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Parler de l'Iran, dans un café, avec un cinéaste

Par Tred @limpossibleblog
Mardi 19 octobre 2010. L’Apparemment Café, dans le 3ème arrondissement parisien. Le lendemain, le documentaire Bassidji, premier long-métrage de l’architecte de formation devenu cinéaste Mehran Tamadon, sort dans les salles. Mais pour l’heure, le réalisateur consacre un peu de son temps à rencontrer trois bloggers (eh oui, j’en faisais partie) pour discuter de son film. L’ambiance est chaleureuse, et pendant 1h30 Tamadon va nous révéler les dessous de son film, que j’avais vu deux semaines plus tôt.
Parler de l'Iran, dans un café, avec un cinéasteLes premiers dialogues sont standards, classique si l’on peut dire, « Combien de temps a duré le tournage ? – 19 mois », « En combien de voyages en Iran ? – Six voyages». Mais Bassidji n’est pas un film qui amène en nombre ce type de questions. Bassidji est une immersion au sein du système de la République Islamique d’Iran, un portrait de ces hommes et femmes exerçant au niveau local le pouvoir de la haute autorité religieuse Iranienne. Les bassidjis, des gardiens de la morale. Alors forcément, la rencontre avec Mehran Tamadon penche assez vite sur le fond du film. De son rapport à lui, Iranien élevé en France et vivant « à l’occidentale », avec ces hommes religieux, fondamentalistes, défendant un Islam ultra conservateur. « Ce sont des gens qui voient que je suis attaché à l’Iran, à mon pays ».
Le dialogue qui se noue devient souvent passionnant, à l’image du film de Tamadon, qui a vécu de l’intérieur, pour les besoins de son projet au cœur du fondamentalisme iranien, un monde et ses acteurs que l’on connait très peu ici. La nationalité iranienne du réalisateur « a été un avantage ». Au-delà bien sûr de la facilité de la langue, c’est surtout une compréhension de la culture, malgré les points de vue divergents, un savoir « des limites à ne pas franchir » qu’un étranger aurait sûrement eu plus de mal à maîtriser.
Mais au-delà des dessous de la confrontation d’idéaux et de points de vue sur le monde, la rencontre avec Tamadon éclaire aussi, surtout, sur la relation du cinéaste avec les héros de son film. La question de l’amitié qui le lie à Nader Malek-Kandi, une amitié qui peut surprendre lorsque l’on se rend compte que les deux hommes ont des points de vue si différents sur le monde. Alors cette amitié, sur quoi repose-t-elle ? « Il y a beaucoup de blagues, on rit. En Iran, c’est une culture où la langue est très présente, mais cela reste une culture où l’on peut uniquement communiquer par notre présence. C’est peut-être difficile à comprendre car la France est un pays de discours, d’échanges ». Nader a-t-il vu le film ? « Oui, mais il a été déçu qu’il ne défende pas sa philosophie ».
Parler de l'Iran, dans un café, avec un cinéasteUne déception qui probablement nous rassure. Car cette déception signifie que Mehran Tamadon a réussi son travail de cinéaste. « L’objectif avec ce film n’était pas le même au début et à la fin. J’ai évolué avec le temps. La démarche anthropologique a laissé la place à autre chose. A un moment il faut intervenir, pour éviter la propagande. Il a fallu rentrer dans le cadre, par peur que le film m’échappe, que je ne trouve pas la juste distance ».
Dans ce bar parisien, la rencontre est cordiale, les échanges se succèdent, la soirée avance, et les confidences, à demi-mots, se font assez révélatrices, et touchantes. « Je me rends compte que depuis dix ans je fais le même film. J’aimerais bien que ça s’arrête, que j’aie des idées différentes. Mais je n’y arrive pas. Je suis obsédé par ça. C’est vraiment obsessionnel. La politique, le pouvoir, l’Iran… J’aimerais bien penser à autre chose, être préoccupé par autre chose, mais je n’y arrive pas… ».
Ses pensées semblent en effet plus tournées vers ces obsessions que vers la sortie du film le lendemain. La sortie est confidentielle à l’échelle nationale, trois copies en France (dont une à Paris au Saint-André des Arts), mais elle promet d’être ardemment soutenue par Mehran Tamadon et son distributeur Aloest. Les copies vont circuler au fil des semaines, avec son fidèle réalisateur présent pour accompagner son film, rencontrer le public et répondre à ses questions à travers la France. Une chance pour tous ceux qui auront la démarche curieuse et intelligente de s’intéresser au documentaire Bassidji. Une porte ouverte vers un Iran que l’on n’a pas l’habitude de voir ainsi.

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