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Ne me refuse pas : Marie-Nicole Lemieux fait ses délices d'un siècle d'opéra français

Publié le 12 novembre 2010 par Jeanchristophepucek
gustave moreau apparition

Gustave Moreau (Paris, 1826-1898),
L’apparition
, c.1876.

Huile sur toile, 142 x 103 cm, Paris, Musée Gustave Moreau.

Une des conséquences de la crise du disque aura été de favoriser une floraison parfois envahissante de récitals d’airs d’opéra, au sein de laquelle il est souvent délicat de séparer le bon grain de l’ivraie.

logo palazzetto bru zane
Si les projets de ce type documentant l’époque baroque foisonnent de pièces inédites ou méconnues, ceux qui s’attachent à la musique du XIXe siècle proposent généralement un répertoire plus connu, voire convenu. Avec Ne me refuse pas, que vient de publier Naïve avec le soutien du Palazzetto Bru Zane, la chanteuse Marie-Nicole Lemieux et le chef Fabien Gabel réussissent à offrir un programme mêlant très opportunément airs célèbres et nettement plus rares en une anthologie réussie que je souhaite vous présenter aujourd’hui.

Le parcours qui nous est proposé couvre un siècle d’opéra en France, de Luigi Cherubini (1760-1842), représenté par un extrait en langue originale – le français – de Médée (1797), à Jules Massenet (1842-1912), dont l’art est illustré par un air d’Hérodiade (1881) et un de Werther (1892). Sans entrer plus que de raison dans les détails – je vous renvoie à l’intéressant texte du livret signé par Alexandre Dratwicki – le disque permet de se rendre compte de l’évolution intervenue dans le choix des sujets présentés sur la scène lyrique, mutations qui suivent d’ailleurs d’assez près celles que l’on observe dans le domaine de la peinture. Ainsi, de la même façon que l’on y passe du néoclassicisme au style troubadour, puis à l’orientalisme et à

jean-leon gerome eminence grise
l’académisme, courants qui coexistent en se nourrissant mutuellement, les arguments mythologiques, héritage des siècles précédents dont la vogue reste forte au début du XIXe siècle, se voient progressivement remplacés par des livrets se situant essentiellement au Moyen-Âge ou à la Renaissance, comme en témoignent, dans cette anthologie, les airs tirés de Roméo et Juliette (1839) d’Hector Berlioz (1803-1869) ou de Charles VI (1843) de Fromental Halévy (1799-1862), puis par des sujets où l’exigence de pittoresque, mais aussi de réalisme, se fait de plus en plus prégnante, qu’il s’agisse de Mignon (1866) d’Ambroise Thomas (1811-1896) ou de Carmen (1875) de Georges Bizet (1838-1875), et, enfin, des sujets bibliques où la religiosité côtoie une trouble sensualité fortement teintée d’Orient, ainsi qu’en attestent Samson et Dalila (1877) de Camille Saint-Saëns (1835-1921) ou Hérodiade de Massenet. Un peu en marge, subsistent, malgré tout, des œuvres se rattachant à l’Antiquité, Les Troyens (1863) de Berlioz, ou, résidence oblige, les compositions pour le Prix de Rome, dont l’extrait de Clytemnestre (1875) d’André Wormser (1851-1926), inédit splendidement orchestré pour ce disque par Thibault Perrine à partir de la réduction chant-piano, démontre que la réputation poussiéreuse qui s’attache encore à ce type d’œuvres mériterait d’être largement reconsidérée.

