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Ode au tabac !

Publié le 05 janvier 2008 par Philippe Thomas

Poésie du samedi 99

Ode au tabac

.
Tabac !  O narcotique du pauvre !
Je viens ici chanter tes laudes,
Divine plante qui enchante ;
Toi qui vaincs les douloureuses souffrances !

Parfois, sous ta fumée évaporée,
J’ai formé des projets insensés ;
Vu, halluciné, des visages cachés,
Aimés, adorés, voilés.

Cigarette, mère tendre, grosse de tabac,
Console-moi ;
Car n’es-tu pas l’ange gardien
De mon chagrin.

Si souventes fois, aussi, mes doigts pressés
T’ont prestement roulée,
O cigarette désirée !…
Et tendrement aspirée.

Mais n’es-tu pas, aussi, la compagne du solitaire
Au cœur noble et fier ;
De l’ouvrier à l’atelier ;
Du paysan à son champ ;

Du trimardeur dans le malheur.
Oh ! oui, tabac ! pour tous, tu es le divin consolateur.

Noël Saint-Martin (Coutances ?? - Nancy ??), Au fil de ma pensée, Nevers, imprimerie de la Nièvre 1937, préface de Gaston Picard.

Voilà un poème qui peut sembler politiquement pas correct, maintenant que la loi anti-tabagie dans les cafés est entrée en vigueur. Mais on peut être pour le tabac et contre la tabagie, comme on peut être pour le (bon) pinard et contre l’alcoolisme. Je suis pour ma part non fumeur. Mais je m’autorisais parfois quelques transgressions…

C’est si bon la transgression ! D’habitude, j’allais justement dans un estaminet bien enfumé pour m’adonner ponctuellement au vice tabagique. Là, me sentant en terrain de connivence comme jadis bourgeois s’encanaillant au bordel et y croisant d’autres bourgeois, j’y bourrais scrupuleusement ma pipe. Puis je l’allumais, m’évadant du monde dans un épais nuage voluptueusement aromatique qui ridiculisait les crapoteurs accrochés à leurs cibiches. Le meilleur moment… aahhh… fraîcheur des premières bouffées… Ce luxe m’est désormais interdit, à moins que quelques commerçants malins n’ouvrent bientôt des… fumoirs !

Blague (de tabac !) à part, je suis évidemment heureux de ne plus subir les fumées indésirables. Mais par ailleurs, je comprends qu’on puisse prendre plaisir à user de ce que Noël Saint-Martin nomme joliment le “narcotique du pauvre”. Peut-être même que la respiration de ses poèmes se ressent d’un souffle haletant dû à une pratique assidue de l’herbe à Nicot. Son rythme semble parfois jouer à saute-mouton avec les virgules. Son poème présente sans doute des aspérités comme une cigarette grossièrement roulée entre des doigts calleux. Qu’importe, c’est là le signe palpable qu’il est sincère et non formaté.

Je ne sais rien de ce Saint-Martin poète. Rien d’autre que ce que m’en apprend la préface de Gaston Picard (1892-1962) qui fut avec son confrère Georges Charensol et quelques autres l’un des fondateurs du prix Renaudot. Noël Saint-Martin est donc né à Coutances et vivait à Nancy à l’époque où parut cette plaquette. Il était manoeuvre, un métier et un mot “gros de beaucoup d’efforts, de beaucoup de souffrances” comme l’écrit Picard dans sa préface. Saint-Martin est donc un poète prolétaire authentique, sans afféteries, livrant une belle sensibilité dans les lacs de ses mots, véritable réseau mobile et bleu qui monte de sa bouche en feu

Allez, encore une bouffée de Saint-Martin…
Bonheur intérieur

De la vie, j’ai, avec dégoût, rejeté les boues,
Façonné de mes mains
Ce rêve palpitant, qu’éperdu, j’étreins.
En compagnie du romantique, qui vit là, en mon cœur,
Je trouve le bonheur.
Et, du siècle fatal, j’ai dissipé les heures.
Aussi, combien je l’aime, ce frère intérieur,
Avec lequel j’oublie mon malheur !
Qu’il soit béni, ce cher compagnon
Qui me donne l’illusion !
En harmonie, nous faisons des rêves jolis.
Et, pourtant, une personne amie souhaite que je le quitte.
Pourquoi me séparer
De celui qu’à regret,
Je ne saurais quitter !
Ici, tel Gérard de Nerval, en un transport, je m’écrie :
« Ô  combien je te bénis, ma bienheureuse folie !…
Toi qui m’aides à supporter la vie. »


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