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Les 10 meilleures chansons à mellotron

Publié le 25 octobre 2010 par Bertrand Gillet

La vie est faite de petits trucs intéressants. Un truc intéressant donc. Saviez-vous qu’il existe une page Wikipedia dédiée au mellotron, cet ancêtre du synthé censé reproduire le son d’un orchestre ? Incroyable, on y apprend quantité de choses sur ce clavier mythique. Comme son nom exact, le Melody Electronics. On se délecte en découvrant les générations successives d’instruments que des techniciens amoureux façonnèrent dans le silence de l’atelier avant que des musiciens accomplis ne leurs donnent corps et âme. Petite mine d’informations, cette page constitue un merveilleux prélude à cette sélection pensée et fabriquée, quelques décennies plus tard, avec le même soin maniaque. S’il ne peut prétendre à remplacer tout un orchestre, le mellotron devint cependant le clavier phare de toute une génération de musiciens curieux de repousser les codes de la pop, de télescoper les genres pour créer une sorte d’art majeur. Ce qui suit en représente la plus belle illustration.

Certains hurleront au scandale : « comment vous avez mis Strawberry Fields Forever en deuxième place, derrière les Moody Blues ??? ». Oui, j’ai fait cela. Il ne s’agit pas là d’un choix conventionnel. Mais d’une vérité historique. En plus d’avoir fait du mellotron son instrument de prédilection, Mike Pinder, leur claviériste, travailla surtout dans la société Bradmatic LTD qui conçu et commercialisa les premières générations de l’instrument. Il fut ainsi aux premières loges, participant de fait à l’élaboration de l’appareil. Venons-en au fait. Parmi leur plantureuse discographie riche de sept grands albums s’étalant de 1967 à 1972, on notera le très mystique In Seach Of The Lost Chord dont Legend Of A Mind constitue le climax. Hommage au pape du LSD, Timothy Leary, la chanson s’impose littéralement comme une mini symphonie pop et lysergique en tous points fascinante : chœurs majestueux, longs développements climatiques, parties de mellotron au traitement original (la petite gigue !!!!). Il faut dire qu’en la matière, Mike Pinder ne se borne pas seulement à créer des nappes vaporeuses. Il tire toute la quintessence de cet instrument atypique, en exploite les moindres possibilités. Le résultat demeure grandiose et Legend Of A Mind d’affirmer sa personnalité éminemment mystérieuse. Après un final grandiose, transcendé par les voix hurlant Tiiiiimmmoooothy Leaaaarrrryyyyyy à pleins poumons, on ressort terrassé, vidé mais incroyablement heureux.

Venons-en aux Beatles. Inutile de rabâcher la chose, mais les quatre de Liverpool réinvente à chaque album les canons de la pop. Avant de s’atteler au projet Sergent Pepper’s, Paul & John marquent le désir d’enregistrer deux de leurs nouvelles compos. Laissons de côté le baroque et pimpant Penny Lane pour nous intéresser à Strawberry Fields Forever. La légende veut que lorsque Lennon joua pour la première fois le morceau en studio accompagné d’une simple guitare, Macca se mit au mellotron et entonna ce qui devait être, à quelques notes près, l’actuelle intro de la chanson. Point d’allusion à des substances hallucinogènes ou à un trip nudiste dans les champs, Lennon raconte ici son enfance passée à jouer dans un champ qui jouxtait un orphelinat. Au-delà de l’apport du mellotron dont on reconnaît immédiatement la tonalité (atonalité ?), la chanson est une merveille de production avec ses bandes à l’envers, l’usage du vari-speed et autres trouvailles incroyables. Pour couronner le tout, Martin compose un arrangement pour trompettes et violoncelles qui donnera au titre une dimension orchestrale sans commune mesure à l’époque. Le morceau finit comme il a débuté,  avec le mellotron dont les notes apparaissent plus dissonantes, plus psychédéliques. Quelques mois avant sa mort, dans une interview fleuve, Lennon désavouera le travail fait sur Strawberry, affirmant même que Paul essayait de détruire ses grandes chansons en privilégiant une atmosphère de relâchement et d’expérimentation. Un grand merci à McCartney, donc. 

