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David Bismuth met en écho Saint-Saens avec Rachmaninoff

Publié le 25 octobre 2010 par Philippe Delaide

C'est tout de même agréable, en cette période de fuite en avant dans les compilations sans véritable projet musical, de s'attarder sur des musiciens qui cherchent à construire une démarche, et à nous restituer une lecture particulière du répertoire.

C'est indéniablement le cas de David Bismuth, pianiste dont la carrière se forge avec le soutien bienveillant de femmes pianistes, dont la renommée ne se discute pas (Anne Queffelec, Catherine Collard, Brigitte Engerer ou Maria-João Pires). La biographie décrite dans son dernier disque souligne sa filiation très française, notamment du point de vue stylistique. Il devient alors assez naturel qu'il s'investisse dans l'interprétation du répertoire de grands compositeurs français, notamment sur la période charnière de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, là justement où cette école a marqué son identité et influencé de nombreux compositeurs étrangers. Il ne faut toutefois pas se tromper. Le jeu de David Bismuth ne se perd pas dans les méandres d'une forme d'impressionnisme. Il est, tout au contraire, résolu, bien campé sur un toucher d'une plénitude certaine, nous restituant un son assez charnu et une interprétation toujours bien architecturée. Cette impression est d'autant plus perceptible qu'elle est accentuée par les conditions d'enregistrement et l'instrument choisi pour l'occasion (enregistrement réalisé sur un Bösendorfer Impérial de 1980 dans un hôtel particulier de Villeneuve sur Seine). Le son ainsi restitué est assez mat, avec des couleurs chaudes et des graves généreuses.

Saint Saens Rachma Bismuth
Le propos de David Bismuth sur son dernier disque, (Saint-Saens, Rachmaninoff), est de nous interpeller en mettant en évidence les filiations qui existent entre ces deux compositeurs. Celles-ci sont évidentes quand on aborde la richesse harmonique, une sorte de foisonnement, cette densité indéniable des pièces interprétées. Elle l'est également au niveau de leur puissance narrative. Si le jeu très contrôlé de David Bismuth peut un peu décevoir sur Rachmaninoff (on s'attendrait à plus de relâchement), il s'avère d'une belle fluidité et d'une clarté certaine sur Saint-Saens. Il traduit alors de façon exemplaire cette élégance néo-classique si caractéristique du compositeur français certainement le plus sous-estimé du répertoire.

Sur Rachmaninnoff, des pièces fameuses comme le Prélude en ut dièse mineur opus 3 N°2 ne sont justement pas abordées à bras le corps comme on a souvent l'habitude de l'entendre (ex : la version de Vladimir Ashkenazy - DECCA - 1999) mais avec comme une sorte de détachement. Ce choix d'une forme de distanciation peut déplaire car elle a tendance à neutraliser la part de mystère et d'expressionnisme que contiennent ces pièces. Je suppose qu'elle est certainement guidée par une recherche d'équilibre entre la partie dédiée à Rachmaninoff et celle consacrée à Saint-Saens. C'est également le cas sur l'illustre Moment Musical N°3 opus 16 en si mineur (Andante Cantabile). Dans cette version, il n'y a justement rien de "cantabile" mais plutôt, à mon sens, la recherche d'un certain clacissisme et d'une facture que je qualifierais de presque schumanienne. Cette tentative de restituer la filiation de Rachmaninoff avec les "archétypes pianistiques" du romantisme qu'incarneraient Schumann et Chopin semble être l'un des principes directeurs de cette interprétation.

Les "ainés romantiques" ressurgissent de façon encore plus saisissante encore dans l'interprétation du Moment Musical N°4 opus 16 (Presto) (sa parenté avec l'étude N°12 en ut mineur dite "Révolutionnaire" de Chopin a été maintes fois évoquée) ou dans le Prélude en sol dièse mineur opus 32 N°12.

La seule exception réside dans les Variations Corelli opus 42, sorte "d'OVNI" inclassable et imprévisible où David Bismuth a tenté de rechercher une forme d'unité mais dont le caractère fantasque transparaît tout au long de l'oeuvre. On pense inévitablement à quelque pièce expérimentale où le compositeur s'aventure à goûter à plusieurs univers, au gré de sa fantaisie et de ses humeurs. Surprenant.

Je dois avouer avoir été nettement plus conquis sur la partie consacrée à Saint-Saens. Tout d'abord le choix des oeuvres. Je ne connaissais pas la plupart d'entre elles. C'est d'ailleurs révélateur de la sous-représentation chronique de ce compositeur dans la discographie, notamment des enregistrements de pièces pour piano seul.

J'ai particulièrement apprécié les deux études (opus 52 N°2, Pour l'indépendance des doigts et opus 111 N°1, Tierces Majeures et mineures). La pureté de la ligne est indéniable et malgré les timbres du piano qui auraient tendance à épaissir le rendu des sonorités, celles-ci, notamment dans le medium et les aigus, restituent particulièrement bien l'élégance et le caractère toujours alerte de l'écriture de Saint-Saens. Le grand mérite de David Bismuth est de nous rappeler à quel point légèreté, pétillance chez Saint-Saens ne sont pas synonymes d'archaïsme et de frivolité comme nombre de praticiens ou de musicologues ont voulu le faire croire.

Avec le choix de l'Allegro Appassionato opus 70 en ut dièse mineur, David Bismuth nous rappelle de façon indéniable cette filiation commune de Saint-Saens et de Rachmaninnoff aux grands romantiques. Comment ne pas penser encore une fois à Chopin et surtout Schumann dans le cas précis avec une narration aux multiples enchevêtrements.

Ce disque est particulièrement intéressant par le propos qu'il tente de servir et nous permet de découvrir de belles pièces trop méconnues. Je lui suis pour ma part reconnaissant de contribuer à la réhabilitation de Camille Saint-Saens, notamment de son oeuvre pour piano. Je suis un tout petit peu réservé sur l'engagement personnel du pianiste qui, selon moi, a peut-être été mis au second plan, dans le but de servir les oeuvres avec un souci peut-êtrre trop marqué d'équilibre. On alors confronté à une forme de quadrature du cercle. C'est la limite de cette mise en écho de deux compositeurs dont la filiation existe mais n'est pas ostensible. Le souci de clarté formelle se fait alors au détriment de l'exposition des sentiments profonds ressentis par l'interprète pour ces oeuvres. J'ai soupçonne une réelle intimité de David Bismuth avec ces oeuvres mais dont l'expression serait un peut peu inhibée par un souci d'être peut-être trop démonstratif.

Saint-Saens, Rachmaninoff - David Bismuth, piano - Label AmeSon.

Je vous propose l'interprétation du Moment musical N°4 Opus 16, tiré du site vimeo.com où le label AmeSon a posté des vidéos de l'enregistrement de ce disque.

David Bismuth joue Rachmaninoff, moment musical n° 4 from Ameson on Vimeo.


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