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Nine Inch Nails, Year Zero

Publié le 12 mai 2007 par Menear
Ignorant comme j'étais de l'actualité musicale, j'ai appris d'un coup qu'un nouvel album de Nine Inch Nails, non seulement était en préparation mais était également déjà sortie ; je l'appris prêt d'une semaine après la date officielle de lancement. Du coup, ni une ni deux, le lendemain, après un passage à la Fnac, je m'offre ce Year Zero, profitant qu'il soit déjà dans les pseudo prix verts puisqu'en général, les albums de NIN sont assez onéreux... Amateur du groupe de Trent Reznor depuis surtout The Fragile et surtout With Teeth (sans mentionner ses collaborations avec Bowie sur Earthling), je me délecte donc sans réserve de ce dernier « halo ». Après une dizaine de jours d'écoute quasi exclusive de ce dernier né, je suis fin prêt à vous en délivrer la substance, une substance assez énergique, bien évidemment.
Nine Inch Nails, Year Zero

Year Zero est un concept album assez ambitieux, qui semble avoir pour but de trancher avec le trop « popisé » With Teeth (que j'ai adoré, soit dit en passant), délaissé par les fans « purs et durs », et qui dépasse le simple cadre du projet musical. Les tentacules structurantes de cette album vont au-delà de la « simple » dimension sonore, touchant ainsi à une apparente touche multimédia.
Mais le concept d'abord : Year Zero choisit de peindre un monde, le notre, projeté dans un futur proche de quinze ans. La société semble avoir atteint les limites de son évolution et se perd, opprimée par une classe dirigeante corrompue au pouvoir écrasant. La religion, la violence, l'écologie, autant de notion complètement aliénée, le « début de la fin », somme toute, ainsi que le clame le premier « narrateur » de l'album. Car Year Zero fonctionne comme un assemblage de points de vue différents (des narrateurs, donc), écartés, confrontés, qui finissent, une fois réunis, par assembler une esquisse appuyée de ce monde quasi apocalyptique.
Contrairement à With Teeth qui pouvait apparaître comme essentiellement « commercial » (« oui mais commercial, ça veut dire quoi ? Hein ? Hein ? HEIN ? », on s'en fout, vous avez bien sûr compris ce que je voulais dire), Year Zero s'érige comme un mélange appréciable de titres a priori plutôt « grand public » ou « accessibles » et de pistes plus dures, plus complexes et certainement moins évidentes aux premières écoutes. « The Good Soldier », sous ses airs de ballades simplettes et lancinantes, se rangerait bien entendu dans la première de ces catégories, mais d'autres chansons, tels que « The Beggining of the End » ou « God Given » vont également dans ce sens là : elles flattent notre goût pour l'instantanément consommable, l'instantanément appréciable (et je ne dis pas que c'est un mal, loin de là).
La majorité des chansons de cet album ont cependant le point commun de s'unifier dans un cri général vers lequel convergent la plupart de leurs « narrateurs ». La violence présentée ici dans bon nombre de chanson marque une rupture avec With Teeth, parfois un peu mou, et donne tout son crédit à une sorte de rock techno-industriel décomplexé et, pour le coup, parfaitement assumé. On est pas au niveau d'un « Self Destruction Final », remix présenté sur Further Down The Spiral, mais on n'en est parfois pas loin. En témoigne l'excellent « Survivalism », premier single furieux et rythmé issu de cet album. La consommation à outrance, l'impérialisme, le chaos, le tout évoqué seulement par les textes et amplifié par des dizaines de rythmes mécaniques et saturés, dont le refrain frénétique et martelé par un Reznor à la voix décomposée (dans le sens premier du terme) expose et explose à la manière d'impacts violents et ciblés contre la tempe de l'auditeur. Un travail surprenant y est effectué sur la diction : chaque syllabes étant prononcées une par une, au tac-au-tac comme si celles-ci existaient simplement par elles-mêmes, sans aucune connection avec les autres. Ce refrain, un brin tribal, le voici copié ici pour vous, et qui pourra se répercuter par la vision du clip, présent en bas d'article :

I got my propaganda I got revisionism
I got my violence in high def ultra-realism
All a part of this great nation
I got my fist I got my plan I got survivalism