Les Zombies, des morts vivants ? On ne pouvait pas mieux dire. Quand Rod Argent, Chris White, Colin Blunstone, Paul Atkinson et Hugh Grandy entrent en studio en novembre 1967 pour enregistrer le chef-d’œuvre qu’ils ont en tête, il s’agit quasi d’un baroud d’honneur. Disposant en fait d’un budget à minima et de peu de temps, nos maîtres es pop gravent les douze titres dans l’urgence. Quand l’album sort en Angleterre, le groupe ne résiste pas à la pression accumulée et se sépare. Découvert par Al Kooper qui croit à son potentiel artistique, l’album arrive dans les bacs américains par le biais d’un micro label, Date Records. Time Of The Season connait un succès considérable. Les Zombies deviennent enfin hype ! Malgré leur destin en dent de scie, Odessey & Oracles demeure l’un des joyaux de la pop anglaise. Le mellotron y est quasi omniprésent et dessine un style à la fois planant et précis. Hung Up On A Dream représente une sorte d’apothéose baroque, à la fois délicate et puissante. Le mellotron dispose ici d’un allié à sa mesure, rivalisant de beauté et de majesté : la voix préraphaélite de Colin Blunstone. Le mixage, en tous points excellent, permet un équilibre parfait entre voix, chœurs et parties de claviers. Jamais chanson n’avait atteint de telles sphères faisant du groupe l’égal des Beatles, et en un album du reste. Excusez du peu !

David Bowie fut le plus célèbre des transformistes rock. A chaque album un nouveau visage. En 1969, il se met dans la peau de Major Tom, personnage énigmatique, dont on en sait s’il se perd ailleurs que dans l’espace profondément noir et froid. Quelques années plus tard, Bowie confessera dans Ashes To Ashes : « We know Major Tom’s a junkie ». Mais revenons à ce tube interplanétaire qu’est Space Oddity. Il s’agit avant tout d’un voyage aux confins de la pop. Multipliant les strates sonores, le résultat d’une grande complexité constitue le premier succès de Bowie après sa période pop/mod. Aux manettes de cette épopée, le futur clavier de Yes, Rick Wakeman. Les explosions de mellotron sont autant de supernovas soniques propulsant l’auditeur dans un futur proche, quelque part entre le 2001 de Kubrick et les premiers pas de l’homme sur la lune à travers la mission Apollo 11 que les notes vaporeuses de Bowie accompagnèrent ce 20 juillet 1969. On ne pouvait rêver plus belle association de sons et d’images. Plus mémorable en définitive que le clip kitch de la première version de Space Oddity, moins connue du grand public où la flûte remplace le mellotron (!!!). A l’époque, le jeune et timide David Jones ne s’est pas encore mué en David Bowie (une référence au soldat américain Jim Bowie). Bon, je ne sais pas vous, mais je repartirais bien une nouvelle fois dans les étoiles, porté par des nappes de mellotron.

Traffic devait incarner la fraîcheur de la nouvelle scène pop née dans la foulée des Beatles. Tirant ses origines de l’une des plus célèbres formations du Londres rock, Le Spencer Davis Group, Traffic réunit atour de son ancien membre, le juvénile et très doué Steve Winwood, Chris Wood, Dave Mason et Jim Capaldi. Tous sont mutli-instrumentistes et touchent à la composition. Le groupe à peine formé, nos musiciens s’enferment rapidos dans un cottage de la campagne anglaise pour écrire le matériel de leur premier opus, Mister Fantasy. Mais avant, il faut arranger le coup, nourrir la hype. Deux singles créeront ce petit miracle qui fera trembler d’impatience le tout Londres en général, Carnaby Street en particulier. Hole In My Shoe succède à Paper Sun, au psychédélisme funky. Mais là les choses s’accélèrent en ralentissant le tempo, histoire de recréer l’illusion d’un trip acide. Sitar et flûte introduisent le propos avec brio, l’orgue de Winwood prend alors des couleurs acidulées, les chœurs eux se diluent dans la stéréo. Cool. Le mellotron prend le relais de façon discrète pour s’imposer littéralement sur le pont où un monologue chanté par une jeune fille, Francine Heimann, nous satellise direct. Incursion courte mais qui démontre s’il en était le potentiel planant de l’instrument. Ouaaaiiiiiis. 

