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La route, dans les vestiges d'un monde qui meurt

Publié le 07 janvier 2008 par Christophe Greuet

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07 janvier 2008

La route, dans les vestiges d'un monde qui meurt

Un an après Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme Cormac McCarthy est de retour avec un nouveau roman, La route. A 75 ans, l’un des géants vivants de la littérature américaine offre une épopée humaine très moderne, et signe un chef-d’œuvre capital, qui rend dérisoire la prestigieuse réputation qui l’a précédé, composée notamment d’un prix Pulitzer et de deux millions d’exemplaires vendus aux Etats-Unis.


Plusieurs années après que l’apocalypse, un homme et son fils tentent de survivre. Leur quotidien consiste à avancer péniblement sur une route que l’on appela autrefois 66, et qui traverse les Etats-Unis. Leur objectif, rejoindre la coté afin que le « petit » voie la mer. Né après la fin des civilisations, l’enfant l’espère malgré tout bleue. De grosses galères en petites victoires, de débrouilles pitoyables en combats pour leur vie, l’homme et son fils vont croiser dans leur périple des hommes comme eux, que le malheur a presque transformé en bêtes sauvages.
Très loin des discours moralisateurs sur les méfaits des hommes pour l’environnement, Cormac McCarthy s’attaque en creux au thème on ne peut plus sensible de la “fin du monde”. Pas de jugement et encore moins d’explication ici : des raisons qui ont provoqué la catastrophe, on ne saura rien. Au détour d’une phrase, le père avouera seulement à son fils que les hommes sont responsables.
Des hommes, justement, qui sont l’intérêt principal de l’auteur. Peu importe les origines du contexte : McCarthy dépeint ici un post-apocalypse qui transpire l’humain. Bien sûr, il y aura les « gentils », l’homme et son fils, qui se proclament « porteurs du feu » face aux « méchants », des hommes que la faim et le besoin ont conduit aux abords de la bestialité.
C’est pourtant dans son absence que l’homme habite le plus La route. Tout au long des brèves descriptions, McCarthy capte son décor comme très peu d’auteurs peuvent s’en enorgueillir. Dans un paysage dévasté par une anonyme catastrophe, McCarthy passe au crible les vestiges de l’homme, biens de consommation réduits à la plus simple expression de leur existence. Dans un passage central du livre, l’auteur montre à quel point l’entassement de biens de consommation est inutile à la sauvegarde de l’homme. Le père et son fils y découvrent, dans le sous-sol d’une maison, un abri atomique surchargé de nourriture et boissons, mais vidée de ses occupants, qui n’ont pas survécu. Cette abondance soudaine ne sauvera pas non plus nos deux errants affamés, car le lieu se révèle rapidement peu sûr.
Afin de décrire un monde nu, vidé d’occupants et d’émotion, McCarthy a décidé d’économiser au maximum son vocabulaire, de réduire drastiquement les longues descriptions propres aux auteurs anglo-saxons. De cette frugalité d’écriture naît pourtant un livre d’une richesse rare, dont l’univers et les personnages pénètrent le lecteur comme autant de flèches acérées, visant ce qu’il nous reste d’espoir.

« La route » de Cormac McCarthy, Ed. de l’Olivier, 244 pages, 21 €.

Un extrait de La route


Quand il se réveillait dans les bois dans l'obscurité et le froid de la nuit il tendait la main pour toucher l'enfant qui dormait à son côté. Les nuits obscures au-delà de l'obscur et les jours chaque jour plus gris que celui d'avant. Comme l'assaut d'on ne sait quel glaucome froid assombrissant le monde sous sa taie. À chaque précieuse respiration sa main se soulevait et retombait doucement. Il repoussa la bâche en plastique et se souleva dans les vêtements et les couvertures empuantis et regarda vers l'est en quête d'une lumière mais il n'y en avait pas. Dans le rêve dont il venait de s'éveiller il errait dans une caverne où l'enfant le guidait par la main. La lueur de leur lanterne miroitait sur les parois de calcite mouillées. Ils étaient là tous deux pareils aux vagabonds de la fable, engloutis et perdus dans les entrailles d'une bête de granit. De profondes cannelures de pierre où l'eau tombait goutte à goutte et chantait. Marquant dans le silence les minutes de la terre et ses heures et ses jours et les années sans s'interrompre jamais. Jusqu'à ce qu'ils arrivent dans une vaste salle de pierre où il y avait un lac noir et antique. Et sur la rive d'en face une créature qui levait sa gueule ruisselante au-dessus de la vasque de travertin et regardait fixement dans la lumière avec des yeux morts blancs et aveugles comme des œufs d'araignée. Elle balançait la tête au ras de l'eau comme pour capter l'odeur de ce qu'elle ne pouvait pas voir. Accroupie là, pâle et nue et transparente, l'ombre de ses os d'albâtre projetée derrière elle sur les rochers. Ses intestins, son cœur battant. Le cerveau qui puisait dans une cloche de verre mat. Elle secoua la tête de gauche à droite et de droite à gauche puis elle émit un gémissement sourd et se tourna et s'éloigna en titubant et partit à petits bonds silencieux dans l'obscurité.
À la première lueur grise il se leva et laissa le petit dormir et alla sur la route et s'accroupit, scrutant le pays vers le sud. Nu, silencieux, impie. Il pensait qu'on devait être en octobre mais il n'en était pas certain. Il y avait des années qu'il ne tenait plus de calendrier. Ils allaient vers le sud. Il n'y aurait pas moyen de survivre un autre hiver par ici.

© Editions de l'Olivier, 2008

17:40 Publié dans Livres , Rentrée littéraire 2008 | Lien permanent | Commentaires (0) | Envoyer cette note | Tags : Rentrée littéraire 2008, Rentrée littéraire janvier 2008, Cormac McCarthy, La route, Editions de l'Olivier, Culture Café

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