Nine Inch Nails, Year Zero

On remarque aussi sur cet album l'étonnante mutation de la voix de Reznor (et c'est ce qui m'a le plus surpris à première écoute), qui s'échappe parfois dans des élans et des dislocations auxquelles on ne s'attend pas. C'est le cas dans les pistes centrales « Vessel » et « Me, I'm not », où ces mutations semblent naître d'un sentiment fort d'aliénation et de perte d'identité : d'identité personnelle, d'abord, et spirituelle ensuite : « I am becoming something else / I am a turning into god », chanté sur « Vessel ». C'est le même constat sur « Me, I'm not », qui suit tout de suite après, où on assiste au dialogue a priori schizophrénique d'un personnage qui « ne peut pas s'arrêter » (« Hey / Can we stop / Me, I'm not », dit le refrain avec cette lancinante application, ce calme contemplateur et glacé). Deux pistes pour moi centrales car elles dégagent ce quelque chose qui fait tout le charme de l'album : une sorte de froide constatation de phénomènes d'aliénation a priori douloureuse ce qui, pour le coup, m'a rappelé certaines atmosphères soulevées par Bowie sur « All the Madmen », chanson phare de son très sombre The Man Who Sold the World.
Les passages plus « dévastateurs » de l'album sont également très bien négociés, où les concentrés de furie se retrouvent assez bien disséminés : des « My Violent Heart » ou « Meet Your Master » dans lesquels s'ensevelissent divers bruits et sons parfois paradoxaux dans leur usage mais qui traduisent bien l'état de violence extrême qui règne dans cette contre-utopie musicale. Au passage, je tiens, concernant ces morceaux-là en particulier, à souligner le gros travail apporté sur les silences, qui, allié à un superbe mixage de l'ensemble, parviennent à dégager une profondeur parfois impressionnante. C'est le cas sur les refrains (ou sur la chute des refrains )de « Survivalism » et cela se répercute également sur les autres pistes du disque.
A ce niveau, la grande grande prouesse de Year Zero, c'est à mon sens « The Great Destroyer », à la fois chanson aux rythmes légers, au ton détaché et simple, où la voix épurée de Trent Reznor trouve un écho monumental, d'abord dans les mots qui s'articulent et ensuite dans cette épopée finale où sons électroniques et mécaniques finissent par tout recouvrir dans un brouhaha inaudible et apocalyptique. La mélancolie qui se dégage de cette chanson me paraît simplement hallucinante, et rejoint ce que je disais un peu plus tôt sur Bowie et « All the Madmen » ; c'est ce genre de chanson que j'apprécie, où chaque élément tient sa place avant tout pour approfondir le message que délivre son personnage. Le résultat est impressionnant, et le final qui se fond en une orgie sonore et destructrice assez incroyable, déploie vraiment avec la plus grande évidence ce que chantait le texte une ou deux minutes plus tôt, cette histoire tintée de 1984 et de terrorisme post onze septembre, comme en témoigne le refrain que je vous copie/colle de suite :

I hope they cannot see
The limitless potential
Living inside of me
To murder everything
I hope they cannot see
I am the great destroyer


Nine Inch Nails, Year Zero

Un peu comme dans With Teeth (décidément !), Year Zero se termine par des morceaux atmosphériques plus légers et plus épurés. On a droit à quelques pistes à la The Fragile, des instrumentales froides, véritables bouffées d'oxygène dans ce genre d'album (dommage cependant, contrairement à The Fragile, on ne retrouve cette fois pas Mike Garson au piano), mais également à des chansons plus allégées, quoique extrêmement sinistres et affûtées, comme par exemple « In this Twilight », finalement assez touchante.
Le disque se ferme sur « Zero Sum », qui clôture également le phénomène de decrescendo de l'album initié, pour moi, par l'apogée générée sur « The Great Destroyer ». La froideur de la rythmique exclusivement électronique est ici doublée par un leitmotiv au piano, contre lequel Reznor ne chante plus mais se contente de chuchoter une sorte de long poème destructuré. Les rares passages chantés sont en réalité surtout fredonnés, masqués par un mixage qui empoussière des voix fantomatiques. « Shame on us / For all we've done / and all we ever were, / just zeros and ones ». Le disque se ferme donc sur « Zero Sum », achevant un parcours qui ne laisse pas intact. La fin de l'album résonne comme une amère déconstruction (où même le piano s'éteint progressivement, il ne demeure ensuite plus que le vent qui s'essouffle) qui, comme un écho à l' « Hyperpower » inaugural, boucle une boucle qui n'aura pu mener que jusqu'à un chaos numérique, fait de zéros et de uns...
Un mot quand même, avant de finir, sur l'aspect multimédia de l'album que j'évoquais dans l'introduction. On remarque tout d'abord le travail pointu effectué sur le packaging, c'est à dire le soin accordé à la confection de la boite (une seule édition), le livret et également le CD, dont la surface se modifie en fonction de la chaleur pour transmettre un code binaire, indice à utiliser dans une traque internautique qui poursuit l'écoute de l'album. Le visuel, sur les sites officiels (ou cachés) dédiés à l'album sont également très travaillés, la charte graphique s'accordant dans des bugs visuels voulus par les concepteurs (symptomatiques de l'ère du pixel). La politique du groupe vis à vis du net a également été très intelligente, puisque l'album a été (et est toujours) intégralement mis en ligne sur la page Myspace de Nine Inch Nails et que les « indices » et les « énigmes » qui découlent du CD amènent à un faire usage du net pour poursuivre l'expérience. La présence « physique » du CD, de la boite et du livret revêtent donc une importance certaine que ne comble pas le téléchargement. Je conseille au passage une écoute de Year Zero en présence du livret et des paroles, car ces chansons sont un tout qu'on ne peut pas vraiment apprécier à sa juste valeur en ignorant l'un ou l'autre de ses composants.
Très bon album que ce Year Zero, donc, car il faut que je me taise désormais, j'ai plus parlé ce soir que d'habitude... Un très bon album, de la trempe, pour moi, de ses deux prédécesseurs, mais sans doute plus difficile d'accès. Mes dix bons jours d'écoute intensive n'auront pas servis à rien, ça, je vous l'assure. C'est également un album qui s'écoute linéairement de préférence, car l'agencement des pistes et l'organisation des morceaux fait partie intégrante de la conception du disque. Je ne révélerais que deux petits bémols, histoire de modérer un peu mon enthousiasme : le premier est que cet album nécessite une écoute active, patiente et approfondi et que l'on ne peut sans doute pas facilement et instantanément en apprécier toute la richesse (du coup, une écoute d'une chanson comme ça, dépourvu de son contexte, perd de sa puissance). Le second bémol renvoie, lui, directement à la sphère multimédia de sa démarche : en élargissant ainsi le champ d'action de cet album, Trent Reznor a peut-être en conséquence affaibli les qualités purement musicales de sa production...
Mais laissons les bémols pour l'anecdote : comme promis et pour vous lâcher directement dans le bain, voici le premier single « Survivalism » accompagné de son clip !

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