Difficile de taxer les Kinks de modernistes. On les sent plutôt versés dans l’Angleterre des campagnes et des tasses de thé que dans le London branché. Fatale erreur. Devançant de quelques mois les Who, Ray Davies et sa clique lancent l’un des premiers albums concepts de l’époque, le premier à aborder le thème désuet de la ruralité. Pas vraiment psyché acide tout ce que vous voulez, The Kinks Are The Village Green Preservation Society fait l’apologie de ces paisibles bourgades où s’épanouissent les premières amitiés et les jeunes amours. Dans ce cadre délicieusement vieillot, le session man Nicky Hopkins insère au gré des titres de suaves lignes de mellotron donnant à des morceaux comme Phenomenal Cat une aura mystérieuse. Un apport admirable qui s’exprime au mieux sur le single Days, présent sur le pressage européen de l’album. La majesté de l’instrument sert parfaitement la tendresse des paroles de Ray Davies, seul songwriter anglais de la nostalgie. Ray Davies avouera quelques années plus tard dans une interview que la chanson était en fait un adieu à la première formation des Kinks, évoquant de même l’avenir incertain du groupe. Propos prémonitoire ? Pete Quaife le batteur partira peu de temps après et la nouvelle période qui s’ouvrira, malgré des chefs-d’œuvre comme Arthur ou Lola Versus Powerman and the Moneygoround, marquera le temps du déclin. So, thank you Ray for the single Days.

Cool, j’aurai réussi à réunir Beatles et Stones dans une même tribune car croyez-moi les amis, ce choix stratégique vaut son pesant d’or mélodique. Au-delà du traditionnel et épuisant débat « Stones ou Beatles ? », revenons à cette audacieuse réponse à Sgt Pepper’s que fut Their Satanic Majesties Request. Passons sur le mimétisme de la pochette et la mystique de pacotille qui semble éloigner nos rockeurs de leurs racines, le blues, pour évoquer cette perle pop qu’est She’s Like A Rainbow. Pour la petite histoire, ce ne sont pas les Beatles qui ont inspiré Keith Richards et Mick Jagger (ils ne jouent pas dessus contrairement aux rumeurs) mais… Love, le groupe californien leadé par Arthur Lee. Pour cela, il suffit d’écouter les premiers vers «  She comes in colors ev'rywhere; She combs her hair, She's like a rainbow ». She comes In Colors est en fait une chanson tirée de Da Capo sorti en 1966. Le morceau avait fortement impressionné notre duo de compositeurs anglais qui lui rend ici un hommage discret. Quant aux arrangements, c’est à Brian Jones que l’on doit les parties de mellotron. Malgré sa passion pour le blues (le nom du groupe, c’est lui !!!), l’ange blond des Stones cultivait une réelle fascination pour les nouvelles sonorités et les arrangements. C’est lui qui eu l’idée de jouer du dulcimer sur Lady Jane, créant ainsi une atmosphère onirique. Ici, le mellotron prend les accents d’une trompette baroque : n’oublions pas que l’instrument avait pour ambition de reproduire les sons d’un orchestre (cordes, flûtes et cuivres). Toutes les nuances et les couleurs d’un art en ciel.

The Pretty Things, les jolies choses. Voilà un nom admirablement bien porté. Au mitant des sixties, les Pretty Things sont les Stones du pauvre, des pré punks de second rang. Mais la hargne et l’énergie dont ils font preuve leur assurent un public fidèle. Alors que les sirènes du psychédélisme sonnent une nouvelle ère, il faut prendre le pas. Ce changement sera pour beaucoup de groupes l’occasion d’exploser ou de crever. Les Pretty Things se réinventent alors en formation pop tout en conservant leur sublime sauvagerie. Plus qu’un album concept, SF Sorrow sera le tout premier opéra rock avant Tommy. La bande à Phil May y alterne envolées psyché et rock nerveux. Sur le morceau titre, SF Sorrow Is Born, on retrouve ce flux, cette tension, ce rythme mais avec des arrangements autrement intéressants. Le mellotron y apparaît de façon incroyable, comme une trompette aigue et tourbillonnante, très Penny Lane, pour se fondre alors en nappes climatiques. Produit par Norman Smith qui œuvra aux côtés des Beatles et des early Pink Floyd, la matière musicale reste proprement hallucinante. Certes, des instruments comme le sitar semblent datés mais la section rythmique assurée par Wally Allen à la basse et John ‘Twink’ Alder derrière les fûts donne au morceau ainsi qu’à l’ensemble du disque sa force, sa cohérence. L’année précédente, nos jolies choses rempilent et signent ce que beaucoup de fans considèrent comme leur Abbey Road : Parachute. Beau compliment. Deux classiques des sixties injustement oubliés.  

