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Choses vues au pays des Lions Indomptables : on "débannit" des bannis qui ne l'ont jamais été...

Publié le 20 octobre 2010 par Atango

Suite au match nul concédé à Garoua par les Lions Indomptables face à la RDC, les têtes pensantes du football camerounais se sont réunies, et de cette réunion a jailli une idée géniale : il faut aller chercher les "bannis" en Europe. Martin Camus Mimb a démontré de façon magistrale en quoi cette action constitue une triple erreur. Pour ma part, je vais simplement m'interroger sur la sémantique du bannissement à la camerounaise.

"Je bannis, tu bannis, nous bannissons, etc." Voilà un verbe bien français, qui signifie, d'après mon dictionnaire préféré, "mettre au ban." Dans son premier sens, le ban signifie toute forme de parole publique, c'est-à-dire prononcée ou écrite par une personne investie de l'autorité publique, et destinée à informer le public. C'est dans cette acception qu'on parle de "publier les bans" avant un mariage. Par extension, le mot "ban" a spécifiquement désigné les décrets qui visaient à ôter à certaines personnes leurs droits civiques. Ces personnes devenaient ainsi des "forbans", un mot qui a lui aussi suivi son propre chemin. Ce n'est que par métonymie que le "ban" est devenu un synonyme du territoire dans lequel les "bans" avaient force de loi. Par extension de sens, "mettre au ban" est devenu "exclure du territoire," en plus de "ôter ses droits."

Si l'on s'en tient donc au sens strict du verbe "bannir", on se rend compte :

1. qu'il faut une parole officielle ;

2. que cette parole officielle doit indiquer, entre autres, les causes et la durée de la mise au ban ;

3. qu'on ne peut réhabiliter que celui qui a été officiellement banni.

Dans l'affaire qui nous intéresse, aucun de ces critères n'a été respecté. Et même, lorsqu'on déroule la liste des synonymes du verbe bannir (chasser, déporter, écarter, éliminer, exclure, excommunier, exiler, expatrier, proscrire...), rien ne permet de dire que certains joueurs de l'équipe nationale en aient été victimes.

En clair : une équipe nationale de football, c'est un groupe à sorties et entrées permanentes. Nul n'obtient de mandat à durée déterminée. Les sorties et les entrées ne peuvent se faire, en principe, que selon des motivations sportives ou disciplinaires. En l'absence de tout examen ou d'une quelconque procédure, seule la publication d'une liste de joueurs convoqués permet aux observateurs d'établir la liste de ceux qui sont sortis et celle de ceux qui arrivent pour la première fois dans le groupe. Il va de soi que toute sortie est par principe provisoire, y compris pour les joueurs qui déclarent eux-mêmes qu'ils quittent définitivement le groupe (de Milla à Zidane, on ne compte plus les come backs dans le football).

Les faits : à la sortie de la Coupe du Monde sud-africaine, on s'est rendu compte que les nouveaux sélectionneurs ne convoquaient plus certains joueurs qui y avaient participé. Il s'agit de Rigobert Song, Idriss Carlos Kameni, Alexandre Song, Achille Webo, Achille Emana, Mohamadou Idrissou, Geremi Njitap, Landry Nguemo et Souleymanou Hamidou. Soit une liste de 9 "sortants" provisoires, même si Rigobert Song avait annoncé quelques jours avant qu'il prenait sa retraite internationale. Or, de façon très curieuse, l'opinion publique, lorsqu'elle a commencé à parler des "bannis", ne citait que trois noms : Emana, Alex Song et Kameni. Quid des six autres ? Cette question est réthorique : en fait, l'opinion, avec laquelle je suis en partie d'accord, considérait que les six autres sorties étaient justifiées par des critères de performance sportive.

