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La jeune France manifeste

Publié le 21 octobre 2010 par Argoul

Les jeunes sont dans la rue. Pour les retraites ? Non, pour brailler de concert, ravi d’être en groupe fusionnel et enchanté d’être considéré par les médias comme des adultes qui ont « quelque chose à dire ». Les retraites sont loin et ils n’y comprennent rien. S’ils comprenaient quoi que ce soit, ils contre-manifesteraient tant ils apparaissent comme les pigeons des classes mûres qui profitent des zavantages zacquis d’avoir cotisé peu, de vivre longtemps et de toucher beaucoup. Mais les jeunes braillent pour leur avenir. Il leur paraît bouché et ils ont bien raison.

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L’âge de la retraite ne va pas les concerner directement puisqu’ils étudient à 80% de leur classe d’âge jusqu’au bac ou au même niveau, qu’ils ont une espérance de vie supérieure à 80 ans et que la génération du baby-boom va bientôt laisser la place. Si vous avez 18 ans, travailler 41,5 ans pour cotiser à taux plein vous amène à 59,5 ans ; ce ne sont pas deux années de plus qui vont « user » le travailleur. Sauf dans les métiers pénibles, mais le gouvernement a lâché du lest sur la question. Très rares sont ceux qui travaillent dès 16 ans de nos jours… C’est donc de la pure démagogie de crier à l’injustice pour toute une classe d’âge. D’ailleurs les socialistes ne remettent pas en question les 41,5 ans, loin de là ! Martine Aubry déclare qu’elle reviendra à 60 ans si le candidat du parti gagne la présidentielle, mais elle se garde bien de préciser que les 41,5 ans (voire plus dans les années à venir) ne seront PAS annulés. Si vous êtes étudiant et commencez à travailler vers 23 ans (niveau mastère), vous devrez faire 64 ans et demi avant de toucher une retraite à taux plein – et à condition d’avoir cotisé durant toutes ces années, sans trous ni emplois à l’étranger ! Alors 62 ans, hein…

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Le problème n’est donc pas l’âge légal, ni même la durée de cotisation, puisqu’on vit plus longtemps et qu’il faut bien cotiser pour répartir (sauf à accepter une baisse des pensions). Le problème est l’emploi, donc la formation. La France d’aujourd’hui a depuis vingt ans une nette « préférence pour le chômage » (Denis Olivennes). Les (rares) travailleurs français sont parmi les plus productifs au monde parce qu’ils laissent à la porte de l’emploi de multiples catégories d’ajustement : les seniors plus de 45 ans, les jeunes sans expérience et les femmes. Patronat comme syndicats, énarques comme partis politiques, se moquent comme de leur première chaussette de ces laissés pour compte. L’emploi rare rend docile et les chômeurs ne sont pas syndiqués. En général, les exclus ne votent pas, ou peu.

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Quant au poncif entendu à tout bout de champ que l’emploi des seniors empêche l’emploi des jeunes, enfourché par les ténors socialistes et repris béatement par les journalistes, il est FAUX. Il est curieux de constater combien les profs d’économie, en général de gauche et férus de Keynes, restent aveugles à ce qu’ils ne veulent pas voir. Tout est bon pour la propagande (et on peut douter de la qualité d’un tel enseignement en économie). Le déplorable exemple est que la profitude de caste engendre la profitation idéologique : Keynes a écrit et déclaré que c’est l’emploi qui crée l’emploi ! Le travail n’est pas une quantité stable qu’il faut répartir, comme la Dame des 35 heures l’affirmait bêtement (y croyait-elle, tout comme DSK ? Là est une autre question…). Keynes écrit à maintes reprises que c’est l’insuffisance de la demande qui freine l’emploi et que tout salaire donné à un nouvel employé crée un multiplicateur d’emploi (sauf si le pays vit d’importations). Que les seniors restent deux ans de plus ne donnera pas moins d’emplois aux jeunes. En revanche le niveau de l’euro, la préférence pour les importations, les réglementations trop lourdes tuent l’emploi aussi sûrement pour les vieux que pour les jeunes. En ce sens, négocier la fin du désordre monétaire mondial, instaurer une TVA sociale (qui toucherait aussi les produits importés), alléger de charges ou de taxes certains secteurs non délocalisables, voilà qui est de bonne politique. Sauf la TVA sociale, ce gouvernement tente ce qu’il peut avec le prochain G20, la comparaison en cours de la fiscalité française avec l’allemande et les niches fiscales décidées pour la restauration et le bâtiment. Les socialistes ne feraient pas différemment : le laisser croire est au mieux de la démagogie (on a l’habitude), au pire du mensonge qui prépare de grandes déceptions (on a déjà vu ça sous Miettrrand et Jospin).