Inclassable demeure le Pink Floyd. Le seul groupe anglais à incarner l’essence même du psychédélisme à travers un acid rock radical, noir à la sauce anglaise mais sans y ajouter tout l’instrumentarium en vigueur à l’époque : sitar, clavecin, orchestrations. Le quatuor s’en tient à la formule stricte guitare, orgue, basse, batterie. En cette période 67-68, le groupe représente l’avant-garde du nouveau rock. Signé par Emi, avec à sa tête le génialement dérangé Roger Syd Barrett, il invente une formule acide, trippante, flippante même. A force de gober et d’expérimenter, les bavards buvards ont raison du cerceau barrettien qui quitte alors le groupe. David Gilmour prend le relais et s’affirme progressivement comme le porte-drapeau d’un nouveau style emplit de glissandos languides. En mars 1968, nos amis tentent d’assurer le coup après le départ de leur leader fou, et balancent quelques singles. Parmi eux, Julia Dream qui passe outre l’équation instrumentale du Floyd, ajoutant ainsi un mellotron plus que bienvenu. La magie opère. Et Julia Dream de se transformer ainsi en ballade mélodico planante, aussi inquiétante que furent Flaming ou Scarecrow, à la trompeuse douceur. Chanté par l’angélique David, la rêverie revêt parfois, au détour d’un refrain, les apparats du cauchemar méthodique qui vous englue dans ses lenteurs monotones. Méfions-nous de l’eau qui dort, le groupe prépare en douce son deuxième opus, disque de transition, dont le titre énigmatique cache là encore tout un vivier de psychoses musicales : une bonne cuillerée de secrets… Drogués.

From Birmingham, let me introduce you The Move !!! Ce groupe frère des Moody Blues était plus attiré par les Beatles que par le romantisme suranné de nos esthètes pop à bacchantes. Leur premier et éponyme album distribue son lot de sucreries pop savamment orchestrées. Une influence prégnante qui fit des Move l’une des formations les plus en vue dans le circuit de l’underground anglais. L’affaire semble à ce point faite que lorsque sort le single Blackberry Way, le 13 décembre 1968, la rumeur journalistique présente tout naturellement l’œuvre comme une réponse au Penny Lane des Fab Four. Avec son mellotron omniprésent, on songe plutôt à une version dark de Strawberry Fields. Cette chanson d’adieu, à en écouter les paroles, plombe délicieusement l’ambiance et les nappes qui s’exhalent des écouteurs prennent les atours sombres des cérémonies mortuaires aux cortèges de cheveux emplumés de jais. Toute la singularité de l’écriture du génial et sous estimé Roy Wood éclate au grand jour, le refrain se muant alors en chanson à boire avec ses accents de franche camaraderie anglaise. Un an après, le groupe profite d’un changement de personnel pour opérer un virage rock west coast sur Shazam qui conserve par moment une certaine magie (la reprise allongée de Cherry Blossom Clinic). Après deux albums en demi teinte, Roy Wood part former avec Jeff Lynne, leader des Idle Race, Electric Light Orchestra, s’illustrant par un audacieux et choucroutesque mélange entre pop et rock symphonique. Aujourd’hui, on connaît surtout le groupe pour Mr Blue Sky qui deviendra la signature musicale d’un célèbre opérateur téléphonique français. A ce moment précis, la ligne du groupe semble considérablement dérangée.

Ce florilège de pop songs nappées de mellotron ne vaudrait pas tripette sans un emprunt au prog. Histoire de finir en beauté, parlons de l’une des plus belles ballades du genre et de la pop au sens large dont les vapeurs nous rappellent les vertus de l’instrument sus cité : Epitath de King Crimson. Un nom qui sied à ce grand final journalistique convoquant l’éternité en personne. Oui mes amis ! Dans un roulement de tambours éclatent alors les premières nappes, puis la voix de Greg Lake de débuter cette longue psalmodie poétique au milieu des arpèges acoustiques tissés par Fripp. Tout le morceau est construit sur une montée en puissance, long crescendo nous guidant vers l’explosion finale où l’instrument semble sonner comme des trompettes majestueuses. Cooool. Aujourd’hui, les formations les plus respectées se disputent les faveurs nimbées du mythique mellotron. Qu’ils s’appellent XTC, Radiohead, Blur, Grandaddy, Sourya, Syd Matters, The Sunday Drivers, The Stroke, Amon Tobin, The Kooks, Air, Marylin Manson ( !!!), Mylène Farmer ( !!!!!!!!) et j’en oublie, tous se sont laissés séduire par la dimension hautement dramatique de l’instrument, sa capacité à construire une histoire musicale tantôt planante, tantôt inquiétante. Il est temps d’en prendre la mesure et de se replonger dans ces morceaux… D’orchestre réinventé. 

http://fr.wikipedia.org/wiki/Mellotron

http://www.planetmellotron.com/

http://www.deezer.com/fr/#music/playlist/les-plus-belles-chansons-a-mellotron-51446326






26-10-2010 | Envoyer | Déposer un commentaire | Lu 1922 fois | Public
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