Magazine Chanson française

Entretien avec Jann Halexander : A Table...

Publié le 11 septembre 2010 par Melmont

Halexander_by_Bonnenfant

J'ai eu par le passé, l'occasion de parler du travail de Jann Halexander. Certain(e)s ne savent que penser de lui, d'autres s'en foutent(comme ils s'en foutent de la Chanson en général, d'ailleurs, au passage...). A son endroit, sans doute des malentendus. Pour le journaliste Norbert Gabriel (revue Le Doigt dans L'Oeil), il est L'extrême marginal... qui va dans des territoires d'ombres souvent inquiétantes [...] quête d absolu et dont l'univers est musicalement une bonne réussite.  Pour Michel Kemper, journaliste de Feu le magazine Chorus, l'art du chanteur frôle l'Opéra, voire l'Opérette mais il sait fournir une approche intéressante de la Chanson lorsqu'il reprend Anne Sylvestre, Francis Lemarque ou encore Nicolas Duclos. Image complexe, créateur prolixe, multipliant des disques, des scènes, des films, le théâtre...il aurait été dommage, à l'approche de nouvelles représentations sur les scènes françaises et belges de ne pas s'entretenir avec l'artiste.

Bonjour Jann Halexander, merci pour cet entretien. D'emblée, je poserais cette question : alors marginal ou pas ? Car après tout vous êtes en partie dans le Système (distribués à la fnac, produit par le label midi52, entraperçu à la télé)

Je le dis souvent, c'est une sorte de boutade. On m'a tellement dit au début, avec des chansons comme Alien Mother, L'Ombre Mauve que c'était marginal que je me suis approprié ce 'statut'. Mais je ne suis pas sûr d'être plus marginal que d'autres. Bon, disons qu'effectivement, un mec comme moi, qui s'affiche, ça ne court pas les rues. Mais il ne faut pas avoir honte de crier qu'on existe. Je crois qu'il est difficile de s'exclure totalement de ce que vous appelez système. Et puis ce mot n'est pas...un gros mot. Par contre, oui je suis dans les marges. J'ai sans doute ma part de responsabilité. Je ne suis pas neutre. Tant mieux d'ailleurs. J'ai horreur du consensus permanent. Et s'il y en a que je braque et bien après tout...tant pis!

Au_centre_Barbara_par_Valentine_V

Vous êtes présents sur plusieurs domaines : la musique, la chanson, le théâtre, le film. N'est-ce pas risqué ?

Complètement. Je suis fou. En même temps on n'a qu'une vie. Si c'est pour passer à côté ce n'est pas la peine.

Vous avez commencé fin 2003, ça va donc faire bientôt 7 ans que vous chantez. Dans le contexte actuel, comment exercez-vous votre activité de chanteur ? Que pensez-vous du débat autour de la crise du disque ou de la scène ?

Par la force des choses, ça va faire 2 ans que je ne fais que ça :créer, chanter, jouer, réaliser. Pour le meilleur et pour le pire, c'est un métier passionnant mais extrêmement difficile, et c'est un euphémisme. De là à rentrer dans le débat sur la crise du disque, de la scène, je m'en fous un peu. L'idée déjà que des gens m'écoutent, me suivent depuis 7 ans, que parfois on me reconnaît dans la rue, c'est surprenant, gratifiant car la reconnaissance est là. Des gens écoutent mes chansons chez eux, regardent mes films, en parlent. Mais rien n'est acquis. Je dois dire aussi que je suis né au Gabon et que j'ai vécu dans un pays où...mes parents, certes vivaient bien par rapport à la moyenne nationale, mais pas très loin, c'était facile de tomber sur des bidonvilles sans eau potable, sans électricité...que voulez-vous sérieusement que cela signifie pour moi vivre de ventes de cds ou de places de concert ? J'envisage la création comme un état d'esprit, c'est quelque chose d'assez transcendental. Lorsque je suis sur scène, tout mon corps n'est que chanson, je suis chanson, c'est une obsession. Je ne suis pas naïf, je porte ma "carrière" sur mes épaules, je ne peux pas fermer les yeux sur les notions matérielles mais il y a aussi des alternatives...

