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Nicolas Sarkozy et les retraites, l’instant Thatcher ?

Publié le 19 octobre 2010 par Vogelsong @Vogelsong

« La guerre c’est la paix » G.Orwell – 1984

Que pèse la survie du système de répartition dans le combat qui l’oppose à la volonté forcenée de conserver le pouvoir ? Ce Graal politique, objet de toutes les tactiques, et  nécessitant la mise sous tension du pays dans son ensemble. La crispation sur les retraites illustre parfaitement le basculement des termes socio-économiques qui régissent l’espace public. La France avec 30 ans de décalage vit un instant Tatcher infligé par une droite vidée de sa substance républicaine, ne répondant plus que par réflexes conditionnés au péril du peuple. Celui qui renâcle à passer sous la toise du modèle global de la compétition économique totale. Celui qui bat le pavé, harnaché de pancartes, grimé de slogans, qui quémande, à force de blocage et en dissipant une énergie infinie, l’ouverture d’un dialogue. Un simple dialogue. La France de 2010, après trois années de complète apnée, mais aussi d’oubli d’elle-même se retrouve. Un peu. Non pas pour marcher vers le progrès, mais pour endiguer le mépris et le cynisme. Dans une épreuve de force asymétrique. Où il n’y a rien à gagner, juste s’épargner l’inconcevable. Rien à gagner, à part, peut être l’opportunité d’exister.

L’instant Thatcher

Nicolas Sarkozy et les retraites, l’instant Thatcher ?En 1984, les mineurs anglais commençaient un conflit qui finira (l’année suivante) brisé sur l’inflexibilité de la dame de fer. La même année, étrangement, la droite française organisait l’une des plus grandes manifestations du pays. En réponse à la loi Savary, tout ce qu’il y a de conservateur en France faisait débonder les boulevards parisiens en passant la barre du million de personnes. N. Sarkozy n’est pas M. Thatcher. La France n’est pas le Royaume-Uni, pourtant sur quelques points, apparaissent des similitudes. On observe de manière saillante à chaque fois la volonté d’humilier l’autre, les autres. En France N.Sarkozy en fait une question politique, une condition sine qua non pour souder son camp en vue des présidentielles de 2012. La question économique agitée comme prétexte, celle de l’obligation de réformer s’avère finalement accessoire. Bien que sur toutes les ondes, les dictaphones de l’UMP tournent en boucle sur l’impérieuse nécessité du projet. De ce projet. Il n’y a aucune alternative, aucun dialogue. Ce n’est pas sans rappeler le leitmotiv thatchérien, le TINA préalable à toute décision politique. L. M. Chatel par exemple déclarait sentencieux et définitif « la réforme des retraites n’est pas une option ». En substance, tout ce que fait le gouvernement n’est ni un choix, ni une alternative, ni le fruit d’une vision politique, mais la seule et unique solution à un problème donné. Quel qu’il soit. L’annihilation du débat, le blanc seing technocratique comme seul horizon politique. Pourtant loin de la neutralité présupposée, le projet de réforme s’inscrit dans une dynamique de libéralisation économique. Option dogmatique que beaucoup de commentateurs dénient à N. Sarkozy.

Le mouvement immobile du pouvoir

L’affirmation que F. Fillon premier ministre se situe dans la mouvance politique de la droite sociale suffirait certainement à englober l’absurdité de la situation. Tout devient possible avec le langage. On substitue la vérité par une affirmation que l’on renomme vérité. On fabrique des artefacts que l’on jette quand ils ne servent plus. Le 18 octobre 2010, le ministre des Transports déclarait qu’il n’y avait pas de pénurie d’hydrocarbures. De manière débonnaire, avec la sûreté qui sied à la vérité profonde. Alors que dans le monde physique des dizaines stations-services versaient leurs dernières gouttes d’essences. Mêmes affabulations dans les rapports chiffrés du taux de grévistes. Une communication bien planifiée dans la perspective de saper les volontés. Briser la conscience commune de participer à la même action. Dans une unité qui s’affranchit de l’espace pour atteindre un objet collectif. Face à cela, on essaie de déployer une rationalité numérique. La froide sentence qui quantifie l’échec. À la seule condition que les trains roulent. Mais la poisse, ils ne roulent pas. Ou très mal.

L’opinion, construction éthérée nécessaire au consentement, trahit ses maîtres. Jusqu’en mai 2010, le gouvernement s’appuyait sur le concept pour vendre son projet. Depuis, plus aucune référence. Une géométrie variable que l’on constate aussi sur l’attitude vis-à-vis de la mobilisation des lycéens. Pas assez matures pour montrer leur désaccord dans la rue, mais assez pour devenir auto-entrepreneurs. Pas assez responsables pour s’occuper de la retraite, mais à 13 ans assez âgés pour être pénalement responsables.

Les mineurs anglais ont mis un an à crever. Sans rien obtenir, mais surtout en perdant toute crédibilité. Plus que le projet de fermeture des mines M. Thatcher* a humilié un monde. Terrassant l’infâme ennemie ouvriériste. Le mouvement social en France ne s’éternisera pas, mais la même tournure d’esprit habite la droite. Éradiquer la contestation, la mettre à genou, pour démontrer à la manière « gramscienne » que le nombre ne suffit pas, seule la volonté l’emporte.

A. Minc, le petit mandarin du Tout-Paris moque les lycéens qui manifestent, les grévistes privilégiés qui s’accrochent à leurs privilèges. Un mépris affiché, jeté à la face de ceux qui luttent. Et qui luttent pour eux, mais aussi et surtout pour les autres. Ce qui manque à A. Minc, ainsi qu’à une partie de la droite c’est la faculté d’intégrer quelques données simples. Le seul moteur des décisions humaines n’est pas la cupidités. La société est là, les personnes ne sont pas des atomes errants à la recherche exclusive d’une satisfaction égotique. Humains, ils tissent des relations, des affects qui dépasse le calcul rationnel profitable. Choses que la désaffection libérale a pensé annihiler. La mauvaise nouvelle d’octobre 2010, c’est que la société existe toujours.

*M. Thatcher le 31.10.1987 « And, you know, there is no such thing as society. There are individual men and women, and there are families.« 

Vogelsong – 18 octobre 2010 – Paris


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