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« Une année chez les Français » de Fouad Laroui, chez Julliard (critique)

Par Sumba

Drôles de drames au lycée Lyautey

Cette année, le Maroc suscite un intérêt inaccoutumé dans le monde littéraire. C’est que deux de ses écrivains sont sélectionnés pour des prix prestigieux : Abdellah Taïa pour le Renaudot et Fouad Laroui pour le Goncourt. Il faut sans doute se désoler qu’un tel événement soit nécessaire pour se rendre compte que Tahar ben Jelloun est loin de représenter toute la richesse de la littérature marocaine, surtout celle des deux dernières décennies, mais nous n’en ferons rien. Laissons plutôt ces considérations sérieuses de côté, pour nous laisser séduire par l’humour très fin dont fait preuve Fouad Laroui dans « Une année chez les Français ».

« Une année chez les Français » de Fouad Laroui, chez Julliard (critique)

« Un pitchoun, deux bibis une falise » : voilà les ingrédients de base du roman de Fouad Laroui. Comment, ce n’est pas clair ? Reprenons. C’est la rentrée des classes au lycée Lyautey, et un début d’agitation se fait sentir. Les premiers élèves arrivent, tout se passe selon la procédure d’accueil normale, jusqu’à ce débarque un tout petit garçon mal fagoté et à l’air effaré. Ainsi se présente celui que le pion Miloud, étonné, qualifie de pitchoun. L’étrangeté de cette entrée ne s’arrête pas là : le jeune égaré prénommé Mehdi traîne derrière lui deux gros dindons (les bibis), sans même savoir pourquoi, et une valise (qui donne falise dans le français approximatif de Miloud) miteuse. Mais que diable vient faire une telle apparition dans le prestigieux lycée français de Casablanca ?

Le ton est donné : une arrivée aussi burlesque ne peut qu’être la première d’une longue série de catastrophes, que le pauvre Mehdi accumule tout au long de son année scolaire. On retrouve alors la la légèreté et l’humour caractéristiques des oeuvres de Fouad Laroui, qui tranchent avec la gravité souvent accompagnée de violence encore omniprésente dans la littérature marocaine. La mode, au Maroc, étant à l’écriture du féminin et du carcéral, il peut paraître étrange qu’une version locale du « Petit Nicolas » voit le jour. Et pour cause : les mésaventures scolaires du sensible Mehdi sont moins anodines qu’il n’y paraît.

En de courts chapitres dont les titres font songer à des épisode de « Martine », tels que « Mehdi apprend à jouer au xylophone » ou « Une journée à la plage », le romancier dresse un inventaire des souffrances que peut endurer un enfant marocain dans un lycée français. Liées à une incompréhension de la culture et de la langue françaises, ainsi qu’à relent d’idéologie coloniale de la part des membres de l’institution, ces petites misères sont les sismographes d’un malaise plus profond. On devine en effet derrière la fable les contours d’un pays à l’identité si fragile que la moindre contrariété menace de le briser. Mehdi, avec son allure chétive et les multiples surnoms qu’il récolte tout au long du récit, peut alors être vu comme une métaphore d’un Maroc nébuleux.

C’est surtout à travers un rapport ludique à la langue qu’est dite l’impossible sécurité identitaire des autochtones. L’auteur prend un plaisir évident à jouer avec les mots, sous prétexte des lacunes langagières de son héros. Ne comprenant bien ni le français ni l’arabe, ce dernier passe son temps à questionner les adultes, suscitant moqueries et quolibets. C’est sans doute que le questionnement demeure le mode le plus à même de parler du Maroc contemporain. Et Fouad Laroui, avec la naïveté feinte qu’il parvient à créer, s’avère être un maître dans l’art de l’interrogation.

Fouad Laroui, Une année chez les Français, Julliard, sept 2010, 304 p., 19
Article publié dans « Témoignage chrétien » le 04/11/10


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