On a dit de vous que vous êtes un Jean Guidoni métis, voire un Sous-Guidoni...tout comme lui, n'avez-vous pas peur d'être taxé d'élitiste ?

Guidoni_par_Godard

Guidoni c'est Guidoni, moi c'est moi. C'est un grand artiste et je comprends les comparaisons. Même si ce n'est pas toujours agréable. Quand un programmateur radio ou concert vous dit : écoutez, c'est bien gentil ce que vous faîtes mais on a déjà Guidoni, vous comprenez ... c'est assez désagréable. L'artiste n'y est pour rien. Quant à l'aspect élitiste : parler d'amour, de passion, de mort, est-ce élitiste ? Mon vocabulaire est moins poussé que Juliette ou Gainsbourg...récemment j'ai écouté un disque de Clémence Savelli, sur la détresse, la peur de l'avenir, des sentiments que nous avons tous. Peu de gens parlent de son disque et pourtant cela n'a rien d'élitiste. Finalement sous-entendre d'un artiste qu'il est élitiste, c'est peut-être lui reprocher de vouloir tirer les gens vers le haut. On en revient encore à la notion de transcendance. Parce que si nous élevons massivement les gens vers des cimes inconnues, certaines émissions affligeantes à la télévision enregistreront des chutes d'audience vertigineuses. Mais ce que je dis là est assez...banal.

Savelli

Lorsqu'on voit les vidéos d'extraits du concert donné à l'Archipel en juin dernier, on sent que vous êtes dans vôtre élément mais on sent aussi l'osmose avec le public, notamment lorsqu'il chante A Table avec vous...

Osmose, ça arrive de plus en plus. Je pense que j'ai beaucoup de respect pour les gens qui se déplacent pour me voir (ils ne sont pas obligés). Et que cela se sent. Qu'ils reviennent. Même si le lien artiste-public est fluctuant. Mais je mets la même énergie qu'il y ait 5 ou 50 personnes. Certaines personnes considèrent que 5 personnes, ce n'est pas un public. Je ne peux pas approuver ce genre de propos. Et puis il faut dire quand même la vérité, j'aime ça, chanter...devant les gens...au début j'étais réticent...parce que je crois que j'avais peur. L'Archipel, le 11 juin, c'est un très beau moment. Une belle salle, deux musiciens excellents, un public présent et chaleureux. Cela ressemble un peu à un cocon, il n'y a pas de grande messe, pas de milliers de gens, mais quelque chose se passait. Une amie me disait qu'elle avait eu du mal à dormir après, tellement elle avait été marquée par l'atmosphère...

Allez, une question comme seul oserait poser un journaliste de la revue Platine, parlons chiffres, combien avez-vous vendu à ce jour ? 

Je vais répondre cash...environ 5.000 dvd et cds à ce jour en cumul. Je parle des ventes réelles. Et 2.000 spectateurs depuis mes débuts. 60 représentations je crois à peu près. Je sais qu'il y a eu aussi pas mal de téléchargements illégaux. Mais bon...c'est pour ça que je peux dire que je suis dans les marges. Mais le paradoxe est que le public vient plutôt régulièrement. Maintenant, chaque artiste s'organise, avance avec les moyens qu'il a et puis aussi des objectifs qu'il se fixe, une certaine façon de voir les choses.

 

Est-ce que ce n'est pas exagéré de penser que vous êtes quasiment l'un des rares chanteurs dits de couleur dans ce domaine qu'est la Chanson à texte ? 

