extraordinaire performance de Micheal C. Hall (qui jouait le rôle de David dans Six Feet Under) dans le rôle titre, un rôle aux antipodes de celui de SFU, un rôle maîtrisé de main de maître, puisqu'à aucun moment (aucun !) on ne retrouve le David que l'on connaissait : Dexter l'a complètement absorbé (la métamorphose est saisissante : Dexter est tout ce que David n'était pas, confiant, sûr de lui, froid, calculateur, sexy, etc.). Le reste du casting est également très efficace, ainsi que la bande son et le décor urbain qui l'environnent : une ville de Miami qui assume sa part importante dans le déroulement de l'intrigue, avec sa chaleur caniculaire, ses rythmes latinos et sa perpétuelle humidité.
Ce qui impressionne surtout dans Dexter, plus que le point de départ, c'est le traitement intelligent des personnages secondaires. Car ce sont eux, autant que le personnage central, qui portent la série sur leurs épaules. Et de ce côté là, à l'instar de Six Feet Under pour qui ce point-là était déjà une grande réussite, le défi est relevé haut la main : chaque personnage qui entoure Dexter s'impose naturellement avec sa propre personnalité, ses propres doutes et angoisses. Qu'il s'agisse de la petite amie de Dexter, battue par son ex-mari, sa soeur, rookie à la Crim ou des autres inspecteurs, tous réagissent selon leur propre sensibilité, leur propre réalité parallèle (mention particulière à Angel Baptista, mon préféré).
On remarque d'ailleurs bien vite que Dexter n'est pas le seul à simuler sa normalité (grande thématique de la série, si ce n'est la plus importante) : chacun s'insère dans le jeu permanent du manège social, chacun modèle un masque différent pour cacher son « moi obscur ». Il devient d'ailleurs vite bien plus intéressant de suivre les efforts de ces personnages pour paraître normaux, Dexter en tête, plutôt que de s'attacher à comprendre des intrigues policières souvent assez banales et prévisibles. Là n'est pas la question, de toute façon, car Dexter privilégie d'avantage les « plongées » dans les profondeurs de ses personnages que ses intrigues criminelles. L'affaire principale qui occupe l'intégralité de la saison 1 en est d'ailleurs le parfait exemple : très peu de suspens concernant ce « tueur au camion frigorifique » (« ice truck killer »), qui se met à jouer avec Dexter en lui proposant un petit parcours mortuaire au sein de ses propres souvenirs. Les indices et les meurtres s'accumulent (le tout sans une seule goutte de sang, comme vous pouvez le voir sur le second extrait), mais l'on s'intéresse bien plus aux réactions du dit Dexter qu'à l'accomplissement de l'enquête. Le tour de force de la série aura d'ailleurs été de proposer des épisodes totalement « vierges », où il ne se passe presque rien, pour permettre l'approfondissement des caractères des uns et des autres. C'est à ce genre de détail que l'on reconnaît les bonnes séries.
Je ne serais cependant pas aussi dithyrambique que certaines chroniques lues ici ou : Dexter est certainement une bonne série, mais pas aussi dépourvue de défaut qu'on veut bien nous le laisser croire. Pour commencer, le pilote (le premier épisode) est assez maladroit et essaye par tous les moyens de caser trop d'informations pour un spectateur qui n'en a finalement pas besoin. Dans ce même ordre idée, les nombreux flash-backs censés expliciter la condition du personnage clé sont parfois gênants, dans le sens où ses motivations tendent trop à être justifiées, expliquées (un mal américain a priori, tant on retrouve souvent dans ses films ou séries cette manie de toujours vouloir tout montrer, tout relier, quand bien même les effets et les causes ne sont pas toujours entrelacés). Enfin, que penser du format de la série : douze épisodes finalement, c'est trop court, lorsqu'on essaie de mettre en place une telle esthétique de l'ambiance, de l'attente ce qui, on s'en rend compte au terme de la saison, force une accélération trop brutal du rythme final. Ce type de rupture peut fonctionner dans le roman, mais c'est plus difficilement acceptable dans le cadre d'une série où, pour le coup, deux voire trois épisodes supplémentaires n'auraient pas été superflus.
Dexter

Mais peu importe ces écueils, je les ai formulés pour la forme ; ils titillent légèrement le plaisir du spectateur sans jamais le gêner. Dexter demeure un OVNI très intéressant. Inclassable (ni série policière, ni vraiment autre) Dexter s'impose comme une très bonne surprise, extrêmement bien réalisée, scénarisée et interprétée. On passe volontiers sur les quelques maladresses qui jalonnent ça et là le déroulement de cette première saison et on préférera se focaliser sur les points positifs. Très prenante, cette série mérite également que l'on y revienne plusieurs fois, puisque la trame policière n'en constitue pas le seul et unique intérêt.
Se positionnant comme une série aux limites de la moralité (moralité bien plus malmenée que ne le laisse supposer l'apparent « code de Harry » qui est maladroitement exposé lors du pilote), on se prend bien vite à adorer Dexter ainsi que lui même, secrètement, souhaiterais qu'on l'adore, au grand jour, sans secret, et qu'on le connaisse sous son vrai visage, car c'est bien ça le point fondamental de la série : plonger dans les tréfonds complexes de l'âme humaine pour pouvoir y retrouver une réalité masquée, qu'on ne peut laisser entrevoir aux autres. En cela, bien sûr, Dexter, c'est un peu tout le monde.

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