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Quelle histoire attend là-bas sa fin ?

Publié le 13 mars 2007 par Menear
Fini aujourd'hui Si par une nuit d'hiver un voyageur, d'Italo Calvino. Superbe roman, même si j'ai eu du mal à m'y jeter durant les premiers chapitres. Je me demande bien, cependant, comme ce roman peut être « étudiable » (Littérature Comparée Option) sachant qu'il insiste toutes les trois pages sur le plaisir de lecture qui prévaut sur la lecture « commentée ». Bref, on verra bien...
Le roman en lui-même est assez époustouflant, entrelaçant des récits différents, le tout surplombé par une mise en abyme perpétuelle qui multiplie les dimensions allégoriques et métaphoriques cachées. D'un point de vue tout autre, certains passages sont justes incroyablement poétiques et justes. La plume de Calvino, elle, est remarquable. En témoignent ces deux extraits qui auront marqués ma lecture...

Depuis qu'encore adolescent je me suis aperçu que la contemplation des jardins émaillés qui tournoient au fond de ce puits de miroirs exaltait mon aptitude aux décisions pratiques et aux prévisions téméraires, je me suis mis à collectionner les kaléidoscopes. L'histoire de cet objet, relativement récente (le kaléidoscope fut brevetée en 1817 par le physicien écossais Sir David Brewster, auteur, entre autres choses, d'un Treatise on New Philosophical Instruments) enfermait ma collection à l'intérieur de limites chronologiquement étroites. Mais je n'ai pas tardé à diriger mes recherches vers une sorte d'objets anciens bien plus illustre et suggestive : les machines catoptriques du XVIIe siècle, petits théâtres de plusieurs types, où l'on voit une figure se multiplier selon l'angle que forment entre eux les miroirs. J'ai le projet de reconstituer le musée rassemblé par le jésuite Athanasius Kircher, auteur de l'Ars magna lucis et umbrae (1646), et inventeur du « théâtre polydiptyque » où la soixantaine de petits miroirs qui tapissent l'intérieur d'une grande boîte transforment une branche en forêt, un soldat de plomb en armée, en bibliothèque un calepin.

(Italo Calvino, Si par une nuit d'hiver un voyageur, Points, p. 181-182, « Dans un réseau de lignes entrecroisées »)

Les feuilles du ginkgo tombaient des branches comme pluie menue, et mouchetaient de jaune le pré. Je marchais en compagnie de M. Okeda sur le sentier de pierres lisses. Je lui expliquai que j'aurais voulu isoler la perception de chaque feuille de ginkgo de la perception de toutes les autres, mais me demandais si c'était seulement possible. C'était possible, répondit M. Okeda. Voici le prémisses dont je partais, et que M. Okeda trouvait fondées. S'il tombe de l'arbre de ginkgo une seule petite feuille jaune, qui vient se poser sur le pré, la sensation qu'on éprouve à la regarder est celle que donne une seule et unique petite feuille jaune. Si ce sont deux petites feuilles qui se détachent de l'arbre, l'oeil les suit et voit les deux petites feuilles voltiger dans l'air, se rapprocher, s'éloigner comme deux papillons qui se poursuivent, pour se poser enfin doucement sur l'herbe, l'une ici, l'autre là. Même chose avec trois, quatre et jusqu'à cinq feuilles ; si le nombre des feuilles voltigeant dans l'air augmente encore, les sensations correspondant à chacune s'ajoutent entre elles et donnent lieu à une sensation complexe ; quelque chose comme celle d'une pluie silencieuse et – pour peu qu'un léger souffle de vent ralentisse leur descente – d'un vole d'ailes suspendu dans l'air, et puis un semis de petites taches lumineuses, quand le regard s'abaisse sur le pré.

(Italo Calvino, Si par une nuit d'hiver un voyageur, Points, p. 221, « Sur le tapis de feuilles éclairées par la lune »)

PS : Le titre de ce billet est aussi le titre de l'un des « fragments » de Si par une nuit d'hiver un voyageur.

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