Il faut savoir faire la part des choses. Ne pas tomber dans la paranoïa. D'abord si je fais de la chanson à texte, ce n'est pas un challenge, c'est que je m'y sens bien. Ensuite, s'il y a des freins de la part de certains programmateurs par exemple, ou journalistes, c'est parfois tout simplement que ma tête ne leur revient pas, sans que la couleur ou mon orientation sexuelle y joue un rôle particulier. Maintenant, je sais également que justement ma couleur de peau, par exemple, joue aussi un rôle. Et puis les témoignages ne mentent pas...des antillais, des africains m'ont écrit, m'ont contacté et sont venus aussi me voir sur scène car ils étaient attirés et intrigués. Ils me disent : donc c'est possible ? Pour beaucoup d'entre eux, la Chanson est un monde très blanc et assez hermétique, et on ne peut pas les blâmer de penser ainsi. Je m'adresse à tout le monde, moi, mais est-ce que mes pairs le font ? Je ne suis pas sûr. Les litanies de certains chanteurs sur la fin du terroir et des traditions dans les terres d'Anjou ou de Normandie peuvent laisser de marbre un martiniquais de Fort-de-France. Et vice versa d'ailleurs. Je chante l'Anjou et je chante le Gabon. Parce que je suis franco-gabonais, que je ne le cache pas, que je le chante aussi. Il y a je crois, dès le départ, une dimension, on va dire, international. Je suis dans l'Ailleurs et je projette l'Ailleurs, ça peut attirer des gens qui sinon ne s'intéressent pas spécialement à la Chanson Française.

Vous avez réalisé de 'petits' films qui ont parfois, je trouve, éclipsé votre parcours de chanteur.

Extrait_du_prochain_film_musical_de_JEFF_BONNENFANT_avec_MAIK_DARAH_ET_JANN_HALEXANDER

Je ne pourrais pas me contenter d'être uniquement chanteur. Même si j'aime profondément ça. Ce que je souhaite c'est bâtir un univers.Le jour où j'aurais achevé la construction de cet univers, ce sera le jour de ma mort. Ces films ont été réalisés avec beaucoup de passion, d'énergie, malgré les moyens limités et ont été vu par des milliers de gens qui viennent me voir sur scène. Si je pouvais faire un film pour chaque chanson-balise dans mon parcours, je le ferais.

Fin octobre, vous faite le Vampire au Restau-Théâtre à Angers, puis vous enchaînez avec 4 concerts au Magique sur Paris, puis Bruxelles en décembre. dans quel état d'esprit vous êtes ?

Marc_Havet

Stressé.Angoissé.Excité. Avec les questionnements que beaucoup d'artistes se posent. Les gens seront-ils au rendez-vous ? Serais-je prêt ? Je suis très content de chanter au Magique. Marc Havet, le chanteur qui tient les lieux, avec sa femme, est un homme exceptionnel. Il m' a permis de faire mon métier. Il me le permet encore. Il n' a pas cherché à me dire, tu devrais chanter comme ci, comme ça, non il a écouté L'Amant de Maman lors d'une audition et ça lui a suffi. C'est une salle assez méprisée d'ailleurs par une partie du milieu Chanson. Pas assez grande, pas assez officielle etc...et puis cette salle n'a pas demandé l'aval du milieu Chanson pour exister. Pourtant si à Paris, il y a un lieu Chanson où il faut aller, c'est bien au Magique. On nous emmerdé avec les 3 Baudets, ou les témoignages nostalgiques de l'époque des cabarets rive gauche, j'ai horreur de ça. Parce que dans la réalité, le Magique existe depuis 30 ans et ce n'est pas un hasard. Et c'est un lieu assez connu dans le monde également. J'y passe et pour l'occasion, je vais faire un peu décorer les lieux. Je serais accompagné à la guitare car je sais que les gens qui me suivent apprécient beaucoup quand je suis avec un ou deux musiciens. Et puis j'aime ça aussi...

Au_Magique

Vous avez chanté en Allemagne aussi...

J'aime beaucoup l'Allemagne. C'est juste à côté, on pourrait dire mais c'est un autre monde. Mes souvenirs des concerts en Allemagne sont parmi les meilleurs. Et puis c'est une expérience formidable. Je ne cache pas non plus que mon souhait c'est de faire au moins un petit concert à Libreville,au Gabon où je suis né...