Les journalistes ont ainsi interrogé les "responsables" du football national sur la situation des trois mousquetaires, passant par pertes et profits les six autres. La réponse des "responsables" fut proprement sidérante : "personne n'est écarté du groupe, il n'y a pas de bannis." En terme de langue de bois, on ne fait pas mieux. Car effectivement, il n'y avait pas de bannis, puisqu'aucune parole ni aucun texte officiel n'avait exclut aucun joueur du groupe. Par contre, n'importe qui pouvait constater que certains joueurs étaient écartés sans que cela soit sportivement motivé. Bref, on nageait déjà en pleine tartufferie. Mais connaissant de quoi mes compatriotes sont capables, je savais qu'on était loin d'avoir tout vu.

Entre-temps, donc, Roger Milla mena sa petite campagne personnelle qui lui permit de revenir aux affaires, et comme de juste, il fut associé très étroitement à l'organisation du match de Garoua. Il est aujourd'hui membre de la délégation bizarre qui arrive à Paris. Chacun de ces faits est significatif : la mission sur Paris, la présence de Roger Milla et l'opération de "débannissement" de joueurs qui n'ont jamais été bannis. Tout cela est significatif du désordre (le mot est faible) avec lequel cette affaire est gérée. La langue de bois, les mines de philosophes que prennent tous ces messieurs ne visent qu'à cacher cette incroyable chienlit.

On a commencé par nous dire que tout allait bien, alors que chacun sait que la guerre faisait rage entre Rigobert Song et Samuel Eto'o, le premier ne pardonnant pas au second de lui avoir pris son brassard. A la sortie de la Coupe du Monde, on nous a tranquillement déclaré que personne n'était écarté pour des raisons extra sportives, alors que nous avons des yeux pour voir et des cerveaux pour réfléchir. Qui peut justifier aujourd'hui qu'un Alexandre Song ne soit pas convoqué en équipe nationale, alors qu'il multiplie les bonnes performances avec Arsenal où il est titulaire ?

A cette heure, on nous déclare qu'il faut réconcilier les joueurs, ce qui relève de l'ineptie absolue.

D'abord, une équipe nationale n'est pas un groupe politique. Si ces messieurs passent leur temps à se battre pour le pouvoir au lieu de travailler leur coordination sur le terrain, qu'on les expulse tous. L'ennui, c'est que ceux qui sont censés faire ce travail sont eux-mêmes engagés jusqu'au cou dans des calculs et dans des manoeuvres inavouables. Chacun vise un poste, des honneurs, des missions "à mbeng", de l'argent et ce qui s'ensuit. On cherche désespérément celui qui viendra réellement dire stop à cette honte qui n'en finit pas.

Car les choses auraient pu se passer tout à fait différemment. Pendant la Coupe du Monde, il suffisait de ne pas sélectionner Rigobert Song. Je l'ai hurlé ici à longueur de chroniques, mais Le Guen, Eto'o et les autres sont tombés dans le piège tendu par le clan Song avec l'aide d'une certaine presse qui prétendait que "le peuple camerounais" réclamait son "capitaine Courage."

Après cette bêtise faite par Le Guen, le coup pouvait encore être rattrapé : il fallait réunir ce beau monde en Afrique du Sud, et taper du poing sur la table. Au lieu de quoi on a passé le temps à regarder ailleurs, pendant que certains attisaient en douce le feu sous la cendre, jusqu'à l'incendie.

Le lendemain de la Coupe du Monde était une occasion idéale pour le pouvoir de Yaoundé de balayer la très incompétente équipe dirigeante de la FECAFOOT. Mais le pouvoir n'a pas bougé, et Iya Mohamed n'a eu de cesse que de trouver un coach suffisamment laxiste pour laisser faire les loups qui hantent la tanière de ces Lions devenus décidément pitoyables.

La suite, on la connaît. Cette mission sur Paris servira surtout au petit bonheur personnel des membres de la délégation. Ils pourront faire leurs courses, visiter la capitale française, voir les amis et éventuellement les enfants, et toucher des frais de missions. Au fond, rien ne sera réglé : la guerre reprendra de plus belle dans la tanière, encouragée en coulisse par ces curieux pompiers dont l'intérêt immédiat, c'est qu'il y ait le feu.

Bienvenue au Cameroun, pays que la logique et le bons sens ont déserté pour longtemps.


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