marie nicole lemieux
La vidéo de présentation de Ne me refuse pas nous montre une Marie-Nicole Lemieux (photo ci-contre) épanouie qui déclare s’être fait plaisir en choisissant et en interprétant les airs qui composent ce disque. Le moins que l’on puisse dire est que son bonheur est contagieux, à tel point qu’il a même réussi à gagner votre serviteur, pourtant fort peu enclin à applaudir à ce type de réalisation. Autant j’ai pu, par le passé, émettre des réserves quant aux prestations de la contralto dans le répertoire baroque, autant ses qualités vocales me semblent idéalement en situation dans ces œuvres romantiques. Je tiens à souligner, en premier lieu, la clarté de la diction de Marie-Nicole Lemieux qui est, à elle seule, un régal, et permet d’écouter l’intégralité de l’enregistrement sans avoir systématiquement à se référer au livret, ce qui n’est pas si fréquent que l’on croit. La rondeur de la voix de la cantatrice, au vibrato justement dosé, son sens dramatique aiguisé et son investissement font merveille dans ces pièces majoritairement traversées par les émotions que suscite la passion, de la sensualité frémissante (« Mon cœur s’ouvre à ta voix », Samson et Dalila de Saint-Saëns) à la folie qui menace (« Ombre d’Agamemnon », Clytemnestre de Wormser) en passant par les élans mystiques (« Humble fille des champs », Charles VI d’Halévy) ou héroïques (« Je vais mourir », Les Troyens de Berlioz). Mais le mot qui me vient le plus immédiatement pour qualifier l’interprétation de la chanteuse est sans aucun doute celui de générosité ; on la sent, en effet, animée par un vrai amour de ce répertoire, une incontestable envie de le porter en mettant à son service tous les atouts, tant techniques qu’expressifs, d’une voix d’exception. Tant de brio sans cabotinage allié à tant de gourmande tendresse ne peuvent qu’emporter l’adhésion.
fabien gabel
L’autre excellente surprise de cet enregistrement vient de l’Orchestre National de France, qui livre, sous la baguette de Fabien Gabel (photo ci-contre), une prestation de tout premier ordre et offre à Marie-Nicole Lemieux un somptueux écrin. Bien sûr, on peut toujours rêver d’une sonorité un peu moins vibrée, mais le travail d’allègement mené sur la texture orchestrale, onctueuse juste ce qu’il faut, n’en demeure pas moins remarquable. Toute en nuances, réussissant aussi bien dans le registre de la vivacité que dans celui de la poésie, la direction pleine de finesse, de souplesse, et de sensibilité de Fabien Gabel fait jaillir de son ensemble des couleurs chaudes et bien différenciées, particulièrement évocatrices. Assurément, on assiste ici à la rencontre entre un chef à suivre avec le plus grand intérêt et un répertoire dont il reste à espérer qu’elle ne demeurera pas sans lendemain, tant il en ressort un sentiment de naturel, d’évidence.

Je vous recommande donc chaleureusement ce disque qui me semble une anthologie assez idéale par l’équilibre global de son programme comme par la qualité des interprètes qu’il réunit. De découvertes en retrouvailles, il vous fera voyager avec bonheur et complicité au travers d’un siècle d’opéra en France, une invitation qui ne se refuse pas.

ne me refuse pas marie-nicole lemieux fabien gabel
Ne me refuse pas. Airs d’opéras français de Jules Massenet, Luigi Cherubini, Fromental Halévy, Hector Berlioz, André Wormser, Ambroise Thomas, Georges Bizet, Camille Saint-Saëns.

Marie-Nicole Lemieux, contralto
François Lis, basse
Le jeune chœur de Paris
Orchestre National de France
Fabien Gabel, direction

1 CD Naïve [durée totale : 77’36”] V 5201. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

Extraits proposés :

1. Luigi Cherubini (1760-1842), Médée (1797) :
Néris, « Ah ! nos peines seront communes »
Philippe Hanon, basson

2. André Wormser (1851-1926), Clytemnestre (1875) :
Clytemnestre, « Qu’Apollon soit loué – Ombre d’Agamemnon »
Orchestration de Thibault Perrine

Illustrations complémentaires :

Jean-Léon Gérôme (Vesoul, 1824-Paris, 1904), L’éminence grise, 1873. Huile sur toile, 68,6 x 101 cm, Boston, Museum of Fine Arts.

La photographie de Marie-Nicole Lemieux est de Denis Rouvre, pour Naïve.

La photographie de Fabien Gabel est de Philippe Schlienger, tirée du site de Solea artists management.


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