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"Des éclairs" de Jean Echenoz

Publié le 19 octobre 2010 par Francisrichard @francisrichard

Pour l'ingénieur EPFL que je suis, le Tesla est avant tout l'unité d'induction magnétique. Jusqu'à la lecture du livre de Jean Echenoz paru aux Editions de Minuit ici, ce nom propre ne m'évoquait rien d'autre. Or c'était une grave lacune. Je m'aperçois en effet que je ne m'étais jamais intéressé au savant qui avait donné son nom à cette unité de mesure. 

En effet, même si Jean Echenoz a écrit un roman, dont le héros Gregor est un personnage de son invention, ce dernier - il ne s'en cache pas - est largement inspiré de Nikola Tesla, ingénieur, né à Smiljan dans l'actuelle Croatie, ayant fait ses études à l'Ecole Polytechnique de Graz, en Autriche, à l'origine de nombreuses inventions et découvertes qui ont révolutionné les sciences au XXe siècle, telles que la radio, l'alternateur ou le principe du radar.

Gregor est né par une nuit d'orage violent, dans la lumière d'un éclair gigantesque, son premier cri étant couvert par le tonnerre qui s'est ensuivi. Le romancier voit dans cette singulière et tonitruante venue au monde comme la marque des traits dominants du caractère de son héros, et l'explication de sa passion démesurée pour les éclairs, qui ne se démentira jamais :

"Ombrageux, méprisant, susceptible, cassant, Gregor se révèle précocement antipathique." 

Sa grande taille, deux mètres, ne fera qu'accentuer sa manière de prendre les autres de haut et ne fera que renforcer la haute estime qu'il a de lui-même. 

Il faut dire que voilà un homme hors du commun. Il n'a pas besoin de mettre sur le papier les plans des inventions qui lui passent par la tête. Il les imagine sans mal, en trois dimensions, avec une précision phénoménale, servie par une mémoire qui ne l'est pas moins. Il assimile à toute allure des connaissances de toutes sortes qui lui permettent des rapprochements impensables pour d'autres.

Sa grande idée sera de supplanter le courant continu par son invention du courant alternatif pour transporter l'énergie électrique à longue distance, ce qui aurait dû lui assurer fortune et prospérité toute sa vie durant. Seulement, lui qui a la véritable manie de compter tout et d'apprécier particulièrement les nombres divisibles par trois, ne sait plus du tout compter quand il s'agit d'argent.

Il ne sait pas non plus concrétiser pratiquement et économiquement ses idées géniales que d'autres se chargeront de lui voler sans vergogne et d'exploiter à sa place. L'antipathie, croissante avec l'âge, qu'il suscite, lui joue également des mauvais tours en faisant petit à petit le vide autour de lui. Ses manies - une passion déraisonnée pour les oiseaux, et plus particulièrement pour les pigeons, et une hantise des microbes - finissent par le cataloguer parmi les originaux infréquentables.

Cet homme, Jean Echenoz en a fait un personnage de roman dénué de sentiments pour les autres, excepté pour la femme d'un de ces rares amis et protecteurs, la chère Ethel Axelrod, pour laquelle il éprouve un amour sans nuances et sans espoir. Cet amour est certes partagé par l'âme soeur, mais il reste platonique. L'auteur ne lui connaît pas d'autres liaisons et s'en afflige.

Le style d'Echenoz se caractérise par des phrases courtes, par des descriptions sans fioritures, par des figures efficaces et par un récit ponctué de remarques incisives. Le tout donne l'impression que le héros de ce roman est un personnage bien inhumain, comme on s'imagine que peut et doit l'être un génie, sous le crâne duquel la tempête est incessante, jamais apaisée.  

Francis Richard  


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