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Comment devenir un dieu vivant ?

Par Christophe Greuet

Sous ses airs de manuel crâneur, Comment devenir un dieu vivant est un livre plus malin qu’il n’y paraît. En s’affranchissant enfin des insupportables schémas de l’auto-fiction qui ont plombé nombre de ses confrères, Julien Blanc-Gras livre un second roman paradoxal, aussi bordélique qu’invraisemblable, dont les plus criants défauts en deviennent hautement sympathiques. Un quasi tour de force.

Vendeur de journaux à la sortie d’une station de métro, William Andy appâte les passants en clamant avec humour les titres des unes. Viré de son boulot pour avoir “outrepassé ses fonctions”, il décide se lancer dans une émission de télé. Flanqué de deux acolytes, Tim et Max, et de sa nouvelle copine Lucy, ils créent un site Internet affilié au show télévisé. Le sujet ? Parler de la fin du monde sans se prendre la tête. L’idée prend rapidement et un buzz gigantesque se crée. Une chaîne TV entière est créée, et en offre à chacun ses quinze minutes de célébrité. De canular sympathique, le concept devient un méga business : les quatre compères, William Andy en tête, sont propulsés superstars internationales. Sauf que la fin du monde pourrait arriver plus tôt que prévu…
Pour être tout à fait honnête, nous devons avouer avoir gardé un souvenir assez flou du premier roman de Julien Blanc-Gras, Gringoland (nous avons dû vérifier dans notre bibliothèque le titre exact de l’ouvrage). C’est donc sans a-priori particulier que nous avons abordé son second, sans voir pourtant s’évanouir une certaine méfiance vis à vis des auteurs français trentenaires. On n’a hélas, pas encore trouvé de vaccin contre le virus T.C.L.L.F.Z. (également appelé ThomasClémentLouisLahnerFlorianZeller-ite).

Les premiers chapitres donnent raison à nos craintes, accumulant tous les poncifs d’une certainee littérature trentenaire : écriture à la cool, construction déconstruite (tout un art), j’en passe et des meilleures. Pourtant, dès que s’évanouissent ce qu’un réalisateur appellerait “les scènes d’exposition”, Blanc-Gras se libère de ses postures pour partir dans un délire poussé et assumé, sans ressasser quelque expérience ou frustration personnelle malheureuse (on imagine plutôt que, pour le création de son personnage William Andy, l’auteur s’est inspiré de Rémi Gaillard, l’un des plus célèbres imposteurs du net).
Toute la panoplie des symboles de la pop culture (Internet et ses geeks, la télé réalité et sa starification ridicule…) est alors mise à contribution de cette histoire sans dessus dessous qui, comme un individu bordélique, sait conserver une certaine structure dans sa désorganisation. Et au final, on s’aperçoit que cette pagaille organisée est un facétieux tour de l’auteur pour délivrer son message sur l’état du monde actuel : une société incapable de maintenir un semblant de cohérence mérite-t-elle, vraiment, d’être sauvée ?
Comment devenir un dieu vivant laisse donc son lecteur avec un sentiment de joie prononcé, malgré une fin apocalyptique dans au sens strict du terme. C’est promis, on se souviendra désormais du nom de Blanc-Gras, et pas de manière floue cette fois-ci. Car un auteur qui sort bien vivant d’un tel chaos est un sérieux candidat pour faire ensuite de grandes choses.

« Comment devenir un dieu vivant » de Julien Blanc-Gras, Ed. Au diable Vauvert, 280 pages, 15 €

Le début de
Comment devenir un dieu vivant


Le premier jour, l’éternel chaos suivait son cours, tout était normal.

J’étais posté là, à l’entrée de la ville et à la sortie du métro. Une zone frontière où une foule de ce qu’on appelait des gens se faufilait sur les trottoirs, moitié pauvres, moitié moyens. Ils allaient au travail, se glissaient dans les transports, rentraient du travail. Se croisaient rapidement. Évitaient de croiser les regards. La terre grondait sous leurs pieds et le ciel menaçait leur tête. Alors ils la rentraient, leur tête, entre les épaules ; et ils paraissaient plus petits. Comme toutes les zones frontières, ça avait des allures de centre du monde, ici, un florilège d’humanité. Un peu de résignation et beaucoup de quotidien. Je faisais partie des gens, aucun doute là-dessus. J’avais pas trop envie de faire la révolution alors j’ai commencé le boulot, comme tous les matins. Je vendais mes journaux au milieu du bordel urbain. C’était ça mon job, annoncer les titres un peu fort, interpeller le chaland, vendre les mauvaises nouvelles. L’endroit était stratégique, j’avais de la concurrence. Parce qu’on trouvait d’autres business à la sortie de ma station. On y vendait de la drogue de mauvaise qualité, du maïs transgénique grillé, des gadgets made in China et des provisions de spiritualité. Pas simple de se faire entendre, l’humanité est bruyante.
—Arrêtez de tuer les juifs. La paix pour les juifs !
Lui, il venait tous les jours (sauf le samedi) psalmodier pendant une heure, les mains vers le ciel, le regard pénétré, façon Mur des lamentations. Son texte tournait en boucle, c’était sa méthode pour sauver son peuple. D’après les titres de mes journaux, ça marchait pas vraiment. J’ai vu des gens lui laisser des pièces, je ne sais pas si c’était par antisémitisme mesquin ou parce que le spectacle leur plaisait.

© Editions Au diable Vauvert, 2008"


 

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