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Les profs braillards qui hurlent que « la rue » fait la démocratie (entendu sur France Inter) ont mal appris leurs leçons. Toujours, l’anarchie de la rue a conduit à la violence, donc à la réaction du populaire qui préfère l’ordre et la paix. Toujours, l’extrémisme des groupes armés a conduit à la dictature, donc à la reprise en main par un pouvoir fort :

• 1789 a conduit à 1793 et à Napoléon qui a remis tout le monde d’accord ;
• 1848 a conduit à 1850 et à Napoléon le Petit qui s’est installé pour vingt ans ;
• 1917 en Russie a conduit au coup de main bolchevik et à la main de fer du Parti sous Staline, avec famine, massacres et camps pour tous les déviants ;
• les années 20 en Italie, les années 30 en Allemagne, montrent combien l’agitation de rue peut mener au coup de main de quelques-uns, en général (ou caporal) pour le pire ;
• 1958 en France, une IVe République ingouvernable où les « petits partis cuisaient leur petite soupe à petit feu dans leur petit coin » a engendré de Gaulle ;
• 1968, la chienlit et le retour du Père…

La démocratie, dans les Etats étendus, ne peut être directe, elle passe par la représentation : l’élection, les partis, les assemblées, les syndicats, les associations. La démocratie, dans les pays évolués, ne passe pas par le bon vouloir du chef ou du parti unique, mais par le droit. La « rue » est le contraire du droit, qui est l’ensemble des règles communes admises par tous et décidées selon des procédures contradictoires. La « rue » n’est même pas la « volonté générale » de Rousseau puisque la « rue » est partielle et partiale, n’écoutant JAMAIS les minorités. C’est le coup de force permanent, le pré-fascisme où le plus gueulard et le plus violent impose sa terreur. Je ne crois pas que la jeunesse veuille une nouvelle tyrannie, même au nom de « la justice ».

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La France n’aime pas sa jeunesse et pourtant les Français font plus d’enfants que les autres (non, ils ne sont pas tous produits d’immigrés). Pourquoi ? Probablement parce que la France est autoritaire et que les parents, comme l’école, comme les églises, préformatent les gamins selon leurs désirs de bienséance et d’excellence et pas selon leur bon épanouissement. L’adolescence se rebelle contre cet ordre établi et c’est bien normal : c’est dans leur programme génétique.

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• L’église, voire l’adulte, brime la sexualité exubérante des jeunes. La répression des intégristes instaure un pouvoir de mâle adulte sur les concurrents jeunes, plus séduisants. On se croirait chez les bêtes. Il n’y a pas que l’obsession du voile ou de la minijupe, mais aussi la vertu outragée du catho Bernard Anthony qui se plaint de l’exposition Larry Clark à Paris.
• L’école méprise, casse et sélectionne impitoyablement, uniquement sur les maths. Keynes, par exemple, excellait à la fois en mathématiques et en lettres : a-t-on jamais vu ça en France depuis trente ans ? 60 000 jeunes sortent chaque année du secondaire sans qualification, 80 000 jeunes de l’université sans aucun diplôme… Le système d’éducation en France apparaît non seulement vermoulu, mais irréformable en raison des multiples blocages de castes ! Et qui paye les pots cassés ? Les profs ? Vous n’y êtes pas : ce sont les jeunes.
• Les entreprises multiplient les obstacles à l’embauche définitive, de stages en entretiens, tests et jeux de rôles, après un CV impeccable où les noms des écoles, des réseaux et du milieu social sont soigneusement décortiqués. Les cadres se méfient des jeunes et de leurs talents neufs ; ils se sentent menacés dès la quarantaine par les nouveaux métiers, les nouvelles habitudes, le travail en réseau.
• C’est en France, et nulle par ailleurs, que l’obéissance apparaît à la jeunesse comme une valeur supérieure à l’indépendance ; c’est en France que la maîtrise de son propre avenir est la plus faible chez les jeunes.

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C’est contre tout cela que la jeune France manifeste et j’aime assez qu’elle le fasse parce que j’aime mon Gamin. Ce n’est pas pour les retraites, et surtout pas pour conforter les privilèges des cheminots, marins et autres grutiers qui conservent le droit exorbitant de partir à 54 ans, ou des profs dont la catégorie a l’espérance de vie la plus longue ! Il y a donc de lourdes contradictions dans le « mouvement » social d’aujourd’hui. Depuis Marx, on sait que les contradictions s’exacerbent toujours avant de se résoudre. Nous ne sommes ni en 1968 ni en 1995, mais dans un monôme où la carpe et le lapin font catharsis ensemble, avant que chacun retourne se mêler de ses oignons.

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En savoir plus :
• Centre d’analyse stratégique, La note de veille n° 47 - 26.02.07, Jeunes Français, jeunes Allemands : regards croisés sur les premiers pas dans la vie professionnelle.
• Christian Baudelot / Roger Establet, L’élitisme républicain, Seuil collection République des Idées, mars 2009, 120 pages • Les jeunesses face à leur avenir – enquête internationale, Fondation pour l’innovation ,politique, décembre 2007
• Sondage AFEV sur la perception de la jeunesse par les adultes français 


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