Jann_Halexander__sa_soeur_et_leur_p_re

Il y a quelqu'un lié à votre parcours, c'est Jeff Bonnenfant...
Sans lui, tout aurait été tellement différent. Je veux vraiment qu'on parle de lui aussi. C'est impossible de tout faire complètement seul. C'est aussi un ami. Il est au Mans, moi sur Angers. Nous sommes des provinciaux un peu isolés dans notre coin. Ce qui explique aussi une certaine forme de complicité. Et aussi une distance par rapport au "show-biz", au milieu de la Chanson. Et puis cette complicité est aussi une sorte de protection qui des fois nous a donné le sentiment, nous le donne encore d'ailleurs d'être dans notre petit tour d'ivoire...

Récemment, aussi, il y a Chris Mahon, une amie qui nous épaule. Elle  m'a aidé dans la préparation du récital à l'Archipel et se bat pour promouvoir les concerts à venir. Je voudrais dire que si je suis encore là car 7 ans c'est à la fois peu et beaucoup, c'est grâce à des initiatives individuelles de journalistes, comme vous, de personnes simplement qui ont voulu organiser un concert, de proches qui m'ont soutenu et me soutiennent encore. Je ne suis pas livré à moi-même.

Au début votre répertoire était très sombre. Sans possibilité de respirer. On sentait déjà un peu l'influence du compositeur Francis Poulenc, dont on sait que vous êtes un admirateur. Maintenant vous semblez plus détendu, vous osez l'humour. Mais c'est de l'humour macabre, comme si vous preniez plaisir à souffler le chaud et le froid...je pense à Chroniques d'une famille australienne notamment.

Canberra__lieu_des_Chroniques_australiennes

Je ne sais pas si c'est de l'humour macabre. On pourrait dire de l'humour noir tout simplement. Et encore...c'est assez jouissif de passer de beau au laid, de drôle au triste en quelques secondes. D'ailleurs Francis Poulenc faisait cela très bien, il suffit d'écouter Les Mamelles de Tirésias. Dans une mesure qui semble entraînante, joyeuse, tout d'un coup, quelques notes distillent une sorte de gravité terrible. Et tout d'un coup, l'atmosphère redevient joyeuse. C'est assez destabilisant et aussi plaisant pour un auditeur comme moi. Chroniques d'une famille australienne, c'est une allégorie sur la Shoah, les génocides de façon générale, l'apartheid...alors pendant les 2/3 de la chanson, ça paraît drôle, les gens rigolent, cette histoire de crocodiles bourgeois qui évoluent dans la bonne société australienne, dans la ville de Canberra, c'est tellement farfelu. Mais la fin de cette famille est tout simplement atroce. Et donne un nouvel éclairage sur le thème profond de la chanson, les gens se disent c'était donc ça...pour l'anecdote elle a été diffusée sur une radio australienne...

Des projets ?

HENRI_HELL_FRANCIS_POULENC

Il faut bien. Début 2011, je fais un spectacle autour d' Anne Sylvestre, dont j'aime passionnément le répertoire adulte. Et puis je finalise la sortie d'un nouveau film, dont nous avons déjà tourné une partie avec Jeff. Et puis je l'espère des concerts...peut-être quelque chose au Japon...

Anne_Sylvestre_chante_au_bord

Une chanson que vous voudriez qu'on retienne de vous ?

C'est difficile de répondre. Je défends mes chansons, toutes. Après il y a de tout, il y a en des moins réussies que d'autres. Allez, je vais dire A Table.

Et justement, pour finir, quel est votre plat préféré ?

Voilà une question vicieuse...bon, je suis gentil, je vais dire une délicieuse Carbonara...avec un verre de coca bien glaçé et sans citron.

Merci !

Luc Melmont

Actualité de Jann Halexander sur http://www.myspace.com/lechanteurjannhalexander

Actualité du Magique : http://www.aumagique.com/


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