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Magali NIRINA - MARSON (Madagascar).

Par Ananda

« Pi-qûre, écor-chure, pi-qûre, écor-chure, pi-qûre… ». Je chante en silence, comme un refrain. J’aime bien les rimes. J’essayais d’écrire des poèmes et des petits textes, au milieu de mon journal intime, avant... La prof disait que j’étais bonne en rédaction, qu’elle était jolie, mon écriture. J’aimais ça, le Français, ses cours… Il fait chaud, dans cette chambre d’hôtel. Elle est grande, pourtant. Mais lourdes, mes paupières, lourdes, par moments. Les murs se rapprochent, un peu, on dirait… Je commence à flotter, un peu… Brûlure sous et sur ma peau. On m’a dit que ça me ferait un peu mal, mais j’aime presque ça, là où je sens comme un ongle pointu qui veut arracher absolument une croûte, qui appuie et qui râcle, comme une déchirure...

Moi, j’enfoncerais l’aiguille et je me grifferais beaucoup plus fort ! Ça m’arrive, des fois, quand je dors ; ou quand j’offre mes yeux au vague et sors du temps, comme disait Nirina ; quand je me déserte… Papa utilisait souvent ce mot-là. Il rigolait. « J’ai déserté la France », il disait. « Je n’aimais pas ma vie là-bas »… Puis c’est nous qu’il a désertés un jour. J’ai jamais vraiment compris pourquoi. Sa femme officielle est tombée gravement malade, je crois. Ses enfants d’avant nous lui ont demandé de venir l’accompagner jusqu’à la fin. Mais elle dure longtemps, la fin ! Peut-être qu’il s’est mis à ne plus nous aimer, ici ? J’aurais dû faire plus attention, peut-être ; lui faire jurer de revenir… Notre vie ne serait pas devenue aussi… grise !

Bruit de la fraise. Comme le « zon-zon » d’un gros moustique. C’est long, mais oui, cette brûlure, j’aime bien. Elle me fait me sentir comme, je sais pas… Plus en vie… Je ne pensais pas que ça prendrait autant de temps, de peindre cet animal et ces lettres étranges dans moi.   

(...)

Avant, je ne savais pas. Je ne les voyais pas, les « caca poule » dans les rues-la poussière ! Il y avait un zaza des rues qui dormait sous un carton, pas très-très loin de la maison. Papa avait pitié. « C’est un pauvre orphelin », il me disait. Il lui donnait des petites choses à faire, un peu, tous les jours, pour ne pas le rendre un mendiant, il m’expliquait. Il le payait avec un petit billet et à manger. Il parlait un peu avec lui et lui tapait dans le dos en riant comme il faisait avec mon petit frère et moi. Moi, je regardais la morve qui faisait exprès de ne pas couler, on dirait ; cette espèce de truc jaune vert pas tout à fait liquide, qu’il avait toujours collée sous le nez. Je le trouvais maloto-beurk et je ne disais rien, mais je ne voulais pas toucher ou parler à quelqu’un de si sale. Je savais pas ce que c’était, être mafy ady, avant ; pauvre de tout… La vie m’a appris. Il avait tellement rien ! Ses parents l’avaient abandonné, on nous a dit… Je me souviens, je me suis demandé « pourquoi il s’appelle Tiana, alors ; celui qu’on aime et qu’on veut ? »… Oui, c’est Tiana. Il est devenu mon pote de la rue, depuis. Il traîne à Antaninarenina, dans le coin des boîtes et des hôtels pour Blancs. Il a l’intelligence. Il ne s’est pas fait piquer au couteau dans une bagarre de bandes. Il a sa petite bande de jiolahim-boto-voyous aussi, mais il a réussi à rester loin de ces guerres-là. Il a gardé-lavé-voitures, comme avec papa ; puis il porté-paquets des dames qui  faisaient leur marché pas loin de là ; puis il s’est débrouillé de plein de façons. Il apportait « servissi-adomissil’a », il disait, juste devant les hôtels des touristes, la vanille, les épices ou l’artisanat de marchands qui travaillaient plus loin. Il fait du « bizinessi », maintenant, il se vante un peu, avec un sourire important. « Cigarettes importation ! », on l’entend, devant les boîtes ; et c’est lui, qui apporte l’herbe rasta, le rongony, aux gens des nuits. On rigole, des fois, quand on partage une cigarette ou un joint. On est pareils, lui et moi. On donne de la plante ou de la chair-voyage, contre des billets première classe-fanafody : de l’argent, du « médi-calmant » -on a vu quelque chose comme ça marqué sur des T-shirts de touristes de La  Réunion... Ça nous a fait rire !-, contre la misère ; celle du dehors et celle du dedans !

Extraits de JE ME DESERTE

in Nouvelles de Madagascar,  Magellan Éditions, à paraître début novembre

(Pour en savoir plus, cliquez sur :

http://www.editions-magellan.com/livre/218-nouvelles-de-madagascar)


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